Mme Camara Saoudatou Dembélé« La commission des lois n’est ni ALQUAIDA ni AQMI. »

 

Le Républicain : Vous n’ êtes pas très connue du grand public, qui êtes-vous en dehors du  député MPR au parlement ?

Mme Camara Saoudatou Dembélé : Je suis l’Honorable Mme Camara Saoudatou Dembélé,  «  SAOU » pour les intimes, native de Koulikoro, je suis l’épouse du Directeur Général de l’Office Riz Mopti. J’ai quatre enfants. Juriste de formation mon plan de carrière est des plus classique : clerc de notaire de 1992 à 1993, chef du service contentieux du Bureau Malien du Droit d’Auteur de 1993 à 2004 et à ce titre je suis  très connue du milieu des artistes pour la défense de leurs droits et dans le cadre de la lutte contre la piraterie. J’ai été chargée de mission au ministère de l’Industrie et du Commerce avec à l’actif l’initiation du projet d’appui aux femmes entrepreneurs  et depuis 2007 Député de la CVI de Bamako à l’Assemblée Nationale et  Présidente de la Commission des Lois constitutionnelles, de la législation, de la justice et des Institutions de la République, pour la 4ème année consécutive.

Le Républicain : Vous aviez la responsabilité en tant que présidente de la commission des lois d’organiser des écoutes autour du projet de loi portant révision de la constitution, comment avez- vous travaillé ?

Mme Camara Saoudatou Dembélé : La commission  a d’abord organisé une journée d’échanges entre l’ensemble des députés et le ministre chargé des Réformes de l’Etat qui était  accompagné de l’ensemble des membres du Comité d’Experts qui a eu à élaborer le projet de réformes. Cette séance a été l’occasion pour les députés d’exprimer leurs préoccupations et de formuler des demandes d’informations et d’explications sur le contenu du projet.

« Il ne faudrait pas que l’organisation du référendum perturbe l’organisation des élections générales de 2012. »

La commission a ensuite procédé à l’écoute des présidents et représentants de plus d’une vingtaine de partis politiques sélectionnés sur la base de critères définis en accord avec les présidents de tous les groupes parlementaires à l’Assemblée. Elle a également écouté des représentants de la Société civile, les chefs et membres des Institutions de la République, les représentants du Gouvernement, d’éminentes personnalités, professeurs et chercheurs, les Anciens Premiers ministres et présidents de l’Assemblée nationale. A l’issue de tous ces échanges la commission à procédé à une analyse approfondie du projet de loi, formulé des amendements et recommandations avant de tirer sa conclusion.  

Le Républicain : Une certaine opinion laisse entendre que vous paraissiez plus une « défenderesse » du gouvernement, parfois avec acharnement, qu’une autorité neutre et rigoureuse, soucieuse de prendre en compte les arguments des uns et des autres. Que lui répondez-vous?

Mme Camara Saoudatou Dembélé :   Ah bon ? Alors je répondrais que l’on me fait une mauvaise querelle. Tout d’abord, il faut savoir qu’il n’est pas exigé des présidents de commissions  d’être neutres. Le Règlement intérieur de l’Assemblée précise seulement qu’ils n’ont pas voix prépondérante. Quant à la rigueur, il en faut obligatoirement  face à certains collègues qui utilisent souvent toutes sortes d’artifices pour bloquer ou faire traîner les débats en longueur. Je préfère être qualifiée de rigoureuse que d’être traitée de présidente amorphe, laxiste, incapable de tenir la police des débats.

Ceci dit c’est en accord avec les représentants de toutes les commissions saisies pour avis, qu’il a été décidé de ne recevoir que les amendements qui s’appliquent effectivement au texte du projet, conformément à une disposition du Règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Tous les amendements ont été discutés et acceptés par l’ensemble des représentants de toutes les commissions saisies pour avis avant d’être soumis au gouvernement.

« Le référendum  sera un véritable plébiscite. »

Après les observations du gouvernement, la commission a définitivement adopté, toujours en accord avec l’ensemble des représentants des commissions saisies pour avis, les propositions d’amendement acceptées par le gouvernement.

Le Républicain : Elle accuse aussi la commission, que vous dirigez, d’avoir « pris en otage » les députés et les personnalités qu’elle a  auditionnés. Que répondez-vous ?

Mme Camara Saoudatou Dembélé : Oui il a été dit que la présidente et le rapporteur de la commission  ont pris les députés en otage. Je trouve ces propos fort désobligeants et discourtois à l’endroit des collègues. Les députés qui composent  l’Assemblée aujourd’hui sont trop jaloux de leur indépendance d’esprit pour se laisser bâillonner par qui que ce soit. Du reste, la commission des lois n’est ni AL QUAIDA ni AQMI.

