Charles Grémont, anthropologue, parle du Nord Mali


Le Républicain : Où avez-vous séjourné dans le cadre de cette thèse et pour combien de temps ?

Charles Grémont : Mon terrain c’était Menaka, Gao et Kidal, de 1994 à 2002. Une trentaine de mois en tout mais discontinus.

Pourquoi avez-vous choisi d’étudier les Iwellemmedan ?

Le projet c’était de mettre les rébellions des années 1990 dans une perspective historique. Ensuite de comprendre les logiques de la révolte en zone nomade aussi bien durant la domination coloniale qu’après. La rencontre de l’anthropologue français André Bourgeot m’a mis sur la piste de Fihrun, l’amenokal, c’est-à-dire de la tribu des Iwllemeden de l’Ouest.

Alors est-ce que vous avez compris les causes de ces rébellions ?

En 1916, Fihrun s’est révolté dans l’espoir de conserver la prééminence politique des Iwellemmedan menacée par  l’administration coloniale. Mais ce n’était pas une révolte inéluctable : elle a été favorisée par un ensemble de facteurs conjoncturels tels qu’une série d’actes jugés humiliants par l’Amenokal et l’existence présumée d’un complot des auxiliaires de l’administration coloniale contre la personne de Fihrun.

Quid des rébellions des années 1990 ?

C’est certainement un ensemble de facteurs qui les explique : la méfiance à l’’égard des Touaregs qui est une survivance de l’époque coloniale, le fait que cette communauté se sentait stigmatisée, les relations difficiles avec le pouvoir central, l’esprit de revanche sans doute nourri par une partie de la communauté touarègue à la suite de la répression féroce de la révolte de l’Adrar, (Kidal) en 1963. Les causes plus récentes sont à rechercher dans la précarité de l’économie pastorale due aux sécheresses des années 1970 à 1984, l’exode des jeunes vers l’Algérie et la Libye où beaucoup d’entre eux ont été enrôlés dans les rangs de l’armée libyenne.

En 2011, les réalités du Nord sont bien plus différentes aujourd’hui avec Aqmi et le narcotrafic.

Effectivement, le contexte a considérablement évolué, entre la rébellion du 23 mai 2006, le développement du narcotrafic et l’enlèvement d’otages occidentaux. Le narcotrafic, comme vous le savez, est une chaîne dont l’espace Sahélo-saharien n’est qu’un maillon. Quant à Aqmi, le noyau historique est le GIA algérien, c’est connu. Mais, il est vrai que tout cela est dangereux pour une jeunesse du Nord qui est désœuvrée et qui est sensible aux sirènes de la consommation, Thuraya, Gps, grosses cylindrées.

Regardez-moi droit dans les yeux et dites-moi si l’Occident fait bien de déconseiller à ses ressortissants de se rendre au Mali, au Niger, en Mauritanie.

Il est compréhensible que les Etats protègent leurs ressortissants. Mais le drame  est que ce sont les populations qui sont les premières touchées par ces mesures, ce qui les rend encore plus vulnérables économiquement. Pendant que les touristes eux iront ailleurs.

Propos recueillis par Adam Thiam 31/01/2011