SITUATION AU NORD MALI: Chronique d’une crise récurrente (1)

 

Au cours de cette rencontre, notre directeur de publication, Cheickna Hamalah Sylla, a eu l’honneur de faire une communication sur le thème « Situation au nord Mali : Relations intercommunautaires, cas des Arabes et des Touaregs (1990-2008) ». Avec ces évènements en cours au nord, cette contribution est d’actualité. Nous vous livrons la première partie de cette présentation.

« Situation au nord Mali :

Relations intercommunautaires, cas des Arabes et des Touaregs (1990-2008) »

I. Le Mali

A. Contexte physique et socio-économique

Pays continental d’une superficie de 1 241 238 km2, le Mali est situé dans la bande soudano sahélienne de l’ouest africain. Il partage7 000 kilomètresde frontières avec ses voisins, l’Algérie, le Niger, le Burkina Faso,la Côted’Ivoire,la Guinée, le Sénégal etla Mauritanie.

Le climat est sec avec une saison sèche et une saison des pluies ; cette dernière dure en moyenne 5 mois au sud et moins d’un mois au nord.

Le Mali a une population estimée à plus de 12 millions d’habitants avec une densité moyenne de 8 habitants au km2 et un taux d’accroissement de 2,2%.

Les trois régions septentrionales du Mali, Tombouctou, Gao et Kidal, principal théâtre des opérations, sont situées dans la bande sahélo saharienne. Cette zone, en ce qui concerne le Mali, est limitée au nord par l’Algérie, au sud par la région malienne de Mopti, à l’ouest parla  Mauritanie, et à l’est par le Niger. Ces trois régions occupent une grande partie de l’étendue du territoire malien et s’étendent sur une superficie de 878 613 km2 (sur un total de 1 241 238 km2). La population est estimée à 1,23 habitant/km2 (pour une moyenne nationale de 10 505 522)  (Sources : dernier recensement administratif à caractère électoral : R.A.C.E en 2001).

Cette zone présente des caractéristiques climatiques très particulières marquées essentiellement par un climat sec, deux saisons : sèche et froide, une pluviométrie moyenne de 200 mm/an.

Cependant, ces régions connaissent d’importantes activités socio-économiques essentiellement centrées sur l’élevage, l’agriculture, la pêche et le commerce. Cette dernière activité met en contact les groupes nomades, Arabes et Touaregs, du grand Sahara et les sédentaires, Sonrhaïs et Sorkos  (bozos), situés le long de la vallée du fleuve Niger.

Dans le nord, principalement dans la région de Gao, existent également des groupes ethniques peulhs, dont le mode de vie s’apparente beaucoup à celui des Touaregs nomades. Eleveurs comme ceux-ci, ils pratiquent beaucoup plus la transhumance que le nomadisme, et ne s’éloignent pas des grands points d’eau. Ils vivent la plupart du temps à proximité des villages de sédentaires avec lesquels ils entretiennent également des échanges commerciaux.

Cependant, malgré les échanges permanents et réguliers, de par les activités économiques menées par les différents groupes ethniques vivant dans la zone, pastoralisme pour les nomades et agriculture et pêche pour les sédentaires, les heurts et affrontements entre les deux groupes sont récurrents. En effet, l’insuffisance des aménagements, le manque de parcours pastoraux vers le fleuve, l’occupation des couloirs de transhumance par certains paysans  ont fait que, très souvent, éleveurs et cultivateurs entraient en conflit à cause de l’exploitation des terres, les premiers voulant exclusivement des pâturages et les seconds des terres cultivables. Des conflits dont la plupart étaient mal gérés par l’administration ou les conseils locaux.

Diverses études socio-économiques menées dans le Nord ont révélé que ce milieu est resté pendant longtemps une zone sous l’influence des traditions, sous-tendues pendant longtemps par les activités de pasteurs nomades, transhumant paisiblement avec leurs troupeaux sur les vastes étendues arides et semi-arides du Sahara, à la recherche de points d’eau et de pâturages, et celles de sédentaires soumis aux aléas climatiques. Jusqu’à l’indépendance et à la tentative de réorganisation du nouvel Etat. Seulement deux ans après le départ du colonisateur, un mouvement de protestation s’organisera dans le Nord du pays contre l’attitude des nouvelles autorités.

Ce mouvement se muera en véritable révolte armée dans les années 1963- 1964 dans l’Adrar des Ifoghas et sera le fait de groupes ethniques touaregs. A caractère nationaliste et sécessionniste, il sera sévèrement réprimé par les forces armées loyalistes. La réaction de l’armée malienne contre ces mouvements insurrectionnels dans l’Adrar a eu des conséquences graves, notamment, dès 1963, les déplacements massifs de ces communautés nomades vers l’Algérie etla Libye. Plustard, d’autres émigrés touaregs chassés par la famine et la sécheresse, rejoindront les premiers. Au cours de cet exil, beaucoup d’émigrés adhéreront à la légion islamiste libyenne créée à la fin des années 1970, en vue de participer à des nombreux mouvements révolutionnaires dans la bande sahélienne et ailleurs sur le continent.

