JOSEPH DESIRE MOBUTU (Suite et fin) :Le pouvoir et les sacrifices humains


Pour Mobutu, les faits qui s’assemblent et se succèdent commencent à se ressembler. Malgré la griserie du pouvoir, la fortune et la puissance, parfois, la mélancolie le gagne. Il a tout cumulé et tout accumulé. Il ne compte plus ses milliards en dollars, ses villas en Afrique, le nombre de ses comptes en banques, ses châteaux en Europe…En 1984, Mobutu organise, dans sa luxueuse villa de la Côte d’Azur (à Cap Martin, en France) de fastueuses réceptions pour la jet set internationale. Au nombre des invités, on compte le Général Lacaze, Chef d’Etat Major du Président Mitterrand ; Bemba Saolana, président du patronat zaïrois ; Pierre Devos ; directeur de l’Information à la radio télévision belge ; Raymond barre, ancien Premier ministre français ; Jean-Christophe, fils de Mitterrand…

Les fastes et les amitiés

L’ancien ambassadeur belge au Congo, Paul Cohen, témoigne : « J’ai vu ces fêtes familiales changer de nature. Au début, c’était des fêtes vraiment familiales. Et puis, tout cela a dérapé peu à peu. On passait alors à des réceptions où rien n’était trop bon, ni trop cher, ni trop riche ».  Et l’ancien Intendant de Mobutu, le Colonel De Tennbossche, d’ajouter : « Il distribuait énormément. A des Chefs d’Etat étrangers, pour les aider, et qui, selon lui, étaient de pauvres Occidentaux. Et tout autour de lui, dans les différentes provinces et, évidemment, dans sa famille ». En 1989, Mobutu est reçu à la Maison Blanche par Georges Bush Senior. Un ministre congolais de l’époque, Kin Kié Malumba, en parle : « Son ami, le vrai, celui qu’on avait pensé qu’il était l’ami éternel, c’était sans doute Georges Bush. Ce dernier a même adopté certains des enfants de Mobutu. On sait qu’à l’époque de la CIA, ils se sont retrouvés vraiment en famille. Mobutu, sa femme, ses enfants, et même sa mère ont habité pendant longtemps dans la maison familiale de Bush. Les deux familles se sont retrouvées plusieurs fois : au total, 24 fois ! ».

En mars 1988, Mobutu est reçu en France par le Premier ministre Jacques Chirac. La même année, il rend visite, pour la deuxième fois, à son vieil ami, Nicola Ceausescu, Président de la République socialiste de Roumanie, au pouvoir depuis plus de 20 ans. On le sait, les grands dictateurs finissent toujours par se reconnaître et se rencontrer. Aussi, l’ancien ministre de l’Information, Sakombi Inongo, indique : « Quand Ceausescu a été exécuté, avec sa femme Ilena, j’ai fait passer les images à la télé. Mon Dieu ! Mobutu m’a téléphoné en hurlant. Il ne pouvait pas me dire de quoi il s’agissait. Alors, il m’a raccroché brutalement au nez. Je crois qu’après l’assassinat de Ceausescu, il avait pensé à lui-même, compte tenu du fait qu’il a mené le peuple zaïrois de la même manière que Ceausescu a mené le peuple roumain. Les régimes des deux pays étaient pareils. Alors ; il a eu peur que les Zaïrois aient l’idée  de l’assassiner comme son ami Ceausescu ». L’ancien conseiller économique de Mobutu, Hugues Leclerc, affirme : « Dans toutes ses amitiés avec l’extérieur, il avait un esprit diplomatique. Il jouait très habilement : c’était une de ses grandes forces ».

Mais en 1989, le discours de Mobutu (à New York) est interrompu par des huées de protestation  venant de l’extérieur de l’enceinte et qui scandait « Mobutu, assassin ! ». C’est qu’il est dit et écrit qu’on peut tromper une partie du peuple tout le temps, qu’on peut tromper tout le peuple une partie du temps, mais qu’on ne peut jamais tromper tout le peuple tout le temps.  

