ECOLES PRIVEES AU MALI: Une pléthore qui affecte la qualité de l’enseignement

Mme Sidibé Dédéou Ousmane, ministre de l’Education nationale

Centre d’excellence pendant de longues années, les structures privées d’enseignement poussent comme des champignons dans notre pays. Une pléthore qui, malheureusement, n’est plus gage de qualité voire d’excellence car plus liée à la rentabilité financière  privilégiée aux dépens de la pédagogie.

Pour la rentrée scolaire 2021-2022 (qui tire vers la fin), notre système scolaire compte combien d’écoles privées (fondamentales et secondaires) ? C’est la question que nous avions posée sur Facebook (après avoir frappé en vain à plusieurs portes). Et les différentes réactions nous ont conforté dans notre conviction que les structures de l’éducation privée échappent de plus en plus au contrôle de l’Etat.

«Même le ministre de l’Education nationale ne peut répondre à cette question car il y a plus d’écoles non autorisées qu’autorisées. C’est comme si tu demandais le nombre de cliniques et de structures privées de santé. A Bamako par exemple, le constat est que chaque rue a son école privée». Il est vrai qu’il nous a fallu frapper à plusieurs portes et bénéficier d’un concours de circonstance pour mettre la main sur quelques chiffres. Ainsi, pour l’année scolaire 2021-2022, le ministère de l’Education nationale a enregistré 14 530 établissements au niveau du premier cycle fondamental, 4 962 au niveau du second cycle et  2 963 au niveau du secondaire.

«La difficulté d’avoir les chiffres ne doit pas vous surprendre parce que le nombre d’écoles privées fait l’objet de spéculations financières», ironise un ancien promoteur d’établissement privé qui a passé la main à son fils. Selon lui, la Banque mondiale et le FMI ont contraint nos Etats à la privatisation pour détruire nos systèmes (éducation et sanitaire) «répondant à nos besoins, mais ne faisant pas leurs affaires». Un point de vue partagé par de nombreux autres interlocuteurs.

Et ils nous rappellent ces propos à attribuer à un sage de la Chine qui (il y a de cela plusieurs siècles) confia à son empereur que «si vous voulez détruire un pays ennemi, inutile de lui faire une guerre sanglante qui pourrait durer des décennies et coûter cher en pertes humaines. Il suffit de détruire son système d’éducation et d’y généraliser la corruption. Ensuite, il faut attendre vingt ans et vous aurez un pays constitué d’ignorants et dirigé par des voleurs. Il vous sera alors très facile de les vaincre» !

En Afrique, les Programmes d’ajustement structurel (PAS) imposés par le FMI et la Banque mondiale dans les années 80 ont en effet favorisé une forte libéralisation dans de nombreux secteur, notamment celui de la Santé et de l’Education nationale.  L’avènement de la démocratie au Mali en mars 1991 a accentué le mouvement en donnant un coup de fouet à la création des écoles privées au Mali. Ainsi, une multitude d’établissements scolaires privés pullulent dans le District de Bamako, les régions et les cercles à l’intérieur du pays. Une prolifération que certains lient aussi à la déstructuration de l’Ecole publique.

«Si les écoles publiques avaient su conserver la même qualité d’enseignement personne n’aurait envoyé ses enfants aux privées», a ainsi défendu un participant aux Assises nationales de la refondation (ANR, phase communale) en décembre 2021. Et les différentes reformes (La réforme de l’enseignement de 1962 ; la Nouvelle école fondamentale/NEF ; le Programme décennal de développement de l’éducation/PRODEC et la Réforme licence-master-doctorat/LMD) ont donc fini par priver l’Ecole publique de tous ses atouts. 

70 % de l’effectif global des écoles au Mali, il y a quelques années

L’histoire des écoles privées au Mali a débuté en 1994 avec l’adoption de la première loi ouvrant le secteur de l’éducation à l’enseignement privé pour combler le déficit que le public n’arrivait pas à combler. En effet, l’Etat n’avait plus une capacité d’accueil suffisante  pour tous les enfants  du pays en âge d’être scolarisés. De nombreux parents interrogés expliquent leur engouement pour ces écoles privées par «la crise du système éducatif au niveau du public qui se manifeste par une baisse significative du niveau des apprenants, les  mouvements de grèves intempestives des élèves et étudiants et des enseignants qui,  au fil des décennies, ont  perturbé le déroulement normal des cours».

Difficile de dire le contraire compte tenu de ce qui se passe dans nos écoles publiques prises en otage pendant les deux précédentes années scolaires par la Synergie des syndicats de l’éducation signataires du 15 octobre 2016 qui revendique la mise en œuvre intégrale de l’article 39 de la Loi N° 2018-007 du 16 janvier 2018. Et cette revendication (qui n’a plus pourtant sa raison d’être après l’harmonisation des grilles de salaires) plane encore sur l’année scolaire cette année comme un épée de Damoclès.

Toujours est-il que, depuis la libéralisation du secteur de l’Education au Mali, les structures privées n’ont cessé de croître. Aujourd’hui, indiquent certaines sources, elles dépassent largement le nombre d’écoles publiques. Même si les chiffres communiqués par le département de tutelle prouvent le contraire au niveau du fondamental et du secondaire. Ces écoles sont régies par la loi N° 2012-013 du 24 février  2012  et son décret  d’application N°2012 588 P-RM du 8 octobre 2012 qui déterminent  les conditions de création et d’ouverture des établissements scolaires  au Mali.

Ce décret  s’applique  aux établissements d’enseignement privés préscolaires, fondamental, secondaire général, technique et professionnel, de l’enseignement supérieur et l’éducation spécialisée pour les enfants en situation de handicap (mal voyants, déficients auditifs). Représentant (il y a quelques années) plus de 70 % de l’effectif global des écoles au Mali  contre 23 %  pour les lycées publics, les écoles privées concourent à la distribution du service public de l’éducation nationale qui constitue un droit constitutionnel  consacré par la loi fondamental du 25 février 1992. Elles  contribuent au renforcement du taux de la scolarisation  et aident l’Etat dans sa  mission d’éducation de tous les fils de la nation  afin de forger un citoyen modèle, libre, éclairé et capable d’apporter sa pierre à l’édification de la nation. 

Mais, si ces établissements et groupes privés contribuent à favoriser l’accès de nos enfants à leur droit inaliénable d’accès à l’éducation, c’est de plus en plus au détriment de la qualité. Et cela d’autant plus que l’ouverture de ces établissements répond à une volonté de faire fortune qu’à dispenser un enseignement de qualité.

Moussa Bolly