Entretien avec Lassine Sidibé, Chef de l’UPA de la CPS du Secteur Education:

Lassine Sidibé: L’explosion des établissements est une conséquence de l’explosion démographique et donc de celle des effectifs scolarisables à ce niveau d’enseignement. Je m’en réjouis, car les structures étatiques ne peuvent pas résorber seules le flux d’élèves qui tapent à la porte du secondaire.

Peut-on avoir une idée du nombre exact des lycées et des établissements techniques et professionnels privés à l’heure actuelle au Mali?

En 2012, les élèves ont été orientés dans 757 établissements d’enseignement secondaire, dont 669 privés et 88 publics. En plus de ceux-ci, il existe un certain nombre d’établissements privés qui n’ont pas été certifiés par les Académies d’Enseignement, car ils n’ont pas respecté les critères pour être habilités à accueillir des élèves de l’Etat.

Quels sont les critères qu’un promoteur d’école privée doit impérativement respecter?

Les conditions à remplir par un établissement privé pour recevoir des élèves orientés par l’Etat sont les suivantes: existence d’infrastructures adaptées; existence de matériels didactiques appropriés; présence d’enseignants et de personnels administratifs qualifiés constatée par les services compétents, qui sont l’Inspection Générale de l’Education Nationale (IGEN),  la Direction Nationale de l’Enseignement Secondaire Général (DNESG), la Direction Nationale de l’Enseignement Technique et Professionnel (DNETP) et les Académies d’Enseignement (AE); le respect des dispositions législatives et réglementaires en matière de gestion d’école.

Quid de la reconnaissance des diplômes des établissements techniques et professionnels par l’Etat malien?

Les élèves des établissements privés composent en même temps que ceux du public, sur les mêmes sujets d’examen. Le problème de reconnaissance du diplôme ne se pose donc pas.

Que se passe-t-il quand un promoteur d’école privée ne respecte pas les normes établies?

Le non-respect des normes par un établissement privé doit être sanctionné par sa fermeture pure et simple.

Dans quelle mesure les écoles privées aident-elles l’Etat malien à prendre en charge la demande sociale, toujours croissante, en matière d’éducation dans notre pays?

Le partenariat entre l’Etat et le privé permet de donner sa chance à un nombre très important d’élèves pour poursuivre des études après l’obtention du Diplôme d’Etudes Fondamentales (DEF). En 2012, plus de 60 000 élèves ont été orientés. La capacité d’accueil des structures publiques est trop insuffisante pour accueillir tous ces élèves.

Quels rapports voyez-vous entre l’éducation et le développement?

Un homme éduqué est celui qui participe à la vie de la cité, qui possède des aptitudes lui permettant de subvenir à tous ses besoins et à veiller sur sa propre santé et sur celle des siens. Il peut ainsi contribuer pleinement à la production de la richesse nationale.

Quelles sont les principales caractéristiques des écoles privées au Mali?

Deux groupes d’écoles privées coexistent. Celles qui sont caractérisées par la faiblesse des moyens humains et financiers et qui fonctionnent uniquement grâce aux subventions payées par l’Etat suite à l’orientation d’élèves dans leurs structures et celles qui possèdent des infrastructures à hauteur de souhait, recrutent et payent régulièrement des enseignants qualifiés et peuvent honorer tous leurs engagements sans attendre trop de l’Etat.

Quelles solutions préconisez-vous face à la baisse du niveau académique des élèves à laquelle on assiste depuis des années?

Recruter et former beaucoup d’enseignants qualifiés, construire et équiper les salles de classe, motiver davantage les enseignants et surtout sensibiliser les parents d’élèves et les comités de gestion scolaire à s’impliquer davantage dans le suivi des enfants scolarisés.

Qu’attendez-vous par motiver les enseignants en classe?

