Souleymane Cissé : « Bamako subit l’emprise d’une mafia »

Souleymane Cissé, cinéaste malien.

Le cinéaste malien dénonce les «magouilles de promoteurs corrompus et fonctionnaires véreux», qu’il accuse d’installer un climat de tension sociale propice à la radicalisation et à la guerre civile au Mali.

Vu de France, on pense que le principal problème du Mali c’est le terrorisme, qu’en pensent les Maliens ?

Pour nous, le terrorisme est un problème, mais ce n’est pas le principal. Ce qui inquiète le plus les Maliens, c’est la question du foncier. Tout propriétaire peut se retrouver à la rue du jour au lendemain. Cela dure depuis plus de vingt ans et cela touche des milliers de personnes. Le phénomène a pris tellement racine qu’on ne sait plus par quel bout le prendre ! Bamako subit l’emprise d’une mafia.

Vous avez tourné un film «O Ka» (Notre Maison) qui raconte comment vos sœurs ont été expulsées, comment cela s’est-il passé ?

C’est un film nécessaire et indispensable pour mes sœurs. J’aurais pu prendre des comédiens, mais j’ai préféré qu’elles jouent leur propre rôle pour mieux exprimer leur humiliation. Mes quatre sœurs vivaient dans cette maison de famille, où j’ai grandi et où les Cissé vivent depuis plus d’un siècle. Elle se trouve à Bozola, le plus vieux quartier de Bamako. Un jour en 2008, nos voisins les Diakité ont présenté un acte de propriété plus récent que le nôtre et prétendu que cette maison était la leur. Alors que tout le monde dans le quartier savait qu’elle avait toujours appartenu à notre famille.

Pourquoi le tribunal a-t-il tranché en leur faveur ?

Le tribunal n’a pas tranché, il a décidé qu’il n’était pas compétent pour juger. Puis les magouilles ont commencé et quelques pots-de-vin, plus tard un acte d’expulsion a été émis contre mes quatre sœurs dont la plus âgée avait plus de 84 ans.

Vous reconstituez leur expulsion dans les cris et les pleurs, cela s’est-il passé de cette manière là ?

Oui et mes sœurs ont décidé de rester dehors où elles ont vécu pendant trois mois. Quelle humiliation à l’âge de 74 à 84 ans ! La plus âgée est morte depuis. Beaucoup de personnes âgées qui subissent ces humiliations n’y survivent pas.

Pourtant, dans un jugement en octobre dernier, votre maison vous a été restituée.
Oui, il a fallu attendre cinq ans ! Mais nous ne sommes pas les seuls et de nombreuses propriétés saisies sont détruites chaque jour puis transformées en magasins ou en complexes immobiliers. Tout cela profite en silence à des promoteurs corrompus et des fonctionnaires véreux. Il y a deux mois, la moitié d’un quartier entier à Bamako a été démolie ! C’est très grave. Si on ne trouve pas de solution, cela peut dégénérer et provoquer une guerre civile.

Vous êtes une figure connue du monde culturel malien, n’avez-vous pas tiré la sonnette d’alarme ?

Je le fais en permanence, je le fais avec ce film. J’en ai parlé au chef de l’Etat de l’époque Amadou Toumani Touré. Il m’a dit: «On va voir». Il ne voulait pas se mêler des problèmes de concession…

Le président actuel Ibrahim Boubacar Keïta non plus ne semble vouloir s’en mêler ?

Si, il nous a soutenus puisqu’il a aidé ce film en partie. Il est conscient de ce problème, mais il est assailli de toutes parts. Quand cela nous arrive, on ne sait pas à qui s’adresser. Heureusement, parfois il y a de bonnes surprises comme ce président de tribunal qui a manifesté. Puis des journalistes connus au Mali comme Adama Dramé du journal «Le Sphinx», Assane Kone du journal «Republicain» et Kassim Traoré «Kledu» ont dénoncé le problème. Mais les coupables sont toujours couverts.

Votre film sera-t-il diffusé au Mali, si oui dans quelles salles ?

Avant il y avait de nombreuses salles de cinéma à Bamako. Lorsque j’étais petit dans les années 50, j’allais au cinéma tous les jours. Aujourd’hui, il n’y en a presque plus, je loue des salles de conférence dans les hôtels pour faire des projections. J’en ai loué à l’hôtel Radisson où il y a eu ces terribles attentats. Voyez le terrorisme dont vous me parliez, c’est un phénomène ponctuel qui nous tombe dessus. Personne bien sûr ne savait quand, ni où, il allait frapper, mais on sentait que cela allait se produire. Quel intellectuel au Mali peut-il dire qu’il ne l’a pas vu venir ? Aujourd’hui, chaque famille compte un terroriste «dormant» potentiel en son sein. C’est aussi la conséquence malheureuse de toutes ces injustices. Le sentiment d’injustice a créé la frustration. Face à la violence, il faut lutter contre l’injustice. Il faudra un jour restituer les propriétés spoliées. J’ai bon espoir que la jeunesse montre l’exemple.

Source : Paris Match

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