POLITIQUE NATIONALE DE DROGUES: L’ORFED mène le plaidoyer pour une révision urgente de la législation malienne

Les officiels à la cérémonie d’ouverture de la conférence de haut niveau sur les politiques de drogues en Afrique de l’ouest initiée par l’ONG ORFED

Dans la nuit du 29 au 30 mai 2021, une mission de l’Office central de lutte contre les stupéfiants (OCS) a saisi 2 806 briques de cannabis et de sketch d’une valeur d’environ 450 millions de F CFA à Daba (commune rurale de Tiélé située à 60 km de Bamako).

Et déjà en début mai dernier, les douaniers avaient aussi saisi près de 4 tonnes (3, 745 tonnes) de résine de cannabis d’une valeur de  plus de 4,5 milliards de F CFA.

Ces saisies, selon l’ONG Organisation pour la réflexion, la formation et l’éducation à la démocratie et au développement (ORFED), confirment non seulement que le Mali est un pays de transit, mais aussi et malheureusement de consommation.

Face à cette menace, il devient urgent de revoir les textes en vigueur au Mali afin non seulement de riposter vigoureusement contre le trafic, mais aussi et surtout de mieux accompagner les usagers des drogues à sortir de «l’enfer» qu’est souvent leur vie.

C’est pourquoi cette ONG a organisé jeudi dernier (3 juin 2021) une conférence de haut niveau sur les politiques de drogues en Afrique de l’ouest.

Une initiative qui bénéficie du soutient du bureau d’OSIWA (Open society initiative for west africa) à Dakar, au Sénégal.

«Le Mali est fortement concerné par le fléau de la drogue car, à l’instar des autres pays de l’Afrique de l’ouest, il n’est plus seulement un pays de transit, mais aussi et malheureusement un pays de consommation» !

C’est la réalité que la présidente de l’Ong ORFED, Mme Jeanne d’Arc Ballo, a partagé avec les participants (ministères de la Sécurité et de la Protection civile, de la Défense et des anciens combattants,  de la Justice, de la Santé, de l’Education ;

Conseil national de la transition ;

confessions religieuses ;

Association des anciens usagers de drogues ;

Office central de lutte contre les stupéfiants ;

ONUDC/Minusma ;

Barreau malien, Ordres des médecins et des pharmaciens ;

CAFO ;

médias…)

de la conférence de haut niveau organisé jeudi dernier (3 juin 2021) au ministère de la Sécurité et de la Protection civile.

«Selon des experts de l’ONUCD (Office des Nations unies contre les drogues et le crime), notre pays est traversé par l’autoroute A 10 de la drogue qui a permis d’acheminer en 2013 plus de 18 tonnes de cocaïne pure vers les pays de grande consommation en Europe», a-t-elle poursuivi.

Pis, a-t-elle alerté, «la drogue fait des dégâts immenses dans notre société, détruit la vie de beaucoup de jeune et ses implications sur le plan santé sont évidentes.

Malheureusement, nous n’avons pas encore pris les mesures adaptées pour un traitement intégral et efficace des conséquences de sa consommation…».

Et en cause, la législation basée sur la répression qui a montré ses limites dans le monde.

«Les drogues ont détruit beaucoup de vies humaines, mais les mauvaises politiques de drogues  en ont détruit davantage», a une fois déclaré feu Kofi Annan (arraché à notre affection le 18 août 2018), ancien secrétaire général de l’Onu, pour inciter les pays à améliorer les législations nationales à la lumière des conventions internationales.

 

Humaniser la prise en charge des usagers de drogues

Selon de nombreux intervenants lors de cette conférence, le problème de la drogue est d’abord d’ordre législatif.

C’est pourquoi, depuis 2012, la Commission ouest-africaine de drogues (WACD) dirigée par l’ancien président du Nigeria Olusegun Obasanjo mène le plaidoyer pour une revue des législations nationales pour «une meilleure gestion» des problématiques en la matière.

Si en 1995 le Mali a ratifié trois conventions internationales sur les stupéfiants, la législation nationale en vigueur est la loi N°1-078 du 18 juillet 2001 portant «contrôle des drogues et précurseurs».

Mais, selon une étude réalisée par ORFED en 2017, elle viole les conventions internationales ratifiées par le pays, notamment en ce qui concerne «le traitement de la dépendance à la drogue et le respect des usagers de drogues appréhendés par la chaîne de répression».

C’est pourquoi le pays s’est inscrit dans une logique de sa révision jugée opportune par les autorités.

«Quand une loi nationale viole une convention internationale, il y a lieu de la réviser», a déclaré le secrétaire général du ministère malien de la Sécurité et de la Protection civile, M. Oumar Sogoba à l’ouverture de la conférence, en saluant l’initiative de l’ONG ORFED. 

«Il est aujourd’hui opportun de revoir notre législation à la lumière des évolutions sociopolitiques dans notre pays, dans la sous-région et ailleurs…

Il faut refonder notre politique de drogues dans le respect de nos réalités socioculturelles et des droits humains», a-t-il souligné en mettant également en exergue les efforts louables de l’OCS en matière de prévention, de contrôle, de répression et de coordination de la lutte contre les stupéfiants.

Des efforts récompensés par des saisies fréquentes de quantités importantes de drogues.

Eviter le piège de la confusion entre consommation et trafic de drogues

Pour le conférencier Pr. Mbissane Ngom de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), cette révision doit éviter le piège de la confusion entre trafic et consommation de drogues.

Pour lui, la répression n’est pas par exemple «une réponse appropriée» à la consommation de la drogue contrairement au trafic.

Tout comme la «prison n’est pas l’endroit idéal» pour un usager des drogues.

Malheureusement, a déploré Pr. Ngom, beaucoup de pays ont de plus en plus tendance à s’acharner contre les usagers des stupéfiants laissant ainsi prospérer le trafic au péril de leur stabilité politique et socioéconomique.

Et cela d’autant plus que ce trafic nourrit essentiellement le crime organisé, notamment le terrorisme qui déstabilise la sous-région ouest africaine depuis près d’une décennie.

Le conférencier a préconisé une riposte vigoureuse pour freiner le trafic, mais une législation plus souple afin d’éviter de stigmatiser les consommateurs.

A ce niveau, l’accent doit être surtout mis sur l’information, l’éducation et la communication.

«Et cela doit débuter par les écoles primaires où commence de plus en plus la consommation de la drogue dans nos pays», a-t-il suggéré.

Pour le professeur en droit privé et sciences criminels de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Sénégal), «la drogue pose aujourd’hui un problème de santé publique contre lequel il faut des réponses appropriées et audacieuses.

Derrière chaque usager de drogues, il y a un drame humain.

Il ne s’agit donc plus de réprimer la consommation, mais d’assurer un droit à la santé».

Ce qui passe par assurer l’accès à des instruments sains de consommation comme les seringues ;

l’élaboration de brochures  sur les pratiques respectueuses de la santé ;

la formation de tous les intervenants (enseignants, magistrats, agents des forces de sécurité, médecins, médias…) aux droits des usagers de drogues…

«Cela fait trente ans que je consomme de la drogue.

Mais, si je ne le dis pas, personne ne le sait», a témoigné un usager lors des débats.

«Les usagers de drogues n’ont pas besoin de compassion, mais d’un meilleur accompagnement pour briser les chaînes de la dépendance.

Il est important de préserver notre dignité», a-t-il précisé.

A noter que la modération de la conférence a été assurée par le Professeur Baba Koumaré (ex-chef du service psychiatrique du CHU Point G à la retraite) dont la parfaite maîtrise du sujet a permis d’enrichir les débats !

Moussa Bolly