Tour du Rwanda: les revanches de Merhawi Kudus

En tête depuis sa victoire sur la 2e étape, l’Érythréen Merhawi Kudus (Astana) a remporté à Kigali le 11e Tour du Rwanda. Clin d’œil de l’histoire, c’était déjà cette course qui, en 2012, l’avait élevé au rang de jeune prodige. Benjamin de l’épreuve à l’époque, il avait remporté une étape, longtemps porté le maillot jaune, avant de s’écrouler l’avant-dernier jour. Ce succès, sans doute le plus important de sa carrière, est une revanche sur le passé, à plusieurs titres.

De notre envoyé spécial à Kigali,

Les notes de l’hymne érythréen résonnent dans Kigali. Merhawi Kudus peut souffler, profiter, enfin se débarrasser de la nervosité, sa dame noire depuis qu’il est en jaune. Une douce euphorie balaye déjà les souvenirs des trois chutes dont il a été victime depuis le départ. Ultime stigmate, un pansement sur la joue, qu’il décollera bientôt à force de sourire. La dernière de ses cabrioles, hier (samedi), a pourtant failli lui coûter cher. Dans l’affaire, le coureur Astana avait perdu du temps sur ses poursuivants, et surtout de la confiance, de l’assurance.

Heureusement, lui restait la force et l’expérience, pour chasser les démons de 2012 : « Oui, c’est une revanche, mais à l’époque, mes coéquipiers n’étaient pas aussi costauds, détaille-t-il dans un anglais parfait, et je n’avais pas l’expérience pour défendre un maillot jaune. Mais cette fois, même si j’ai fait des erreurs ces derniers jours, j’avais l’une des meilleures équipes du monde à mes côtés. Quand vous évoluez avec des gars aussi forts, c’est une motivation supplémentaire. Maintenant, je ne pense qu’à une chose : confirmer en Europe ».

L’Europe, qu’il devrait retrouver à l’occasion du très relevé Tour de Catalogne (25 – 31 mars), Merhawi Kudus l’a déjà sillonnée, avec son ancienne équipe Dimension Data, sans jamais réussir à briller, que ce soit au Tour de France, le Giro, la Vuelta, ou même sur les courses mineures du calendrier.

Espoir(s) déçu(s)

« Dimension Data était à l’époque une équipe un peu fourre-tout, assez peu cohérente dans son fonctionnement, explique Philippe Le Gars, journaliste au quotidien L’Équipe, spécialiste du cyclisme africain. Très jeune, Kudus a participé aux grands tours, ce qui est assez inhabituel. Il s’est peut-être grillé à ce moment-là ». Ce qui est sûr, c’est que l’Érythréen s’est retrouvé cet été sans contrat, anonyme parmi les anonymes du peloton. Heureusement, la nouvelle parvient aux oreilles d’Alexandre Vinokourov, ancien vainqueur du Tour d’Espagne, champion olympique 2012 et actuel manager général de la puissante formation kazakhe Astana. Séduit par le profil de Merhawi Kudus, Vino l’engage.

Pour Philippe Le Gars, les qualités cyclistes et humaines du natif d’Asmara en font une personnalité appréciée dans le peloton : « Il est particulièrement facile à vivre. J’ai eu l’occasion de parler avec des coureurs, notamment Mark Cavendish, impressionné par son travail quand il devait amener ses sprints au Tour de France ou au Giro. C’est quelqu’un qui travaille, qui ne réclame pas grand-chose et c’est aussi une qualité quand on est coureur cycliste ». Quand on interroge aujourd’hui, Merhawi Kudus sur la fin de son aventure avec la formation sud-africaine, l’Érythréen montre qu’il sait aussi dribbler, en égrenant une série de poncifs de rigueur. En tout cas, ce succès donnera peut-être quelques regrets à ses anciens employeurs.

Merhawi le grand frère

Avec ses deux bouquets (2e, 3e étape) et son maillot jaune, Merhawi Kudus participe aussi à la suprématie de l’Érythrée sur la 11e édition d’une course dominée ces cinq dernières années par les coureurs locaux.

En plus du coureur Astana, deux espoirs de l’équipe nationale ont levé les bras : Biniam Grmay (5e étape) et Yakob Debesay (7e étape). Âgés tous les deux de 19 ans, ils ont épaté la concurrence internationale et affichent de grandes promesses. Quand ils retrouvent sur le podium leur aîné, pour fêter leur victoire dans le classement par équipes, ils sont émus, heureux et fiers de poser avec lui. « C’est un modèle, expliquait Biniam Grmay après sa victoire à Musanze. Il me donne beaucoup de conseils, et comme nous sommes originaires de la même ville, nous allons parfois nous entraîner ensemble. Comme je suis plutôt un sprinteur, il m’apprend à bien grimper et à développer mes qualités en montagne. J’ai envie de lui dire : merci Merhawi ! ».

Une phrase qu’aujourd’hui, en Érythrée, vrai pays de cyclisme, des millions de personnes ont sans doute envie de reprendre.