Le Républicain : Aviez- vous à l’esprit la loi sur le code des personnes et de la famille qui, votée à l’Assemblée, a failli faire voler en éclat le pays. Cette deuxième loi aussi est passée comme la première avec une grande facilité, quelle sera sa survie ?

Mme Camara Saoudatou Dembélé : Comparaison n’est pas raison. Les articles du Code des personnes et de la famille  mis en cause portaient atteinte à certaines valeurs religieuses et sociétales. Tel n’est pas le cas avec le projet de loi de révision constitutionnelle. Maintenant si votre question est une allusion aux appels du pied à peine voilés à manifester contre le projet, je ne souhaite pas me laisser entraîner sur ce terrain. Je rappelle seulement que l’article 118 dispose que l’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux députés. Le Président a usé de ce droit. On ne peut pas le lui reprocher. Il est clair que dans aucun pays du monde, une réforme constitutionnelle ne fait l’unanimité.

« Le référendum doit être  organisé sur la base d’un fichier consensuel avec des listes électorales fiables, corrigées et mises à jour ».

Mais on a l’impression que certains acteurs politiques utilisent le projet comme cheval de bataille pour marquer leur territoire à l’approche des échéances électorales. Rien ne trouve grâce à leurs yeux. Mais par delà les critiques politiciennes, il apparait à l’évidence que le projet adopté marque une avancée significative dans la consolidation de notre système démocratique. L’écrasante majorité des femmes l’adoptera rien qu’à cause du paragraphe 2 de l’article 2 qui élargit le cadre juridique des mesures particulières favorisant l’accès  des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. D’aucuns soutiennent que le Président a plus de pouvoir qu’un monarque alors qu’ils savent très bien que le régime semi- présidentiel repose sur le rôle central du Président de la République et les mécanismes du parlementarisme rationalisé.

« L’écrasante majorité des femmes adoptera la constitution »

Le Président de la République française n’a-t-il pas plus de pouvoir que la Reine d’Angleterre ? Le projet adopté consacre tout un titre à la responsabilité pénale du Président de la République. Ce Président « prétendu omnipotent » peut désormais être poursuivi devant la Haute Cour de Justice non seulement pour haute trahison mais également pour les crimes et délits commis dans l’exercice de ses fonctions. La condamnation pour haute trahison entraîne la destitution et l’impossibilité d’être réélu aux fonctions de Président de la République. Le Président répond également des crimes et délits commis en dehors de ses fonctions devant les juridictions de droit commun. Le Parlement devenu bicaméral est assisté dans son contrôle de l’exécution de la loi des finances par la Cour des Comptes et par le Vérificateur général dans le contrôle de l’action du gouvernement et dans l’évaluation des politiques publiques. N’est-ce pas là un grand pas en avant ?

Par ailleurs la Commission dans son rapport, a fait des recommandations fortes au gouvernement qui les a acceptées. Dans ces recommandations, il est souligné que « la plupart des personnes ressources écoutées… estiment que si le projet de loi portant révision de la Constitution paraît, pour l’essentiel, de nature à renforcer et consolider le processus démocratique, il ne faudrait pas que l’organisation du référendum destiné à l’approuver perturbe l’organisation des élections générales de 2012. Tous estiment que le principal défi du moment est la bonne organisation d’élections libres, crédibles et transparentes. Aussi la Commission recommande que le référendum soit organisé après la période légale de révision des listes électorales, sur la base d’un fichier consensuel avec des listes électorales fiables, corrigées et mises à jour ».

Le Républicain : La loi est donc passée et le Président de la République vous a semble-t-il félicitée ?

Mme Camara Saoudatou Dembélé : Je crois savoir que le Présidentde la République  a salué tous ceux qui ont contribué à l’adoption du présent projet de loi de révision constitutionnelle. De mon point de vue c’est le Président de la République, Amadou Toumani Touré qui mérite des hommages.  Ailleurs, et dans la plupart des cas, les voix s’élèvent contre des Présidents en fin de mandat qui tripatouillent leurs lois fondamentales pour s’incruster au pouvoir. Ici le Président, en fin d’exercice,  initie des réformes politiques pour corriger les lacunes et insuffisances révélées par la pratique institutionnelle, améliorer le système électoral, renforcer les capacités des partis politiques, permettre à la presse de jouer convenablement son rôle, faire contribuer davantage la société civile à la consolidation de la démocratie et de la citoyenneté et remettre à ses successeurs le témoin dans les délais constitutionnels. Ceux qui cherchent par tous les moyens à faire échouer ce processus perdent leur temps. Le peuple n’est pas amnésique. Les 141 députés qui ont dit oui au projet et les formations politiques dont ils sont issus auront à cœur de démontrer qu’ils ont la confiance de leurs mandants. Ils relèveront le défi. Le référendum, Inch’Allah, sera un véritable plébiscite.

Propos recueillis par

S.El Moctar Kounta

Le Républicain 09/08/2011