La dictature, la médaille et l`effroyable adhérence de notre mode de pensée.

Aussi, le problème crucial de la corruption se résout-il généralement en retournant la politesse aux européens. On a souvent parlé de fatalisme pour caractériser l`attitude globale de nos citoyens face  à la vie. Ce jugement demande à être nuancé pour ce qui concerne l`ère du multipartisme. Le Malien moyen, parait moins résigné que convaincu de se mouvoir dans un système normal dont il connait parfaitement les rouages. Ainsi, personne n`utilise la  voie hiérarchique .Seul l`étranger  se perd dans ce qu`il perçoit comme un labyrinthe  Kafkaïen. Les locaux, eux, s`y retrouvent très bien.

Le régime politique est obscur, mais comme on en épouse les postulats sociaux, on n`est jamais désespéré, car on connait toujours quelqu`un qui connait et peut régler le problème, pour le plaisir de rendre service ou  moyennant un petit encouragement ou un retour éventuel d`ascenseur. Aussi, n`est il pas exagéré de dire qu`au Mali, il n`y a pas de combine, car la norme c`est cela. Nous tirons d`ailleurs une grande fierté de ce système social dit d`affection, de reconnaissance légendaire. Ici l`enracinement culturel a essentiellement pour fonction de perpétuer la misère, en échange de gratifications psychologiques considérées  comme une priorité .Au pays du , on claque en une soirée l`équivalent de plusieurs salaires annuels pour sanctifier le Fama tout en   jetant l`argent aux griots. Ces sommes ne servent pas à créer des biens matériels dont nous avons besoin, mais à consolider un narcissisme culturel perçu à tous les niveaux comme positif.  Ces comportements et attributs suicidaires trop hâtivement assimilés à des  persistances de cultures traditionnelles constituent un nouvel système idéologique implicitement entretenu par une partie de la classe dirigeante et pesant de tout son poids sur le bien-être collectif. Notre misère ne peut pas être mesurée à l`aune de la splendeur de nos fêtes, il s`agit bien souvent de misère intellectuelle

Les mentalités forgées par ces années de subordination politique, de  peur de l`assiette vide est l`un des traits distinctifs de notre société actuelle, dirigée par l`arbitraire, la courbette, la flagornerie. Ainsi, du planton au cadre, personne n`est sûr de pouvoir conserver son emploi .Personne n`est à l`abri d`une délation, ou tout simplement de la mauvaise humeur d`un chef qui peut vous remercier en toute impunité et sans indemnités. Cette précarité, jointe  à l`absence ou l`inefficacité  de contrôle, explique que les fortunes se bâtissent en un temps record.  Mais répétons le, toutes ces incohérences ne doivent leur existence qu` à  l`effroyable adhérence de notre mode de pensée. Aussi, la vie sociale se caractérise par une forme de lâcheté ; on se tait de peur de se singulariser, de contredire le plus grand nombre, tant il est vrai que la vérité ne devient telle que lorsqu`elle passe du singulier au pluriel. Or, on ne parle de dictature ou d`autoritarisme en Afrique que pour décrire l`attitude d`une classe politique corrompue, vivant de répression et de clientélisme. Les dictatures africaines sont d`abord des dictatures culturelles. Beaucoup de politiques culturelles appliquées vont dans le sens de l`enracinement de la peur du chef, de la crainte des classes possédantes, de la vénération de l`argent, de l`idolâtrie  du chef  si mystifié qu`il constitue aujourd`hui la plus grande charge d`inertie entravant le progrès des mentalités.

On ne dira jamais assez à  quel point les africains, même lettrés, ressentent, à ce jour l`existence de leurs nations comme des phénomènes regrettables et profondément étrangers  à leur culture. La popularité du principe du retour  à soi explique que, contrairement  à ce que croit Mr René Dumont, les élites occidentalisées et les masses paysannes ne s`opposent pas en Afrique, mais se fondent dans une perception identique du contenu de la vie sociale. C`est donc une erreur de dire que les masses africaines ne méritent ni leurs intellectuels, ni leurs dirigeants politiques : ceux-ci sont très exactement à  leur image. Pour nous en convaincre prenons un exemple : imaginons  Aly Bongo, dirigeant le peuple américain, et la superposition explose dans toute son  invraisemblance .Replacez-le, en revanche, dans n`importe quel pays africain et le coefficient de vraisemblance monte en flèche. Appliquez la même règle  à l`inutile cérémonie de décoration du Fama. On pourra multiplier  à l`envie les exemples mais le résultat reste le même. Cela signifie qu`il n`y a pas de gouvernants sans peuples. Qu`au sous-développement des leaders correspond toujours celui des élites  et des masses. Aucune politique complaisante, aucune  dictature, fut-elle armée jusqu`aux dents, ne peut se maintenir solidement dans un pays par son seul pouvoir de répression et de corruption. Seule la préexistence d`un terrain social et culturel favorable explique que de tels régimes puissent prendre racine et prospérer.

A l`heure où les jeunes Tunisiens et Egyptiens se dressent contre l’arbitraire, la misère, la déshumanisation, la corruption, le népotisme, le favoritisme, le clientélisme, notre Fama est décoré en direct  à la télé  dans l`indifférence totale et l`on se prévaut au même moment d`avoir  une jeunesse réactive, des solutions de rechange ; les nostalgiques évoquent la profondeur du pays  de Sounjata qui a attendu 23 ans avant de se soulever en 1991 ; Et quoi encore !  Les dictatures, les régimes complaisants  en Afrique commencent par la rigidité des cultures. Tant qu’on continuera à escamoter cet aspect de la question, tant qu`on n’aura pas  réussi à favoriser l`émergence d`un nouvel être Malien, une nouvelle vision de soi et du monde extérieur on assistera  à la remise de médailles d`or, de Chiwawa géants, pourquoi pas un veau doré ! Le Malien de 91 n`a rien à voir avec celui de 2011.

Toure Abdourahamane

drabenmat@yahoo.fr

DiasporAction 14/02/2011