Dombi Fakoly à propos du Mali : « Il n’y a rien de pire dans une démocratie que le consensus »


Républicain : Quelle analyse faites-vous de la situation sociopolitique du Mali ?

Dombi Facoly : Je la trouve très chaotique et instable. Je dirai même explosive. Tous les ingrédients pour aboutir à un révolte populaire sont réunis : la cherté de la vie, la désespérance de la jeunesse qui est obligée de fuir le pays pour une meilleure condition de vie à l’extérieur, l’insécurité au nord, le banditisme grandissant dans toutes nos villes, la drogue dure qui envahit le pays et détruit notre jeunesse, la déroute de l’éducation qui se traduit  dans la négligence totale de l’école malienne, le découragement des étudiants et des enseignants.  La politique malienne est caractérisée par une absence totale d’une opposition.

A part le parti SADI qui fait l’opposition pure, aucun autre parti ne la fait. Même les grands partis qui avaient pourtant intérêt à la faire, refusent. Et pourtant dans le contexte malien, une opposition devait avoir un rôle important à jouer en critiquant et en faisant des propositions au gouvernement. Cela a des conséquences négatives pour la politique malienne. Aujourd’hui, la population  s’est désintéressée de la politique. Elle s’est  convaincu que  cette absence d’opposition est la preuve que tous les partis politiques feraient la même chose que ceux qui dirigent aujourd’hui le pays. Par ailleurs, je suis convaincu qu’il n’y a rien de pire dans une démocratie que le consensus. Cela est dangereux pour le Gouvernement qui ne peut pas se rendre compte de ses erreurs. Le Mali est le seul pays en Afrique où il règne un tel consensus.

Il y a quelques jours que l’Assemblée nationale du Mali a voté, avec une majorité impressionnante, le projet de loi portant révision de la constitution de 1992. Quelle analyse faite vous du projet de reforme constitutionnelle ?

Pourquoi le Président ATT a attendu la fin de son mandat pour initier le projet de reforme de la constitution, alors qu’il sait pertinemment que le temps fait le plus défaut ? Cette question m’amène à émettre des hypothèses. La première hypothèse : cette révision, selon ce que j’ai pu comprendre, vise à faire les élections présidentielles et législatives en même temps afin de minimiser les coûts. Mais, il se trouve que les deux mandats ne prendront pas fin au même moment, nous risquons de nous retrouver à prolonger le mandat présidentiel pour qu’il prenne fin en même temps que celui des députés.  La deuxième hypothèse : même si la révision ne touche pas l’article 30 qui traite du mandat présidentiel, de l’avis de plusieurs constitutionnaliste, au regard de l’ampleur de la reforme, le Mali balance dans une quatrième République. Dans ce cas, le Président de la République actuel pourrait se positionner en candidat. La troisième hypothèse : Si dans un mouvement de contestation de la reforme,  l’opposition et la population occupent la rue, cela créerait un désordre qui pourrait être un prétexte tout trouvé pour des partisans du Président  ATT pour justifier une prolongation du mandat.  En tout état de cause, rien n’obligeait le Président ATT à faire passer sa reforme de force. Il pouvait laisser cette initiative à son successeur qui pourrait le faire tranquillement durant son premier mandat.

A la surprise générale de la population, le Gouvernement a décidé  de la fermeture de l’Université. Quelle appréciation faites-vous d’une telle décision ?  

Dans aucun pays africain à l’abri de désordre, on assiste à la fermeture de l’Université. On se demande si le Gouvernement s’est interrogé sur les conséquences de la fermeture de l’Université. Cela aboutit forcement à une année blanche pour les étudiants, donc une année de retard dans leur formation. Certains, découragés, vont abandonner les études pour s’inscrire dans le lot des candidats au suicide  qui prennent les routes sinueuses  de l’émigration clandestine vers l’Europe. Rien n’explique la fermeture de l’Université. Il faut aussi retenir qu’à la date d’aujourd’hui, les résultats du bac n’ont pas été publiés, sans oublier ceux catastrophiques du DEF. Aujourd’hui, tout porte à croire qu’au Mali, la base de la formation est ratée. Et, cela pousse à s’interroger sur le choix des enseignants. Dans tous les cas, le fait est qu’il est pratiquement devenu impossible pour un jeune malien de s’inscrire dans des universités en Europe. La situation de l’école malienne  n’est pas surprenante car rares sont nos responsables politiques qui n’ont pas leurs progénitures dans les écoles privées et dans les universités en Occident. Et, cela m’amène à me demander s’ils n’ont pas l’intention de faire un clan constitué de leurs enfants pour la relève de demain. Les masses populaires sont exclues.

Assane Koné

Qui est Dombi Fakoly ?

Dombi Fakoly est né  à Kati. Il a grandi au Sénégal et a fait des études supérieures en France. Un DES de banque en poche, il retourne au Mali. Après deux années de collaboration avec la BIAO-Mali, de 1978 à 1980, il retourne en France. En 1983, il écrit son premier roman Mort pour la France. Auteur d’une trentaine de livres, son œuvre littéraire est composée de romans et d’essais qui traitent de faits de société comme le sida, la religion, le racisme, etc…

A.K

Le Républicain 15/08/2011