Situation au Nord du Mali Les démons de la partition


Car, cinquante deux ans après son indépendance, le Mali n’a pas donné le gage patriotique susceptible de crédibiliser la pertinence de sa création. Il y eut la période de la revendication identitaire, brutalement stoppée par le coup d’Etat de 1968, ouvrant la voie à 23 années d’un régime réputé dictatorial et corrompu, jugements que la gestion calamiteuse de l’ère dite démocratique a inéluctablement altérés; l’hommage et la déférence aux jeunes victimes de la sanglante révolution populaire restant dus.

La demi-heure de délivrance du message présidentiel fut un moment d’intense émotion. Le niveau de la rhétorique n’a pas dissimulé la gravité dans l’élocution. La mise impeccable et la posture altière n’en appelaient pas moins la compassion envers la principale victime de la crise institutionnelle et sécuritaire de notre pays.

Président d’une transition incertaine, le Pr Dioncounda Traoré devient le prétendant éploré, à son âge, à la magistrature suprême par voie d’élection. Pour notre part, nous avons de la peine à faire la part de la réalité et du cauchemar.

En effet, la gestion politique du Mali après mars 1991 relève du cauchemar, parce que proprement surréaliste. Nous avons rêvé, les yeux ouverts, que le cadre scolaire et universitaire cédait aux règlements de compte et tiraillements politiques, débouchant sur le délitement de la mission pédagogique des enseignants et ouvrant la voie à l’oisiveté et la médiocrité.

Notre justice, sous les pieds de laquelle s’entassaient alors cinq rapports successifs du Vérificateur Général, n’a eu d’œil que pour des larcins et des non-événements, braquant ses feux sur un enseignant et des journalistes, auteur et relais d’un sujet de rédaction de classe, soupçonnée copie de l’ordinaire du Prince du jour. Notre Palais présidentiel s’est révélé un vaisseau corsaire en cale sèche, au sein duquel se nouaient et se dénouaient des affaires de rachat d’otages et de partage de butin.

Notre armée nationale a été désorganisée et amollie. Nous avons fait le cauchemar d’un procès, organisé à l’initiative du prévenu, Chef suprême des armées, confondu d’intelligence avec l’ennemi par une partie civile constituée de veuves éplorées, refuges d’amertume et de commisération et dont la colère est réputée portée par Dieu lui-même. Le verdict en témoigne.

A partir de là, la corruption s’est incrustée dans l’administration, l’armée et les affaires. Le contrat social du Mali est caduc, dès lors que la majorité découvre que la fameuse démocratie consensuelle, alignant les politiques dans une procession d’oies à la suite du prince du jour, conduit à un banquet dont les ressources publiques constituent le menu.

La crise institutionnelle et l’atteinte à l’intégrité du pays ne sont en réalité que les reliefs squelettiques de ce banquet. Le coup d’Etat de la junte conduite par le capitaine Amadou Aya Sanogo, au delà des condamnations de principe et des dénonciations indignées, fut du pain béni pour une génération de politiciens que le ras-le-bol des citoyens prédisposait au prétoire. Ce qu’il faut reprocher à ce coup de force, dialectique mais regrettable, c’est plutôt son caractère inachevé.

Le sursaut national que la crise institutionnelle et la perte d’une partie du territoire exigeait des Maliens pouvait difficilement germer d’une devise – Un Peuple, Un But, Une Foi – évidée par la gestion politique calamiteuse de ces vingt dernières années. Aussi, fallait-il fédérer les Maliens autour d’une valeur accrocheuse: la laïcité. Mais personne n’est dupe. Du bon usage de la laïcité, nous attendions, en lieu et place des arrangements locaux sous le toguna, l’arbre à palabres ou le vestibule du Cadi, une saine distribution de la justice populaire, dans laquelle nous avons dissous ces valeurs. Cela a-t-il jamais été le cas?

De son bon usage, nous attendions de la laïcité, pour avoir délaissé nos rites initiatiques et cours de transmission des valeurs sociétales, un enseignement public de qualité. Au lieu de cela, le citoyen modèle que nous attendions voir émerger de nos enfants a muté en un hybride innommable. Nous extasiant dans l’impéritie et l’impiété, comme en apesanteur sur le gouffre qui, si l’on y prend garde, se figera en frontière entre deux entités malienne et ex-malienne, nous faisons l’éloge de la laïcité dans la seule mesure où elle nous soulage de toute obligation morale envers nous-mêmes et les autres et nous jette dans l’ambiance des plaisirs mirobolants et d’activités lubriques.

L’inventivité et la créativité sont devenues essentiellement artistiques et poétiques. Nous abandonnons devant cette vérité qu’il est autrement plus compliqué d’harmoniser des notes et des couleurs (méritoires somme toute) que d’aligner des molécules dans le bon ordre, pour sauver notre destinée du péril paludéen et rétroviral, avant même de penser à la «célébrer dans la danse», comme dit le poète.

Nous fîmes la part belle aux fossoyeurs de notre nation, en matraquant nous-mêmes notre armée nationale, donnant d’elle la plus désastreuse des images, son incapacité à accomplir sa mission, sur la base d’informations et d’estimations malhonnêtes, distillées à dessein depuis l’extérieur, sur les effectifs et les capacités techniques des jihadistes. Il fallait plutôt marquer notre solidarité avec la troupe, pour l’aider à remonter la pente qui la sépare de la dignité du soldat.

