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Une restitution des trésors coloniaux en trompe-l’œil Le texte de loi en débat à l’Assemblée nationale constitue une mise en œuvre minimaliste des engagements pris par le président. La France possède des objets venant de plus de trente pays d’Afrique qui doivent être restitués même s’ils ne sont pas encore réclamés par leurs propriétaires légitimes. Louis-Georges Tin président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran) , Lova Rinel présidente du Cran , Laurent Tonegnikes président du Cran-Bénin Par Louis-Georges Tin, président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran) , Lova Rinel, présidente du Cran et Laurent Tonegnikes, président du Cran-Bénin — 5 octobre 2020 à 17:34

Une restitution des trésors coloniaux en trompe-l’œil

Le texte de loi en débat à l’Assemblée nationale constitue une mise en œuvre minimaliste des engagements pris par le président. La France possède des objets venant de plus de trente pays d’Afrique qui doivent être restitués même s’ils ne sont pas encore réclamés par leurs propriétaires légitimes.

Louis-Georges Tin président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran) , Lova Rinel présidente du Cran , Laurent Tonegnikes président du Cran-Bénin
Par Louis-Georges Tin, président d’honneur du Conseil représentatif des associations noires (Cran) , Lova Rinel, présidente du Cran et Laurent Tonegnikes, président du Cran-Bénin 5 octobre 2020 à 17:34

Tribune. Le débat arrive enfin à l’Assemblée nationale. C’est une bonne nouvelle. Car depuis 2013, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) a beaucoup œuvré pour la restitution des trésors coloniaux. Or cette campagne a porté ses fruits : François Hollande s’y était opposé, mais Emmanuel Macron s’y est engagé. Le 28 novembre 2017, lors de son discours à Ouagadougou, il a indiqué qu’il ferait en sorte que les trésors africains puissent retourner en Afrique. Rappelons à cette occasion que plus de 90% du patrimoine africain classique se trouve en dehors du continent.

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Le texte de loi qui a été présenté en Conseil des ministres, et qui est maintenant débattu à l’Assemblée, pose cependant problème. Il constitue une mise en œuvre ultraminimaliste des engagements pris par le Président. En effet, la France possède des objets venant de plus de 30 pays d’Afrique. Nos musées détiennent non seulement des artefacts des anciennes colonies, mais également des œuvres de pays qui n’ont jamais été occupés par la France, comme l’Ethiopie (3 081 pièces), le Ghana (1 656), le Nigeria (1 148), la république démocratique du Congo (1 428), selon les chiffres du rapport Sarr-Savoy. En effet, les œuvres volées ont souvent été revendues à des collectionneurs ou à des directeurs d’institutions culturelles, coupables de trafic et de recel, et se sont ainsi retrouvées en France.

Biens mal acquis

Or seuls deux pays sont concernés par ce projet de loi, le Bénin et le Sénégal. Nous sommes fondés à nous demander pourquoi les autres pays n’ont pas eu droit eux aussi à la restitution. On nous dira peut-être que leurs dirigeants n’ont pas réclamé leur patrimoine. Mais ont-ils été approchés ? Ont-ils été informés ? Leur a-t-on communiqué l’inventaire des biens volés à leurs pays ? Etaient-ils en mesure de formuler une requête précise, alors que les données nécessaires n’étaient pas disponibles ? Bien sûr que non. Bref, cette restitution restreinte constitue une discrimination dans l’accès aux droits, et donne l’impression d’une justice à deux vitesses. La colonisation a été un crime contre l’humanité, comme l’avait déclaré Emmanuel Macron pendant la campagne pour l’élection présidentielle. Dans ce contexte, rendre justice aux uns et pas aux autres est évidemment insupportable.