C’est dans le désert libyen que ces exilés et certains de leurs descendances apprendront à manier les armes, à s’organiser et à créer, vers 1987, un mouvement nationaliste touareg. Lequel mouvement a conduit, en 1990, au déclenchement d’une rébellion armée dans les régions du Nord du Mali. Cette rébellion prendra fin en 1996 au terme d’un accord de paix signé par les deux tendances protagonistes, à savoir, d’une part, le gouvernement dela Républiquedu Mali, et, d’autre part, les mouvements et fronts unifiés de l’Azawad, MFUA. Ces mouvements et fronts comprennent essentiellement deux origines ethniques : les Touaregs et les Arabes, deux groupes ethniques, principalement nomades, qui ont toujours cohabité dans le Sahara, qui ont souvent fait cause commune, mais qui ont également eu à s’opposer.

B. Une crise récurrente

Après la crise de 1963-64, le deuxième conflit armé a duré de 1990 à 1995 déstabilisant et fragilisant, profondément, le nord du Mali, sur le double plan économique et social. Les infrastructures ont été détruites, les activités économiques ont été bloquées, les populations se sont exilées ou ont été massacrées, le tissu social s’est déchiré.

La signature, le 11 avril 1992, du Pacte national de réconciliation avait suscité un espoir vite compromis par la recrudescence du banditisme, notamment de la part de combattants du Front islamique arabe de l’Azawad et d’éléments incontrôlés des autres mouvements, des conflits intercommunautaires, principalement entre Noirs et Blancs,  et intra ethniques surtout au sein des groupes communautaires touaregs.

Pour conjurer la situation qui ne cessait de se dégrader, des initiatives ont été prises. Elles aboutiront à l’implication de la société civile, des autorités locales, des partenaires au développement et des ex combattants qui tous se réuniront, au cours de rencontres inter communautaires, sur des thèmes relatifs à l’instauration du dialogue et de la concertation, au retour de la paix, et au développement.

Des concertations régionales, dans chaque région administrative concernée, avec des synthèses nationales à Bamako, furent également organisées. Le but de toutes ces rencontres n’était plus faire cesser une rébellion qui, d’un point de vue politique n’existait plus, les principaux acteurs, hormis le FIAA, s’étant résolus à s’asseoir sur la table de négociation avec le gouvernement, mais de mettre fin à un banditisme résiduel qui menaçait le retour de la paix et les efforts de développement.

Ces différentes initiatives aboutiront à l’organisation de la cérémonie dela Flammede paix, en mars 1996, qui consacra la fin officielle de la rébellion dans le nord du Mali. Ce nord ne connut pas pour autant l’accalmie, du moins pas pendant longtemps. Car dès 2000, un ancien cadre du MPA, Ibrahim Ag Bahanga reprit les armes. Avec une nouvelle stratégie : la prise d’otages et la pose de mines antipersonnel. Toutefois, malgré les atours politiques dont Bahanga et compagnie ont entouré leurs revendications, leurs communautés d’origine se sont montrées réticentes à les suivre dans leurs actions.

Les différentes communautés du nord, Arabes, Touaregs et Songhays, se sont toutes accordées pour se démarquer de ces velléités de reprise  des hostilités. Les nouvelles activités de Bahanga ont vite été perçues, à la fois par les autorités et les communautés, comme des activités de banditi

Rapports entre Arabes et Touaregs

Avant d’évoquer les rapports entre les deux groupes ethniques, touaregs et arabes, il est utile de souligner que chacun d’eux présente des complexités, liées à une organisation interne et une hiérarchisation qui se refléteront plus tard sur les évènements qui ont marqué le nord du Mali à partir de 1990.

Les rapports entre les deux communautés se sont fondés d’abord sur l’unité d’action, contre un « ennemi » commun, avant de devenir antagonistes, voire conflictuels.            

Dans sa gestion du conflit armé avec le MFUA, le gouvernement s’est vite heurté à un problème majeur : l’identification d’un interlocuteur. Les déchirements internes au Mouvement, les luttes de fractions et entre classes sociales, ont provoqué un éclatement du mouvement rebelle en plusieurs groupes armés, dont chacun revendiquait, avant la réunification en MFUA, l’exclusivité de la représentation des populations nomades du nord.

A. L’identité des Touaregs

Concernant les Touaregs, les historiens leurs donnent une origine berbère. Leur langue, le tamashek, serait une déformation du mot berbère tamazight, signifiant la langue de l’homme libre. Les Touaregs sont arrivés dans cette zone pour la première fois vers le 7è siècle, précisément dans la partie sud du Sahara. Bien que nomades (on les croisait fréquemment dans la zone située entre Tinzawatène, Tessalit et Kidal), ils seraient les fondateurs de la ville de Tombouctou au 11è siècle. Ensuite, ils se seraient dirigés sur le sud, vers le fleuve Niger, aux limites de la ville de Gao. Ils auraient ainsi occupé  une superficie de plus de 1500 km2 entre le nord et le sud-ouest.

