Chronique du vendredi / Démocratie du pétrole et silence des faibles

Kadhafi, lui, ne croyait pas pour un sou en la démocratie libérale qu’il prenait d’ailleurs plaisir à pourfendre. Sa constitution c’était le livre vert qui était surréaliste en plusieurs points mais il avait pu l’imposer à un peuple privé certes d’urnes mais devenu en quatre décennies un des plus aisés de la planète. La preuve : aucun Libyen n’est en location, tous ont droit à la gratuité de l’éducation et de la santé et le package financier au service de la politique nataliste promue par le Guide était plus qu’incitatif. Contrairement à la Côte d’Ivoire qui, elle, avait plutôt régressé sous l’ère Gbagbo. Il reste vrai qu’un peuple a autant besoin de pain que de libertés et de ce point de vue, la Libye de Kadhafi était loin d’être un modèle.

Tout le problème était là. Il ne peut être sous-estimé, sauf pour ceux qui, analysent hors de Tripoli et de Benghazi, à mille lieux des réalités du peuple libyen. Nombre de chefs africains pourtant, même issus d’élections qui n’ont généralement de démocratique que l’apparence, sont des autocrates.

Les cultures locales ne s’y opposent pas trop, du reste. Comme du reste, celle de l’Occident qui a jusque-là, par sa boulimie de l’or noir, toléré et même courtisé des pétromonarchies parmi les rares îlots d’absolutisme qui restent à la planète. On peut dire que la Libye avait trop nationalisé son secteur du pétrole et que les « majors » n’aiment pas ça. On peut dire que l’Occident a eu peur de la réédition des massacres de Benghazi et a dû anticiper avant de s’apercevoir que les insurgés ne pesaient rien. On peut dire enfin que pour des raisons géostratégiques, il n’était pas tolérable d’avoir un Libye totalitariste de part et d’autre de la Tunisie et de l’Egypte libérées.

La réunion du Conseil de Paix et de Sécurité qui s’ouvre aujourd’hui à Addis-Abeba ne se donnera peut-être pas le temps de faire l’économie morale de la résolution 1973 et de son application. Pourtant, l’organisation continentale sait décrypter et ne peut pas apprécier d’avoir été traitée par-dessus la jambe, du début à cette phase des opérations.

Le dernier affront étant que l’Occident associe la Ligue Arabe à ses rencontres mais pas l’Union africaine, comme si la Libye n’était pas un membre de cette organisation et comme si ce n’était pas un pays africain. De plus, l’Ua avait une position inspirée par le panel des cinq chefs d’Etats qui s’étaient rendus à Tripoli et Benghazi. Pour l’Otan, ces propositions ne valaient même pas le papier sur lequel elles étaient écrites. Addis joue donc sa crédibilité ce vendredi. Elle ne peut pas endosser le Cnt sans justifier le mépris que la coalition a eu pour elle. Même Koffi Annan excédé par l’unilatéralisme américain avait osé parler de forces d’occupation de l’Iran en son temps.

L’Ua dira-t-elle la même chose ? Sans doute non, car beaucoup de ses Etats ont déjà reconnu le Cnt. C’est peut-être pour éviter d’être présent à l’adoubement de cette institution que le président Touré a décidé de se faire représenter à la réunion du panel qui s’ouvre dans la capitale éthiopienne dans la foulée de la session de l’Ua. Car la Libye au stade actuel ne nous pose pas, à nous Maliens, que le seul problème de l’avenir des investissements du Guide dans notre pays. Elle nous pose également un problème de conscience et de realpolitik. Conscience parce qu’un pays qui doit sa démocratie à une insurrection ne peut pas ne pas avoir un petit frémissement pour les aspirations du peuple de Benghazi.

Mais realpolitik parce que l’axe Tripoli-Bamako était trop fort pour que nous retournions la veste comme d’autres. Conclusion : un bel embarras. Que traduit le communiqué du gouvernement sur la question. Il n’a pas du tout évoqué le Cnt, à plus forte raison le reconnaître. Mais il n’a pas, non plus, condamné l’action de l’Occident contre la Libye, bien que le temps et les contingences aient prouvé que les missiles et les bombes lâchés contre ce pays avaient tout comme objectif, sauf la démocratie.

Adam Thiam

Le Républicain 26/08/2011