Par ailleurs, même pour les deux pays concernés, c’est une restitution tronquée. Vingt-six objets seront rendus au Bénin, alors que 3 157 artefacts béninois se trouvent au musée du Quai-Branly, sans parler de tous ceux qui sont dans les musées locaux, notamment dans les villes portuaires comme Nantes ou Bordeaux. En d’autres termes, la France restitue tout au plus 0,8% du patrimoine béninois. Pour ce qui est du Sénégal, c’est pire encore : un objet seulement sur 2 281 doit être restitué, soit 0,008% de l’ensemble du patrimoine sénégalais détenu en France. A l’aune de ces chiffres dérisoires, voire insultants, il apparaît que le projet de loi n’est pas seulement minimaliste, il s’agit véritablement d’une restitution en trompe-l’œil.

Toujours selon le rapport Sarr-Savoy, sur les 70 000 pièces du musée du Quai-Branly, 46 000 ont été «acquises» durant la période 1885-1960, et sont donc susceptibles d’être restituées, car il s’agit en effet de biens mal acquis, prélevés dans des colonies qui, par définition, n’étaient pas en état d’exprimer à l’époque une quelconque souveraineté en matière de patrimoine. Ces biens doivent donc être restitués.

Même s’ils ne sont pas encore réclamés par leurs propriétaires légitimes, l’Etat français doit cependant acter dès maintenant la restitution de façon générale. Tout en demeurant dans les musées, les objets concernés pourraient être restitués d’ores et déjà, placés sur une sorte de compte séquestre, en attendant d’être physiquement retournés à leur pays d’origine. Ainsi, il ne sera pas nécessaire de repasser par l’Assemblée chaque fois qu’un gouvernement viendra réclamer tel ou tel artefact, le calendrier parlementaire étant déjà surchargé. Les objets acquis pendant la Colonisation seraient tous restitués maintenant, et retournés ultérieurement, au fur et à mesure des requêtes exprimées. Cela implique de distinguer la restitution, qui est un acte juridique (lequel doit être effectué au plus tôt), du retour, qui est un acte physique (lequel peut être différé).

Au demeurant, un pays qui voudrait récupérer ses trésors, mais ne serait pas encore prêt à les conserver dans les conditions adéquates, pourrait dès lors les louer à la France, moyennant finances, ou les faire circuler à l’international, dans une exposition itinérante, pour faire rayonner sa culture. Pendant deux, trois, cinq ans ou plus, ce dispositif permettrait d’engranger des fonds, qui pourraient servir aux financements des musées dans le pays d’origine. Et une fois les sommes nécessaires réunies, les artefacts pourraient alors être rapatriés.

Cycle de contentieux inextricable

A tort ou à raison, la France ne cesse d’accuser certains présidents africains de détenir sur son territoire des biens mal acquis. Elle n’hésite pas à confisquer ces biens, le cas échéant. Comment pourrait-elle dans le même temps conserver sur son territoire des biens encore plus mal acquis, car obtenus le plus souvent après des massacres et des pillages ? Si ces objets sont conservés en France, le Parlement doit clairement adopter un amendement essentiel pour indiquer que ces objets ne sont plus propriété française, et qu’ils sont simplement en attente de leur légitime propriétaire. Si un pareil mécanisme n’est pas adopté par le Parlement, la loi sera non seulement, insultante, discriminatoire, mais elle pourrait en outre ouvrir un cycle de contentieux tout à fait inextricable.

En mars 2019, travaillant avec l’European Network Against Racism (Enar) et l’Etat de la diaspora africaine, le Cran avait obtenu que le Parlement européen adopte une résolution invitant les Etats membres à mettre en place des «réparations sous la forme d’excuses publiques ou d’une restitution d’objets volés à leurs pays d’origine». Telle qu’elle apparaît dans le projet de loi, la restitution risque de créer des tensions, notamment auprès des peuples d’Afrique et de la diaspora, qui suivent tout cela avec beaucoup d’attention. Une restitution à 0,00 et quelques pour cent n’est pas une vraie restitution. La France s’honorerait de respecter le droit européen, le droit africain, le droit international, et ce qui est en définitive le droit naturel.