Les Touaregs qui vivent dans les montagnes sont généralement ceux de la région de Kidal et du cercle de Menaka (région de Gao). L’autre frange de la communauté, qui est de loin la plus importante (estimée à environ 370 000 personnes), vit de part et d’autre des berges du fleuve Niger. Et quel que soit le côté où ils se trouvent, ils s’éloignent rarement de plus de70 kilomètresdu fleuve.

Les Touaregs sont essentiellement des éleveurs pasteurs. Toutefois, leurs esclaves pratiquent l’artisanat, notamment à partir du fer et du cuir.

La société touarègue est divisée en trois classes sociales bien distinctes :

La première est composée de nobles, qu’on appelle généralement Amusha, comprennent les Iwllemedan dans la zone de Menaka, les Ifoghas dans la région de Kidal, les Igamaraden et Tindjeref de Tombouctou. Ce sont les guerriers, chargés de protéger le reste de la communauté.

La deuxième est constituée des marabouts, les hommes de religion. Il s’agit des Kel Essuk, les Iguelleden et les Echouehan. Ceux-ci, le plus souvent, n’ont pas une origine précise, étant Arabes, Berbères ou Touaregs, mais la plupart d’entre eux se disent d’origine arabe. Ce sont eux qui détiennent le pouvoir spirituel dans la société touarègue.

La troisième classe comprend les Tamazigh, également nobles mais qui avaient subi la domination des Amusha, ce qui réduit leur importance sociale au sein de la communauté. Elle est composée des Chamanamas et des Idowasack qui sont le plus souvent soit éleveurs soit commerçants. Ils peuvent aussi être utilisés comme guerriers en cas de besoin.

Il faut donc reconnaître que, historiquement, les Touaregs ont une grande influence dans la zone. Ils ont, pendant un court moment, conquis la ville de Tombouctou. Ils ont eu beaucoup de rapports avec l’empire Songhay qui les a très souvent employés. Et, nombre d’entre eux avaient même apporté leur soutien au roi songhay dans certaines de ses expéditions guerrières. Mais ils ont eu maille à partir avec les Marocains lorsque ceux-ci ont conquis la ville de Tombouctou. Il faut dire que cela est dû à l’approche même utilisée par les Marocains qui, pendant un bon moment, leur versaient la dîme pour avoir la paix. Sous la direction de Firhoun (farouche opposant à la colonisation française, mort le 25 mai 1916), ils avaient opposé une farouche résistance à la pénétration coloniale. En règle générale, les Touaregs n’aiment pas la domination. Ils n’aiment pas non plus se mélanger aux autres communautés. Même aux moments des grandes sécheresses à la suite desquelles ils ont dû abandonner leurs milieux naturels d’existence, ils ont installé des camps autour des agglomérations qu’ils ont rejointes, formant de véritables ceintures périphériques. Ils ne rentraient en ville que pour des besoins pressants.

B. L’histoire de la communauté arabe

L’arrivée de la communauté arabe dans le nord du Mali remonterait aux 15è et 16è siècles. Cependant, d’après plusieurs témoignages d’historiens, les premiers Arabes sont arrivés du temps de l’empereur Kankou Moussa (14è siècle), par petits groupes de deux, trois ou quatre personnes. Ces petits groupes étaient surtout connus pour être de grands cadis ou des marabouts. Ils étaient certes pauvres mais très influents en raison de leur instruction et érudition en islam. D’ailleurs, l’histoire des empires du Ghana, du Mali et Songhay sera écrite essentiellement par des érudits d’origine arabe.

C’est plus d’un siècle après eux qu’il y aura les arrivées massives. Des Arabes, essentiellement des Banahassanes et des Kountas, partiraient vraisemblablement du sud marocain pour venir vers les fleuves Niger et Sénégal.

C’est de cette époque que dateraient les premiers accrochages entre Touaregs et Arabes. En effet, toujours selon certains historiens, pour s’installer dans le nord de la région de Tombouctou (aux environs de Araouane), les Arabes ont été obligés de déloger les premiers occupants qui étaient des Touaregs. Cela n’a pas pu se faire sans de rudes affrontements. Mais plus tard, les Arabes, bien que vainqueurs de ces affrontements qui ont eu pour résultats de repousser les Touaregs, consentaient cependant à verser la dîme à ceux-ci pour être tranquilles. Mais vingt-cinq ans plus tard, après s’être solidement implantés et organisés, les Arabes ont commencé à résister au paiement d’un quelconque « droit ». S’en suivront d’autres affrontements, très violents, entre les deux communautés, à la suite desquelles les Touaregs renonceront finalement à leurs prétentions.

Les Arabes, aujourd’hui, dépassent à peine 100 000 personnes au Mali. Ils ont pour activités essentielles le commerce transsaharien, le transport et l’exploitation du sel, ce qui leur confère une certaine influence et une importance économique et sociale dans le nord.

Contrairement aux Touaregs peu favorables aux mariages mixtes, les Arabes se sont beaucoup métissés avec les communautés noires.

(A suivre)

L’Aube.ml 31/01/2012