Soumeylou Boubèye Maïga, chef de la diplomatie malienne, contre «tout partage du territoire»

Soumeylou Boubeye Maiga, (concernant) le massacre d’Aguelhoc, le 24 janvier dernier, on parle de plus de 60 militaires maliens faits prisonniers et exécutés, est-ce que vous confirmez ?

Soumeylou Boubeye Maiga : Oui, je confirme qu’à Aguelhoc, il y a eu plusieurs dizaines de soldats qui ont été faits prisonniers, qui ont été ligotés les mains derrière le dos, et achevés par une balle dans la tête. Il y avait là, clairement, la signature des groupes salafistes qui se trouvaient donc impliqués aux côtés du mouvement qui prétend se battre pour l’indépendance de l’Azawad. Et donc, nous avons envoyé une commission d’enquête, qui est en train de recueillir différents témoignages et rassembler, compléter, les preuves que nous avons déjà, pour voir quelles suites judiciaires éventuellement réserver à cette situation qui est totalement inacceptable au plan national comme au plan international.

RFI : Alors le MNLA reconnaît avoir attaqué Aguelhoc le 24 janvier, tout en affirmant qu’il n’a tué aucun prisonnier.

S.B.M. : Ce que moi je relève, c’est d’abord les massacres qui ont eu lieu. Et je relève aussi que le MNLA ne s’est pas démarqué de ces atrocités. Tous ces groupes, en fait, sont imbriqués les uns dans les autres et passent d’un théâtre à un autre et s’unissent pour combattre l’Etat.

RFI : Les rebelles touaregs du MNLA affirment qu’ils n’ont rien à voir avec les salafistes d’al-Qaïda au Maghreb islamique, Aqmi.

S.B.M. : Vous savez, ce sont des affirmations qui sont toujours faciles à tenir. Ce que moi je relève, c’est ce qui se passe sur le terrain. Maintenant, il est évident que la lutte contre Aqmi a été présentée comme un prétexte pour solliciter des soutiens ici et là, et prétendre qu’eux, ils pourraient combattre les salafistes mieux que l’Etat, et que cela a pu leur bénéficier à un moment ou à un autre. Mais aujourd’hui, je pense que tout le monde réalise la dérive.

RFI : Donc pour vous, le discours anti-al-Qaïda des rebelles touaregs du MNLA, c’est pour séduire les occidentaux, notamment les Français, mais que cela ne tient pas la route ?

S.B.M. : Mais cela ne tient pas du tout la route ! Vous savez qu’il y a des équipes comme ça, qui peuvent tirer profit du drame des otages. Mais ça ne tient pas la route ! Et l’explosion de la violence que nous connaissons, n’aurait jamais été possible s’il n’y avait pas eu l’arrivée sur notre sol, d’éléments et de matériel venus d’ailleurs.

RFI : De matériel venu de Libye?

S.B.M. : Venu de Libye en particulier, oui. D’ailleurs, ceux qui agissent aujourd’hui au nom du mouvement en question, sont des personnes venues de Libye, avec la prétention même de conduire une révolution armée sur le sol malien.

RFI : Depuis les années 1960, les rebelles touaregs n’ont jamais massacré des militaires maliens faits prisonniers. Pourquoi le feraient-ils aujourd’hui ?

S.B.M. : C’est dû au fait, aussi, que c’est une revendication qui ne repose sur aucune base populaire. Et probablement qu’un des calculs, c’était d’entraîner aussi les forces gouvernementales dans des actions de violence contre les populations. Dieu merci, jusqu’à ce jour, il n’y a aucune bavure de la part de l’armée malienne contre des citoyens maliens.

RFI : Vous avez envoyé sur place une commission d’enquête. Est-ce que ces exécutions sommaires ne risquent pas de créer des tensions entre communautés ?

S.B.M. : Non, ces responsables ne sont pas des communautés. Les responsables sont connus. Donc le moment venu, une fois que les résultats de cette commission seront à la disposition du gouvernement, nous verrons les suites judiciaires, au plan national comme au plan international.

RFI : Donc vous ne craignez pas de représailles contre l’Etat ?

S.B.M. : Non. Vous savez, il y a eu des manifestations autour de Bamako, en particulier à Kati qui est ville-garnison dans le nord d’où venaient la plupart des militaires, ceux qui ont été victimes. Ces manifestations-là ont été circonscrites. Malheureusement, cela a pu donner lieu aussi à des débordements qui ont été clairement condamnés par le gouvernement. Et cela peut, malheureusement aussi, conduire plusieurs de nos compatriotes à céder à la propagande et à céder à la panique. Et aujourd’hui, nous essaierons de faire en sorte que tous nos compatriotes qui se retrouvent en dehors des frontières, puissent revenir dans la confiance. Et ceux qui sont déjà revenus, ont pu constater qu’il n’y avait pas de ressentiment, parce que la force de notre nation, c’est l’unité dans sa diversité.

RFI : Mais tout de même, le sujet n’est-il pas très sensible ? Et n’est-ce pas pour cela que vous avez retenu l’information d’Aguelhoc pendant plusieurs jours ?

S.B.M. : Oui, sur ces questions, on attend toujours ce type de communication. Mais nous, nous avions voulu préserver la divulgation de ces faits, jusqu’à en avoir une maîtrise totale, et jusqu’à pouvoir informer les familles, après avoir identifié les victimes. Or, malheureusement, vous savez qu’aujourd’hui il y a plusieurs canaux de communications possibles, et les images ont circulé en dehors du contrôle du gouvernement et nous avons dû, après, agir pour rattraper les débordements qui pouvaient être liés à ces images-là.

RFI : Est-ce que l’élection présidentielle est toujours fixée à fin avril ?

S.B.M. : Oui, pour le moment, même si aujourd’hui, la priorité pour nous c’est de ramener la sécurité. Et dans tous les cas de figure, même si d’aventure les dates que nous avions déjà fixées n’étaient pas possibles pour telle ou telle raison objective, notre Constitution nous offre assez de clés pour la poursuite des procédures démocratiques.

RFI : C’est-à-dire que le premier tour qui était fixé au 29 avril pourrait être repoussé de plusieurs semaines ?

S.B.M. : Je ne le sais pas. En 1992, nous avions connu la même situation. Et à un moment donné, nous avions dû repousser de quelques semaines les élections législatives. Cette fois-ci, je pense que le moment venu, tous les acteurs concernés feront l’évaluation de la situation. Mais il n’y a aucun risque parce que les dispositions de notre Constitution nous offrent assez de marge de manœuvre pour éviter toute rupture constitutionnelle.

RFI : Après la tuerie d’Aguelhoc, est-ce que le dialogue est encore possible ?

S.B.M. : Oui, nous restons ouverts au dialogue. Oui, pour le dialogue et pour tout ce qui peut toucher au partage du pouvoir et sur des bases transposables à l’ensemble du pays, mais non à tout partage du territoire.

Par Christophe Boisbouvier

rfi 14/02/2012