Un nouveau vent hostile

Le 24 avril 1990, à Kinshasa, Mobutu lâche enfin du lest, mais à contrecoeur : pour la première fois, il parle de…multipartisme politique et accepte même un débat de société. L’ancien Chef de la CIA au Congo, Larry Devlin, explique ce revirement inattendu : « Je crois qu’il a été contraint à cette démocratie. Il n’y croyait vraiment pas, mais il voyait que c’était nécessaire s’il voulait éviter une nouvelle guerre civile. Il y a eu sur lui des pressions de l’Europe et des Etats-Unis ». Sous la direction  de Monseigneur Monsengo, les 2 850 participants de la Conférence nationale, venus de toutes les régions du pays, dénoncent les dérives totalitaires de Mobutu. Et le leader de l’opposition, Etienne Tshisekedi, se « saisir la balle au bond » en fustigeant : « Son bilan est criminel ! Il mérite que le peuple zaïrois s’en occupe un jour pour savoir comment un homme, fils du pays de surcroît, peut avoir détruit ce pays-là. Et je le vois tout simplement en fuite parce qu’il a peur d’être un jour jugé par le peuple zaïrois ». Un peuple qui a désormais démystifié Mobutu, et pour de bon.

Et le mathématicien Aubert Mukendi en témoigne : « Tout le monde croyait que penser le moindre mal de Mobutu ou dire le moindre mot qui ne soit pas à la gloire de Mobutu entraînait la mort immédiate. C’était comme çà dans les années 1960-70. Mais Tshisekedi l’a fait en public, devant plus de 100 000 témoins, et tout le monde l’a applaudi. Et Tshisekedi n’en est pas mort : c’était une preuve. Alors, tout le monde s’est dit : « Oh, le lion n’a plus de griffes, ni de dents ; il ne peut plus mordre. Mobutu est démystifié ». Blessé dans son orgueil, Mobutu suspend la Conférence nationale : il ne lui pardonne pas de s’être érigée en tribunal populaire contre son régime. Le 26 février 1992, à Kinshasa, les partis, la presse et la population se mobilisent et organisent une marche pacifique appelée « Marche de l’Espoir » ou « Marche des Chrétiens ». La manifestation est alors réprimée dans le sang. Des dizaines de marcheurs sont blessés ; d’autres sont abattus sans sommation.

Désormais vomi par Kinshasa et vilipendé par tout le pays, Mobutu se réfugie dans le village de son enfance, à Gbadolite, où le roi léopard a réalisé un rêve féerique : y faire construire un palais présidentiel, en pleine forêt équatoriale, pendant que le pays sombre dans le chaos ! A Kinshasa et dans toutes les régions, les militaires, impayés, se déchaînent et saccagent maisons, magasins, immeubles, entrepôts…Très vite, la population affamée leur emboîte le pas et participe aux pillages qui prennent dès lors une tournure politique. A Gbadolite, Mobutu espère encore sauvegarder une souveraineté illusoire sur plus de 40 millions d’habitants (à l’époque), tout en refusant de croire que ces troubles (qui auront duré de septembre 1991 à janvier 1993) sonnent déjà le glas de la chute de son régime.

Lâché  par ses propres fétiches

Cependant, à Gbadolite, Mobutu et son entourage s’accrochent désespérément au pouvoir. Après trois décennies de prédation, ils ont accumulé de quoi tenir le coup. En effet, des milliards de dollars qui reposent dans des banques occidentales leur permettent de couler des jours meilleurs. Au besoin, ils font tourner la planche à billets. Ainsi, ils impriment, en Autriche, en Angleterre, en Argentine et au Brésil, l’argent qui leur est nécessaire pour soudoyer, récompenser, corrompre…Le résultat de ces menées sordides et occultes est décrit par le dramaturge congolais, Lye Mudaba Yoka : « Tout au long de son règne, Mobutu a capitalisé la malédiction, en réalité, sans le savoir. Et ce qu’il prenait pour des conquêtes n’était en fait que des malédictions. Il croyait braver l’ordre établi ; mais en réalité, il allait de sacrilèges en sacrilèges et capitalisait, à moyen et à long termes, une malédiction qui s’est retournée contre lui comme un boomerang ».

En effet, en moins de deux ans, Mobutu perd deux de ses fils, dont le Lieutenant Konga Mobutu, mort subitement à Bruxelles. Toutes les tendances politiques sont présentes au deuil avec, à leur tête, Monseigneur Monsengo et Etienne Tshisekedi. Dépassé par tant de malheurs, le beau fils de Mobutu, Pierre Janssen, en  témoigne : « Une fois par an, je dirais même chaque mois, il y a des drames dans la famille (de Mobutu). Beaucoup de choses se sont succédées des années auparavant. Moi qui n’y croyais pas au départ, je me posais des tas de questions. Cela faisait vraiment peur. A l’enterrement de mon beau frère (NDLR : Konga Mobutu), des gens criaient en disant : « Arrêtez d’user de cette magie noire, de cette sorcellerie ! ».  Les gens de la rue, eux, disaient : « Vous avez tellement usé des gris-gris que vous devez maintenant le payer cher ! ».