Il est vrai qu’on a fait la hiérarchisation il y a quelques années, mais nous pensons qu’on peut accorder aujourd’hui des primes substantielles aux enseignants qui sont vraiment en classe, parce qu’il y a beaucoup d’enseignants qui fuient les salles de cours pour l’administration scolaire, comme c’est d’ailleurs mon cas. J’étais professeur de mathématiques pendant des années, mais, suite à une formation en DESS, j’ai cherché à être muté à la Cellule de Planification et de Statistiques. Je sais qu’il y en a beaucoup qui pensant qu’ils ne sont pas bien traités. Ils préfèrent quitter les salles de classe pour l’administration scolaire, même s’ils ne gagnent pas substantiellement. Donc, si on accorde des primes valorisantes à ceux qui restent en classe, je pense que c’est un facteur qui permettra de les maintenir et de les motiver. Il y a aussi la gestion des carrières qu’il faut revoir à ce niveau. C’est-à-dire que tout ce que les enseignants font comme formation continue doit entrer dans la valorisation de leur carrière et il faut faire en sorte qu’un enseignant qui le mérite soit promu à des postes de responsabilité, comme les directions d’écoles par exemple. Pour la petite histoire, il y a des enseignants qui peuvent rester au même niveau d’enseignement pendant trente ou trente-cinq ans, sans être nommés à une direction alors qu’ils le méritent pourtant. D’un autre côté, il y a des jeunes qui, grâce à leurs relations, se voient promus à des postes de responsabilité, alors qu’il y a des enseignants chevronnés qui le méritent plus.

L’insuffisance des infrastructures scolaires, avec son corollaire de pléthore des effectifs, n’y est-elle pas pour quelque chose?

En partie!

Dans quelle mesure la crise que nous vivons a-t-elle impacté négativement le secteur de l’éducation?

La crise est institutionnelle et sécuritaire a contribué au retrait de beaucoup de PTF (Partenaires techniques et financiers), ce qui a réduit considérablement les marges de manœuvre du Gouvernement dans le financement de plusieurs secteurs, dont celui de l’Education. De plus, la crise sécuritaire a entraîné le déplacement massif d’élèves et d’enseignants ainsi que la fermeture d’écoles.

Où en est-on avec la reprise de la coopération avec les partenaires techniques et financiers?

Certains PTF commencent à annoncer leur retour. L’espoir est permis de ce côté! D’autres sont restés, mais en procédant à l’expérimentation de nouvelles modalités de financement, afin de satisfaire un tant soit peu la demande sociale. Ils sont à remercier infiniment.

Quels sont vos projets à moyen et long termes?

Tout d’abord l’évaluation du PRODEC (Programme Décennal de Développement de l’Education), puis l’élaboration et la mise en œuvre d’un second, le PRODEC 2.

Avez-vous un appel à lancer aux promoteurs d’écoles, aux parents d’élèves, à l’Etat malien?

A toutes et à tous les promoteurs d’établissements, je demande plus de rigueur dans la gestion de leurs établissements. Aux parents, je souhaite de s’impliquer davantage dans le suivi de leurs enfants à l’école. Quant à l’Etat, à travers les services techniques des départements en charge de l’Education, son rôle est de mieux organiser et contrôler les écoles privées, en veillant à l’amélioration de leur qualité. Cela est aussi valable pour l’enseignement public.

Votre mot de la fin?

L’école est l’affaire de toutes et de tous. Si le Secteur Education marche, alors il n’y a pas de raison pour que les autres secteurs ne lui emboîtent pas le pas. Je souhaite que l’Etat, les Collectivités Territoriales et tous les partenaires de l’école (Comités de Gestion Scolaire, Associations de Parents d’Elèves, Syndicats d’enseignants, Promoteurs d’Ecoles Privées) s’investissent davantage dans l’amélioration des conditions d’études dans toutes les structures, publiques comme privées.

Propos recueillis par Yaya Sidibé

Le 22 Septembre 2013-04-11 14:23:25