TRIBUNE : De la nullité des irrégularités des mariages célébrés dans le district de Bamako et environnant

TRIBUNE : De la nullité des irrégularités des mariages célébrés dans le district de Bamako et environnant

« Il faut que le droit soit compatible avec les aspirations des peuples et l’opinion publique pour que le corps social ne le rejette pas. Sinon, faute de pénétrer dans l’ordre juridique, il reste lettre-morte et perd toute efficacité ».En droit lorsqu’un problème se pose, il faut se référer au droit positif c’est-à-dire l’ensemble des textes applicables en la matière. Opérer un choix juridique revient ainsi à opérer un choix politique sur le type de société à laquelle l’on compte adhérer.L’harmonie du corps social se conçoit assez facilement lorsque l’équilibre règne dans la gouvernance. Lorsque les gouvernants (ceux chargés d’élaborer et de faire appliquer les lois) jouent un rôle actif vis-à-vis des gouvernés (ceux chargés d’observer et de respecter les lois). Or, l’institution devient problématique lorsque ceux, chargés de l’application de la loi, se trompent de textes applicables. Telle est la question du régime de la célébration du mariage par la plupart des centres d’état-civil de Bamako et environnant.En effet, au Mali, le mariage est une tradition ancienne dont la conception diffère d’une ethnie à une autre et que les religions reconnaissent et règlementent. Il est important de révéler cependant que le contact du Mali avec la civilisation occidentale a complètement influencé le régime du mariage au Mali. Nous pouvons citer le décret Mandel du 9 juin 1939, qui déclarait nulle, toute convention matrimoniale faite sans le consentement de la fille ou concernant la fille impubère. Enfin, qui autorisait la veuve à se remarier selon sa volonté.Donc, une conception du mariage que l’on avait voulu collectiviste du point de vue coutumier est devenue personnelle avec le contact du droit malien avec la civilisation occidentale. Cette personnalisation est une règle que le droit connait, même si la pratique au Mali, ne le confirme pas dans les faits.Pour reprendre Seydou Badian Kouyaté dans « Sous l’orage » : « Le mariage n’est pas une plaisanterie ! ». Nous faisons notre cette assertion et nous la recollons à la thèse d’après laquelle : l’amont et l’aval du mariage peuvent générer de sérieux contentieux juridiques.Cette thèse apparait comme une inquiétude que le droit règlemente et que les réalités confirment. Il existe des préalables avant la célébration du mariage civil (les fiançailles) et une fois célébré, le mariage renvoie à une institution encore plus importante en droit qu’est : la famille.C’est dans le souci de réunir l’arsenal juridique nécessaire à la règlementation des droits et devoirs des futurs époux depuis la période des fiançailles, la célébration du mariage, la réglementation des régimes matrimoniaux et des éventuelles questions successorales que le législateur malien a tenu à mettre en place un code ou du moins des codes.Pourtant, la majorité des autorités chargées de la célébration du mariage et par extension de l’application du code dans le district de Bamako et environnant (que nous connaissons mieux), semblent se tromper de code applicable ou si elles le trouvent, elles l’interprètent mal.Ces travaux permettraient de relever quelques erreurs si fréquentes en pratique mais pourtant si facilement évitables de la part des gouvernants, voire des gouvernés. D’où les développements qui suivront et qui seront respectivement consacrés non seulement à la recherche du code applicable à la célébration du mariage au Mali mais aussi et surtout aux questions du prix de la dot, de l’utilité par l’officier d’état-civil, de permettre l’opposition lors de la célébration du mariage.Nous allons donc, nous efforcer de trouver le code applicable à la cérémonie du mariage (I) avant de nous appliquer à relever certaines erreurs pratiques susceptibles d’entraver la légitimité du mariage (II).

La recherche du code applicable à la célébration du mariage au MaliMême si rien ne justifie le fait que les officiers d’état-civil se trompent de code applicable aux cérémonies de mariage, beaucoup de choses l’expliquent. Un appel à un retour sur l’historique s’impose donc pour trouver le code applicable.L’historique législatifPoint n’est plus besoin de prouver que le Soudan français (ancien nom du Mali) a secrété de véritables droits régissant la famille avant la colonisation. Le choc des cultures du fait de la colonisation entrainant une acculturation du Soudan français. Une majorité analphabète insistant sur les traditions et les religions et une minorité intellectuelle formée à l’image du colonisateur aspirant vers de règles plus modernes.  Un fossé se crée entre les deux masses. C’est ce fossé qui explique l’absence de textes sur le régime du mariage et par extension du droit de la famille au Mali entre la période de 1960 à 1962. Car on ne savait pas sur plan légiférer (droit moderne ou coutumier ?)La loi n°62-17 AN-RM DU 3 février 1962 vient instituer le code du mariage et de la tutelle, régissant donc les questions des conditions du mariage, d’éventuels divorces, de régimes matrimoniaux et de la tutelle. Ce code demeurait donc le fondement textuel légitime pour célébrer le mariage au Mali jusqu’en 2011.La loi n°2011-087 du 30 décembre 2011 votée par l’Assemblée nationale du Mali est donc venue en substitution au code du mariage et de la tutelle de 1962.Rappelons toutefois que ladite loi a fait l’objet de vives contestations en 2009. Son contenu, étant jugé par la population être, en désaccord avec certains principes de la religion musulmane et certaines réalités sociales. Le président Amadou Toumani Touré ordonnait sa relecture avant sa promulgation et publication en 2011.

