JOSEPH DESIRE MOBUTU (Suite) Le dernier « roi nègre »

 

C’est le dramaturge Lye Mudaba Yoka qui traduit le mieux l’une des malédictions qui ont fini par frapper Mobutu. « Il a beaucoup abusé des femmes, notamment celles des autres. Il prenait les femmes des voisins, les femmes de ses collaborateurs, de ses ministres…tout cela, pour affaiblir leurs maris et devenir plus puissant ». Le vol, la corruption, l’arbitraire, la gabegie, l’autoritarisme…étaient devenus monnaie courante dans le pays.

Après le « mobutisme », le Président fondateur place ses dérives sous le sceau de la « zaïrianisation ». Et il s’en explique : « La zaïrianisation, c’est quoi ?C’est que je conçois mal qu’un étranger belge, français ou hongrois vienne s’installer ici pour revendre aux Zaïrois la bière qui sort des brasseries de Kinshasa et gagner des bénéfices là-dessus ».

Le vol et la corruption

C’est l’ancien Conseiller de Mobutu, le Colonel Mallams, qui est le plus outré par les méthodes du régime. « Vous êtes chef d’entreprise. A 8 heures du matin, un Général, un Colonel ou un simple courtisan de sa cour se présente  et vous dit : « Remettez-moi les clés de vos bureaux, vos comptes en banque, vos véhicules, tout ce que vous possédez. Et allez vous faire pendre ! ».

L’ancien ambassadeur belge au Congo, Albert Cohen, n’approuvait pas non plus ces méthodes. Il révèle : « Les entreprises ne géraient pas toujours. Ce sont très souvent  les favoris du régime qui se contentaient de les écrémer. Les voitures des entreprises devenaient leurs voitures ; la trésorerie de l’entreprise devenait leur trésorerie. A la fin, ça devient un coup de force considérable à la corruption ».

Quant à  Mobutu, c’est plutôt aux autres qu’il impute la corruption. Les autres, ce sont les Occidentaux. Et de fustiger : « La corruption n’est pas le propre des seuls Zaïrois. Elle se trouve partout, dans n’importe quel pays. Qui nous a appris la corruption ? C’est les Occidentaux ! La corruption n’est pas une invention du Zaïre : c’est de l’importation ! ».

Mais l’ancien ministre de Mobutu, Sakombi Inongo, est bien informé, car il était chargé de l’Information. « La corruption sévissait à tous les échelons au niveau de la cour, une cour diversifiée : familiale, tribale, ethnique, régionale, etc. Les habitudes et les privilèges, c’est le commerce, l’argent, l’or, le diamant…On faisait tout pour que Mobutu demeure éternel. Moi, je n’étais, à l’époque, ni dans la cour, ni de la cour. Mais je faisais tout pour qu’il demeure éternel », confie-t-il.

Et Sakombi Inongo, de préciser : « S’il avait besoin d’un million, il le demandait au Premier ministre. Ce dernier disait au ministre des Finances : le Président a besoin de deux millions. A son tour, le ministre des Finances demande trois millions au directeur de la banque qui débloque, lui aussi, quatre millions. Ainsi, le million demandé par le Président se multiplie à chaque maillon de la chaîne. Et chaque maillon s’en tire avec son million ».

Mobutu, lui, préfère donner le change en accusant les Occidentaux : « Vous, les Occidentaux, n’avez qu’un seul mot la bouche : l’argent, l’argent ! Celui qui vous arrache ce beefsteak de la bouche, c’est un homme à abattre ! Voilà la vérité ! Les journalistes disent que ma fortune vaut plus que la dette du Zaïre. N’est-ce pas Léopold II de Belgique qui nous a spoliés de toutes nos richesses ? ».

Pourtant, en pleine crise économique, en collaboration avec des industriels allemands, Mobutu inaugure un  programme spatial dans l’Est du Zaïre.

Un Maréchal sans stratégie

En mai 1978, des opposants zaïrois en exil attaquent le Sud du territoire à  partir d’un pays voisin. Officiellement, pour « protéger la population européenne », la Légion étrangère saute (en parachute) sur Kolwezi.  Mai le régime et le Président Mobutu sont de nouveau sauvés de justesse. Mobutu est ébranlé, ce qui ne l’empêche pas cependant de descendre sur le terrain des opérations et de galvaniser ses troupes en jouant au héros devant les caméras de la télévision.

Aussi, son ancien Conseiller, le Colonel Mallams, de confier : « Mobutu n’a jamais été un chef militaire dans le sens que nous, nous lui donnons en Occident. Il n’en a ni la tactique, ni la stratégie. Il a reçu une formation de comptable dactylographe. Chaque fois, il s’est fait battre à plate couture ; et chaque fois, il a du faire appel à ses conseillers extérieurs. Il n’avait aucune compétence militaire. Mais comme chef d’entretien, il avait indiscutablement du courage. Et il était sportif. Mais il n’était pas capable de diriger une armée ».

Le mathématicien congolais, Aubert Mukendi, lui, voit Mobutu en fourbe et fin calculateur. Il témoigne : « Pour éviter une défaite totale, Mobutu est allé jusqu’à tuer et faire massacrer des Français, leurs épouses et leurs enfants qui étaient à Kolwezi. Rien que pour obliger Giscard D’Estaing et François Mitterrand à intervenir. Et ce dernier est tombé dans le panneau : il a intervenu pour ne pas faire autrement, le pauvre. Chaque fois que son armée enregistrait des défaites, Mobutu, lui, avançait en grade. Il parvenait même à transformer ses défaites en victoires. C’est quelque chose qu’on ne comprenait pas ».

Le 17 juin 1983, à Kinshasa, Mobutu accumule les titres : Président de la République, Président fondateur du parti, Commandant suprême des Armées, Général de corps d’armée…Mais tous ces titres ne le satisfont pas : il rêve d’être Président à vie, ou mieux, roi du Zaïre. Mais par prudence, il se fait nommer Maréchal par la hiérarchie militaire.

« Pour lui, la politique, c’est un jeu », dit son ancien chef de la Sécurité, Nimy Mayikida, qui ajoute : « J’ai appris qu’il est un grand joueur de dame. Il trouvait difficilement des adversaires pour le battre. Il avait conçu l’ensemble de la vie politique comme un jeu, que lui était le grand joueur, et que les acteurs étaient des pions qu’il lui appartenait de déplacer selon ses humeurs ».

Comme tous les 7 ans, Mobutu, seul candidat, se présente à l’élection présidentielle. Les électeurs ont le choix entre deux bulletins : un bulletin vert pour l’unité et la paix ; et un bulletin rouge pour le changement et…le désordre. Aussi, ceux qui s’avisaient de choisir le bulletin du désordre (encore faut-il que cela fût possible à l’époque) pouvaient  être certains de…passer l’arme à gauche. Mais tant de publicités ne perturbent guère Mobutu.

Aussi, le dramaturge Lye Mudaba Yoka, de résumer : « Le fait de se proclamer  le seul Maréchal du Zaïre et d’être Président à vie, ça ne se trouve nulle part dans les textes. Mais Mobutu l’a vécu comme si le peuple lui donnait tout cela en cadeau. En somme, c’était le seul roi nègre ». (A suivre)

Par Oumar Diawara « Le Viator »

Le Coq 11/11/2010