Bocar Moussa Diarra «Le détournement est aujourd’hui la clé du système»

C’est une décision hautement politique, qui va participer à la résolution d’un problème essentiel auquel notre pays est confronté. En ce qui concerne l’instruction civique, tout le monde a constaté la baisse drastique du niveau de la citoyenneté. Ce qui se traduit, dans nos écoles, par une certaine indiscipline. Dans la vie civile, on voit tous les jours certains comportements très regrettables. Il s’agit donc de reprendre les choses en main, et surtout de donner à notre peuple la chance de se ressaisir au service de son développement et de sa croissance, afin que le Mali soit parmi les pays qui comptent.

Par rapport à la promotion des langues nationales, après plus d’un demi-siècle de pratique des langues étrangères dans notre pays, nous avons consacré ces langues comme officielles. Le Français, pour le nommer, fait partie de notre héritage historique. Personne ne peut le nier. Nous nous en servons et il a été utile pour le pays. Il n’en demeure pas moins que nous ne sommes pas des Français. Nous sommes des Maliens, avec une histoire riche, nous avons nos propres langues, qui ont su cohabiter pendant des millénaires. Nos langues peuvent bien être des facteurs de rapprochement et d’épanouissement de notre peuple. Si l’on jette un regard un peu partout dans le monde, il est clair que les peuples qui ont accepté de s’approprier leurs langues et de faire leur promotion sont des peuples qui émergent.

Comment faire alors la promotion de nos langues… Les mettre en concurrence avec le Français?

Non, ce n’est pas une question de concurrence avec le Français ou une autre langue. J’ai, auparavant, évoqué le facteur de convivialité avec d’autres langues. Il s’agit pour nous de faire prendre conscience aux Maliens que nos langues valent toutes les autres, qui nous sont étrangères. Il faudra prendre la décision politique de hisser nos langues nationales au rang de langues officielles. En d’autres termes, celui qui pratique le Bamanan ou le Songhoï doit pouvoir l’utiliser dans l’administration, comme on le fait avec le Français. Il faut que le Maire puisse utiliser la langue de son terroir avec les populations qui l’ont élu. Il faut que le Juge rende la justice dans la langue du justiciable…

Concrètement, comment cela va-t-il se passer, puisque nous n’avons ni ressources suffisantes ni personnel qualifié en la matière?

Il s’agit de commencer… De tirer les leçons de tout ce qui n’a pas marché dans le passé et de donner un contenu à la décision politique qui a été prise par le Président de la République et le Premier ministre. Cela veut dire que, dans nos écoles, universités et villages, nous nous engagions dans le combat de soutien et de prospérité de nos langues nationales. Toutes les couches sociales seront formées à la pratique, à l’écriture et à la lecture de celles-ci. L’administration s’ouvrira à un environnement lettré pour se rendre accessible à tous les usagers.

Qu’entendez-vous par instruction civique et comment comptez-vous la promouvoir?

Dans le monde entier, il est avéré qu’on ne peut pas asseoir un véritable développement, au service de l’homme, sans lui faire prendre conscience qu’il doit être un citoyen engagé et responsable. Cela se fait d’abord à travers l’éducation. Dès la base, ces valeurs doivent être inculquées à tout un chacun. Nous sommes venus dans ce département à un moment particulier de l’histoire de notre pays. Notre tâche consistera à poser les jalons réels de ce qui se développera dans le futur. Autrement dit, notre travail sera législatif et réglementaire. Cela passe, pour des générations d’un certain niveau, à travers l’information et la sensibilisation, pour que les gens se souviennent de leurs devoirs et de leurs droits. Si l’on vous comprend bien, votre matière c’est l’éducation. Mais vous n’avez ni élèves ni écoles, encore moins des enseignants.

Comment comptez-vous vous y prendre?

C’est vrai que nous ne disposons pas d’écoles. Mais nous ne sommes que dans la période de transition. Les cadres dont nous allons avoir besoin pour mettre en œuvre cette politique sont des éducateurs. Ces gens sont aussi bien à l’école, dans la société civile, que dans les organisations non gouvernementales. Nous allons créer les synergies nécessaires pour ne pas marcher sur les plates-bandes des uns et des autres. Même si ne pas disposer d’écoles peut constituer un handicap – c’est quelque part vrai – nous allons, avec notre homologue de l’Education, trouver les moyens pour mettre nos connaissances professionnelles à profit pour remplir la mission qui nous est confiée. Justement, évoquons les moyens.

Votre département en dispose-t-il?

Je crois bien que les ressources existent. D’ailleurs, on les renforce chaque jour. Une fois que le processus politique est lancé, il faut d’abord utiliser rationnellement l’existant. Nous projetons d’ouvrir, dans nos universités et dans les grandes écoles, des filières pour soutenir les changements que notre pays souhaite mettre en œuvre rapidement. C’est un projet qui permettra de former des ressources humaines capables de prendre en charge, à court, moyen et long terme, les nombreuses préoccupations de ce secteur, à qui nous souhaitons longue vie. Dans cette période de transition, nous allons lancer la machine. Ceux qui viendront après nous pourront renforcer le dispositif.

Les ressources financières seront-elles disponibles?