  1. Le fondement de la légitimé du CFPNommé nouveau Code des personnes et de la famille (CPF) du Mali, ce texte est censé absorber toutes les dispositions de l’ancien code (code du mariage et de la tutelle). Si le fait que les autorités continuent de célébrer les mariages avec l’ancien code puisse constituer un baraquement de planches très solide provisoirement l’on ne saurait espérer en faire un abri juridiquement. Un mariage célébré par le code du mariage après 2011 n’en est pas un, il est nul et sans effet juridiquement. C’est ce qui ressort de la lecture de l’article 1146 du Code des personnes et de famille.Le fondement de la légitimité du CPF se motive doublement sur le fond.D’abord, une simple recherche sur Google à l’adresse SGG Mali-secrétariat général du gouvernement du Mali/droit malien (à l’option sur les barres en haut à gauche)/code en vigueur (pour trouver parmi les 19 codes en vigueur), le CPF et non le code du mariage et de la tutelle.Enfin par le biais de la résolution en droit des conflits de lois dans le temps au plan interne. Lorsque les conditions sont réunies, l’ancienne loi (code) devant s’effacer pour faire place à la nouvelle (code). Mais comment appliquer quelque chose qu’on ne connait pas ? Ce qui nous renvoie à la nécessité de formation des officiers d’état-civil au Mali. Relevons toutefois qu’il existe bien certains centres d’état-civil ayant pu s’adapter à l’évolution juridique et législative. Ainsi, même avec le Code des personnes et de la famille en mains comme fondement textuel de la célébration du mariage, ils commettent, en pratique, des erreurs juridiquement lourdes de conséquences au point de rendre nul le dit mariage célébré.

 Des irrégularités pratiquesVoyons ensemble, les deux principales erreurs parmi d’autres.De la question du prix de la dotTout en nous réjouissant de la règlementation des fiançailles et d’autres questions importantes dans le nouveau code, la question du prix de la dot est abordée dans à l’article 288 du Code des personnes et de la famille qui dispose : « La dot est obligatoire et a un caractère symbolique. Elle ne peut en aucun cas excéder la somme de 15 000 francs. Elle ne peut donner lieu à restitution qu’en cas de non consommation du mariage du fait de l’épouse ».C’est donc à tort juridiquement que les officiers d’état-civil exigent le paiement de 15 000 francs dans leur intégralité.  Selon le petit dictionnaire Larousse illustré 2004, page 208, le mot « excéder » signifie dépasser en nombre ou outrepasser. Il en découle donc que l’expression de l’article 288 du Code des personnes et de la famille : « Elle ne peut en aucun cas excéder la somme de 15 000 francs ». Voudra dire ne pas dépasser et non être supérieur ou égale à.Rappelons que la solution ancienne proposée par le code du mariage et de la tutelle en son article 3 : « Lorsqu’ils sont exigés par la coutume, la dot et les présents en vue du mariage ne pourront en leur totalité dépasser en valeur vingt mille francs en ce qui concerne la jeune fille et dix mille francs en ce qui concerne la femme », est changé par le CPF pour un souci d’égalité des droits de la femme. Jugeant ainsi discriminatoire cette différence de prix de la dot selon que la femme avait déjà été mariée ou pas.De même, que le droit coutumier (coutume et religions) de plusieurs ethnies du Mali demande 10 000 francs. La persistance de cette coutume de nos jours se trouve être en phase avec le droit pour la simple et bonne raison que la somme de 10 000 francs n’excède pas celle de 15 000 francs juridiquement indiquée. Le problème fondamental vient de l’exigence des 15 000 francs dans leur intégralité.En plus de ce problème, un autre concerne une des conditions de forme de la célébration du mariage au Mali : l’opposition lors de la cérémonie.

De la question de l’opposition

L’on constate également de la part de certains centres d’état-civil la célébration du mariage sans pour autant permettre publiquement les éventuels détenteurs de preuves légales la possibilité de s’opposer sur place lors de la cérémonie. En usant de la formule : « Opposez-vous légitimement à la célébration de cette union ou taisez-vous à tout jamais ». Ce qui restreint considérablement les droits d’actions des victimes du futur mariage. C’est dans le souci de protection de ces victimes légales, du public que le droit impose en amont la publication de banc de la part des futurs époux quinze (15) jours avant la célébration du mariage.

Boubacar Kassé

Doctorant en droit privé

Professeur d’universités