Médina-Coura : Un voleur brûlé vif…, un autre échappe de justesse… faute de combustible


« Même si tu étais le chef de quartier de Médina-Coura, tu n’échapperas »

Ses bourreaux n’ont prêté la moindre oreille à ses supplications… ou du moins si. Avant de le faire passer par les flammes, il a indiqué être du quartier voisin Bagadadji.
Réponse de ses tortionnaires : « Qu’importe ! Quand bien même tu serais le chef de quartier en personne de Médina-Coura, tu n’échapperas pas ce soir». Il n’a pas échappé.

Il fut arrosé d’essence et allumé. Laissé à lui-même, tout en flamme, il courut se jeter dans une canalisation d’eaux usées en vue d’étouffer les flammes. Il y réussit, mais succomba plus tard de ses brûlures.

En guise de représailles, ses camarades du quartier Bagadadji  menèrent le lendemain, dans la nuit du vendredi au samedi dernier, une expédition punitive sur les lieux de la sentence. Armés de pistolets et sur des motos Jakarta, ils tirèrent plusieurs coups de feu sur les populations. Mais par chance, on ne déplore pas de blessés.

Naturellement, ceux du milieu ont promis de leur faire payer chère cette offense.
Il faut dire que le défunt est bien connu des archives du commissariat de police du 3ème arrondissement où il a séjourné plusieurs fois, pour être ensuite libéré.
Sauvé pour… faute de combustible

C’est dans la nuit du samedi au dimanche dernier, à la limite des quartiers Missira et Médina-Coura sur la Rue 14, qu’un autre présumé voleur a été appréhendé en milieu de nuit. Présumé, parce que personne ne l’a formellement identifié comme tel.

Qu’à cela ne tienne ! Les populations environnantes ont entendu crier « au voleur » et elles sont sorties avec une seule et unique intention : brûler ! Ces gens sont de véritables jusqu’au-boutistes !
Fort heureusement, ils sont pauvres puisque personne n’avait de quoi payer l’essence cette nuit.
Qu’importe ! A l’aide de son briquet à gaz, l’un d’entre eux, tentait, à notre passage, de mettre feu  au  t-shirt du malheureux.  Nous l’avions interrogé :
Etes-vous sûr qu’il s’agit véritablement d’un voleur ?

Sa réponse fut des plus instructives:

Cà grand frère, je l’ignore ! On a dit que c’est un voleur. Alors il doit brûler !
Il échappa cependant grâce à l’intervention de personnes de bonne volonté, mais aussi, parce qu’il n’y avait apparemment pas assez de gaz dans le briquet de notre pyromane. Mais la réponse de celui-ci montre tous les dangers de la justice populaire.
Tenez : et si, par esprit de vengeance, un voleur criait «au voleur» sur un honnête citoyen ?

Bien entendu, le véritable  responsable dans cette histoire, reste l’Etat malien. Le récent rapport de la commission des droits de l’homme explique tout.
Le laxisme d’Etat

Au Mali, il est désormais de notoriété que lorsque mention est faite au manque d’autorité de l’Etat, d’apercevoir, dans les jours qui suivent  une horde d’agents de répression (police, gendarmerie) multiplier les opérations en direction des populations plus généralement pour des peccadilles. Mais voilà l’origine de la véritable plaie telle que vue par la commission Nationale des Droits de l’Homme.  La CNDH cite en effet un certain nombre de comportement favorables à la justice populaire. Il s’agit de :

«- La fuite des consciences devant le vol et le mensonge qui sont devenus la règle ;
– La personnalisation des relations avec un agent [de l’Etat] prêt à intervenir en faveur du citoyen à tout moment ;

Le  règne des médiocres
– Une justice sélective ;
– Des juges sans crédit ;
– Des justiciables sans recours juridiques appropriés ;
– La Glorification des corrompus… »

Ces facteurs, combinés à d’autres comme  «La baisse des valeurs morales et sociales», selon le rapport, conduisent indubitablement à «La multiplication des actes de justice populaires».

Les auteurs du rapport relèvent en outre, que du fait de l’acuité de l’injustice sociale, «les citoyens ont perdu foi en l’Etat».
Preuve de cette assertion, les populations ont de moins en moins recours à certains services de l’Etat. Elles préfèrent des petits arrangements à l’amiable ou faire recours à des institutions de cultes que de se retrouver dans des situations  inextricables dans les rouages de l’Etat.

En définitive, les origines du  mal sont bien connues.
B.S. Diarra

Une réponse au projet d’abolition de la peine de mort
En moins de deux mois, on dénombre au moins cinq victimes de cette justice expéditive dans les rues de la capitale. Des remarques s’imposent.

Toutes les victimes ont été prises en flagrant délit de vol. Et nul parmi les bourreaux n’a suggéré de les faire conduire à la police ou à la gendarmerie. A la lumière d’un micro-trottoir que nous avions mené, la quasi-totalité des personnes interrogées approuvent la sanction suprême prise contre les présumés voleurs. Les arguments les plus avancés sont du genre:

–    Ils vont le relâcher
–    Ils sont tous complices
–    J’ai vu mon voleur dans la rue
Décryptage : les citoyens n’ont plus confiance à la justice malienne et en ses auxiliaires (police, Gendarmerie).

Souvenez-vous. Nous relations dans ces mêmes colonnes, les conditions dans lesquelles «l’article 320» a fait sa réapparition à Lafiabougou au mois d’Avril dernier.
Quand elles se sont emparées de l’un des deux voleurs, les populations ont voulu d’abord le conduire à la police. Mais, les en ont dissuadées ceux qui ont aperçu le corps de leur victime, criblée de coups de poignards et baignant dans une marre de sang. Juste à cause d’une moto d’une valeur marchande de 300.000 F CFA.  Ce fut un choc !

Ces derniers invitèrent les autres  à regarder d’abord la victime avant de conduire le meurtrier à la police où il sera probablement relâché. « Autant lui régler son compte maintenant ! ». Et ce fut fait, sans essence, s’il vous plaît ! Ils utilisèrent juste du bois de cuisine pour le brûler.

C’est dans ce climat de perte totale de confiance en l’Etat que celui-ci envisage d’abolir la peine de mort. Au moment où les malfrats se montrent de plus en plus téméraires et sanguinaires face à des populations de plus en plus révoltées suite à l’impunité dont ils bénéficient au niveau des institutions d’Etat !
Abolir la peine de mort au Mali dans ces conditions, c’est légitimer « l’article 320 », à savoir la  justice populaire.
B.S.D

 

Le combat 31/05/2011