Pourquoi attendre de l’armée la conduite qui a manquée collectivement aux autres corps socioprofessionnels? Elle n’aligne pas des archanges, mais des hommes sortis du même moule. Chacun de nous n’est-il pas un soldat à son poste? Pourquoi le Lieutenant doit-il être un meilleur citoyen que le cadre des finances, des services de protection de la nature ou de la santé, et pourquoi doit-il faire preuve face à sa troupe de la discipline et du discernement qui ont manqué aux autres? Ceux qui vendent en parallèle les timbres et les médicaments, triturent les connaissements ou apprécient mal les infractions de conduite, parce que le reflet d’une pièce de cinq cent francs a perverti les nuances des feux tricolores?

Même face à notre péril collectif, nous fûmes incapables de montrer de la dignité et de l’honneur envers nos concitoyens. L’opprobre qui frappe aujourd’hui le Collectif des ressortissants du Nord (COREN), reconverti dans l’humanitaire au déclenchement de la crise institutionnelle et sécuritaire, coupable de forfaiture envers ses propres frères et sœurs, est révélatrice du niveau d’épuisement du socle des valeurs cardinales de la société malienne.

Disons les choses comme elles se présentent. C’est de la malhonnêteté intellectuelle (le mot est un qualificatif constant de la politique chez nous) que de récuser que le septentrion du Mali est menacé de partition, quelque compréhension qu’on ait du contenu de la résolution 2085. Les négociations avec les mouvements rebelles et islamistes sont ouvertes. La mauvaise foi évidente de certains pays «amis» et partenaires, que notre diplomatie refuse d’admettre, pour des raisons diplomatiques évidentes, prépare le terrain contre nous.

La messe que Dieu ne manquera pas d’agréer est bien moins celle dite par le Pape, urbi et orbi, le 25 décembre dernier, «que la nativité du Christ favorise le retour de la paix au Mali» que celle de la priorité marquée en off par l’administration américaine, «…éradiquer AQMI, bien d’avantage que l’intégrité territoriale du Mali».

La France réglera ses comptes diplomatiques avec la représentante américaine à l’ONU, auteure d’un commentaire typiquement yankee – It’s a crap – concernant le plan d’intervention de l’Hexagone au Nord. Ce n’est pas pour autant qu’elle engagera les hostilités, même en n’y prenant pas part directement. Sept de ses ressortissants manquent à l’appel (outrageusement relayé par la presse) de leur famille, retenus par des islamistes qui n’hésiteront certainement pas à en arriver au pire, en représailles. Dès lors, la formation politique aux affaires ne compromet pas seulement ses chances de réélection, elle risque aussi de frapper le socialisme français du sceau de l’infamie.

A Ouagadougou et à Alger, les virus MNLA et Ancardine, désormais initiés aux marques de civilité, préparent le terrain de la mobilisation. Les élus du Nord, dont l’obstination en faveur de l’intervention n’est pas tant celle-ci que son opérabilité immédiate, savent de quoi ils parlent. Gestionnaires licencieux et abonnés inconditionnels au coup de pouce présidentiel pour leur réélection, ils savent que toute alternative à leur gestion est susceptible d’emporter l’adhésion des populations.

Ce n’est donc pas un choix, c’est le rejet du pire. Dans ces conditions, le Gouvernement lui-même s’expose à une motion populaire de défiance, dans laquelle seule la brièveté des négociations lui épargnerait un revers. Les mouvements d’en face ne sont pas aussi isolés qu’on veut le faire croire. Ils ont sur nous une longueur d’avance telle que, même s’ils inspirent la crainte et la barbarie, ils restent attendus sur le terrain institutionnel, contrairement au Mali qui démontra, un demi-siècle durant, son inaptitude à créer une administration juste et à faire une répartition équitable des ressources.

Pendant ce temps, la diplomatie s’auréole de la résolution 2085, en même temps qu’elle exclut, de la bouche de son Chef, toute idée d’élections tant qu’elles ne se déroulent pas concomitamment dans les régions du Nord. A croire que le Nord du Mali relève d’une juridiction diplomatique. Ce n’est pas après le droit de vote que courent les populations du Nord, c’est après le droit de frapper leur sol de leurs pieds.

Si la conquête de ce droit requiert du temps et quelques sacrifices de la part des populations, elle n’hiberne pas leur inclination à désigner l’homme, pour elles, de la situation. Ainsi, leur participation au scrutin, par la mobilisation de tous, déplacés et réfugiés, si elle dépassait les 32 %, moyenne des élections de 2007, sonnera non seulement comme un plébiscite de leur attachement à la République mais aussi dotera le pays d’institutions régulières et marquera le retour dans notre horizon diplomatique de certains pays de l’UE et des USA.

Hélas, nous ne sommes pas sortis des errements de la navigation à vue. Un demi-siècle de mauvaise gouvernance, une crise institutionnelle profonde et un pays réduit à son tiers ne nous inspirent aucun autre traitement que de passer notre détresse par pertes et profits, comme l’exil d’ATT. On reprend les mêmes et on rejoue, car on ne change pas une équipe qui gagne. Il en va ainsi au Mali, le Mali qui gagne.

Abdel Kader HAIDARA

Gestionnaire des Ressources Humaines

Le 22 Septembre 2013-01-10 22:31:05