Le Mali, comme vous le savez, se trouve dans une situation particulière et nous ne bénéficions plus de l’appui des partenaires techniques… Mais, avec la volonté et la détermination à nous assumer, nous allons faire avec ce dont nous disposons. Tout en espérant que le partenariat va reprendre bientôt, avec plus de moyens. Nous pourrons alors faire plus et mieux. Revenons à la promotion des langues nationales. A l’Assemblée nationale, la Maison du peuple, il est interdit d’utiliser officiellement les langues nationales, selon le Règlement intérieur.

Qu’en pensez-vous? (Rires).

Vous faites bien de le dire. Mais je crois que tout est une question de loi. Ou on veut faire la promotion des langues nationales ou on ne le veut pas. L’Assemblée nationale est le lieu où l’on doit ressentir cette volonté politique. Je le répète, mon objectif est de hisser toutes les langues nationales au rang de langues officielles. Y compris à l’Assemblée nationale. Je trouve incongru qu’un juge continue à parler en Latin à des justiciables qui ne comprennent même pas le Français. Il est inacceptable qu’un maire s’exprime en Français avec des populations dont moins de 3% maitrisent cette langue. Nous avons une multitude de langues.

Comment peut-on les hisser toutes au même rang?

La multiplicité de nos langues a toujours été un facteur de renforcement de l’unité nationale. Dans tout le pays, les aires linguistiques existent déjà. Plusieurs secteurs de l’administration, comme le ministère de l’Education, utilisent ces données… Nos langues sont considérées comme nationales et non comme officielles… Pour être simple, les langues majoritaires dans certaines parties de notre pays y seront enseignées et pratiquées de façon officielle. On ne jugera pas, on ne privilégiera pas. Les langues ont leur histoire dans leur terroir. Elles finiront par s’imposer d’elles-mêmes. L’Etat aura un rôle d’accompagnement politique et réglementaire. Tout ce travail se fera dans le cadre de concertations et de consensus, car aucune langue n’est supérieure à une autre. Il ne faut pas oublier que certaines langues de notre pays sont transnationales, c’est-à-dire parlées dans d’autres pays. Bien souvent, quand on parle de promotion des langues nationales, ce sont les enfants des pauvres qui sont concernés.

C’est pourquoi le concept de promotion des langues nationales est négligé, voire boudé.

Quelles assurances pouvez-vous donner aux Maliens afin qu’ils s’impliquent?

Je suis d’accord que tout ne s’est pas toujours fait dans les règles de l’art. De plus, les enseignants chargés de dispenser les cours n’étaient pas bien formés. Aujourd’hui, les ressources humaines et la volonté politique existent. Nous nous baserons sur les erreurs du passé pour nous améliorer. A part les pays arabes, qui se sont développés à travers leurs langues, aucun autre pays en Afrique ne l’a fait.

Comment le Mali pourra-t-il y parvenir?

Non, le Mali ne le fera pas tout seul. Pour preuve, l’Union Africaine s’y est, elle-même, investie. Il y a des organismes régionaux et sous-régionaux qui s’en occupent actuellement. Comme on le voit, il y a une prise de conscience pour que la promotion des langues nationales soit une réalité. Mais c’est un travail de longue haleine. Revenons à l’instruction civique.

Qui concerne-t-elle? L’instruction civique et l’éducation à la citoyenneté concernent tout le monde. Pour les enfants, cela concerne l’aspect éducation au sein de la famille, à l’école et dans la société en général. Pour les générations adultes, il faudra passer par la sensibilisation et l’information. Il faut que cela soit intensifié et soutenu pour avoir des résultats palpables. Nous étions un exemple dans ce domaine, mais nous avons baissé les bras…

Quand? La 1ère République a pris des décisions importantes dans le cadre de l’instruction civique…

Avec des résultats ?

J’en suis un pur produit. Je suis mieux éduqué que mon enfant et plus discipliné que lui. Si nous soutenons le processus, nous verrons que le Mali retrouvera ses lettres de noblesse. L’instruction civique peut-elle influer sur la bonne gouvernance et la lutte contre la corruption… Bien sûr! Nous avons l’un de nos camarades qui a toujours soutenu que, de tous les cadres qui ont participé au mouvement pionnier sous la 1ère République, aucun n’a jamais comparu devant un juge pour détournement. On ne connaissait pas le détournement. C’était très rare.

Aujourd’hui, c’est la clé du système. Celui qui ne détourne pas reste en dehors. C’est dire à quel point il y a une inversion des valeurs. Nous pouvons réussir si nous réussissons à sortir nos concitoyens de cette spirale. Quelles sont les valeurs que vous voulez transmettre aux Maliens dans le cadre de l’instruction civique? Il faut d’abord qu’on soit fier d’être Malien. Il faut qu’on développe tous les sentiments liés à la dignité de l’homme lui-même. Il faut être un patriote et un bon citoyen. On peut le faire, car cela se fait ailleurs. Cela se fait dans les pays développés et dans certains moins développés. Il faut que le bien public soit respecté. Il faut savoir mériter la confiance de chaque citoyen et de son pays.

Propos recueillis par Chahana Takiou et Paul Mben 07/11/2012