Et le mathématicien Aubert Mukendi, d’expliquer la cause de ces drames : « Au début, Mobutu faisait beaucoup de massacres. Il tuait, et les gens disaient qu’en réalité, c’était des sacrifices qu’il faisait, et qu’à partir d’un certain moment, il ne pouvait plus le faire autant qu’il le faisait avant. Alors, quand les esprits vous exigent deux ou trois personnes, et que vous ne pouvez pas les donner, ils se servent eux-mêmes en prenant ce qui vous est le plus cher : votre femme, votre enfant, votre ami…C’est un contrat, et lorsqu’un contrat des esprits n’est pas honoré… ».  C’est l’ancien ministre de l’Information, Sakombi Inongo,  qui met la touche finale à cette série d’horreurs : « Mobutu avait beaucoup de gris-gris, beaucoup de talismans. Je ne sais pas s’il a eu les plus grands et puissants magiciens, marabouts et sorciers de ce monde. Mais j’en ai vu plein chez lui. De mes propres yeux, je l’ai vu boire un verre de sang humain ! Tout cela, pour garantir sa force, sa puissance, son autorité. C’est incroyable ! ».  

Mais tout finit un jour

En août 1998, Mobutu est hospitalisé à Lausanne (en Suisse) pour y subir une opération. Le Zaïre réalise alors que le vieux roi léopard est, malgré tout vulnérable, et que la maladie peut l’emporter et sur la « logique » des urnes, et sur la loi des armes. Profitant de l’absence prolongée du chef, une rébellion surgit à l’Est du Zaïre et déferle sur toute l’étendue du pays. L’insurrection est dirigée par un ancien rebelle lumumbiste, Laurent Désiré Kabila. Jusqu’en novembre 1996, le despote est en convalescence dans sa villa de Cap Martin, sur la Côte d’Azur. Il se sent seul et abandonné. Son retour à Kinshasa, le 17 décembre 1996, est accueilli avec hostilité. Pire pour lui, dès avril 1997, à Kinshasa, la population se mobilise autour du leader de l’opposition Etienne Tshisekedi. Une fois encore, la manifestation est réprimée dans le sang par les soldats de la Garde présidentielle de Mobutu. Mais les dés sont déjà jetés.

Comme dira l’ancien ministre Kin Kié Malumba, « Mobutu a été lâché et abandonné, et tous ceux qui l’ont fait roi ne veulent plus de lui. S’il ne fuit pas, son cadavre va être traîné dans la ville ». Et le mathématicien Aubert Mukendi, de renchérir : « Il était devenu pire qu’une poutre pourrie, rongée par les termites : au bout d’un certain temps, elle s’écroule d’elle-même. Il suffit seulement d’un petit coup de vent ». Le 4 mai 1997, à Pointe Noire, Mobutu, acculé par l’avancée des insurgés, accepte de rencontrer le Chef de la rébellion, Laurent D. Kabila. Mais les pourparlers échouent, bien qu’engagés en présence du vieux sage, Nelson Mandela. Alors, Kabila ne prononcera qu’un seul mot (plutôt un ordre) à l’adresse de Mobutu : « Démissionnez ! ».

Pour sauver sa tête (et les meubles avec), le dictateur juge plus sage d’obéir à l’injonction. Mieux pour lui, le 17 mai 1997, il s’enfuit en direction…de l’aéroport, mais par des chemins détournés et sous bonne escorte. Le voilà ainsi chassé du pouvoir, tel un pestiféré. Le même jour (17 mai), Kinshasa tombe aux mains des insurgés ; et Kabila est proclamé Président du Zaïre, devenu désormais République démocratique du Congo (RDC). Les anciens dignitaires du régime déchu ont déjà fui vers l’autre rive du fleuve Congo. Pendant que le dictateur en exil se débat à Rabat (au Maroc) sur son lit d’hôpital, ses derniers fidèles sont lynchés dans les rues de Kinshasa, un pneu enflammé autour du corps.

Le 8 septembre 1997, Mobutu rend l’âme au Maroc, solitaire et rejeté dans la poubelle de l’Histoire. Le demi dieu n’était donc pas immortel. On dit que dans une tragédie, les rôles sont souvent mal distribués. On dit aussi que le dictateur qui inscrit son destin en lettres cousues de trahison et de lâcheté paie au prix fort le revers de l’Histoire.

Par Oumar Diawara « Le Viator »

 

Le Coq 22/11/2010