Mali: l’intervention militaire et ses ombres

Après des semaines d’atermoiements et de palinodies, reflets des dissensions au sommet de l’exécutif légal de Bamako, le président intérimaire Dioncounda Traoré et son Premier ministre Cheikh Modibo Diarra ont officiellement sollicité, dans une lettre adressée à « Mr Ban », l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité autorisant l’intervention « immédiate » d’une  » force militaire internationale » appelée à « aider l’armée malienne à reconquérir les régions du Nord occupées ». Cette requête lève une hypothèque, mais ne dissipe pas -loin s’en faut- les nuages que le péril djihadiste fait flotter sur l’aire sahélienne. En cinq questions-clés, zoom sur une opération virtuelle.
Pourquoi ?

Parce qu’il y a urgence. Et que l’on n’a que trop tardé. Il faut agir avant que l’emprise sur les deux-tiers nord du Mali d’Al-Qaeda au Maghreb islamique (Aqmi) et des ses satellites -le Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest, ou Mujao, et Ansar Eddin- devienne irréversible. Au-delà du sort des civils asservis d’Aguelhok, Kidal, Gao ou Tombouctou, le fait accompli est intolérable pour toute la sphère sahélo-saharienne. Choisir l’inertie revient à avaliser l’émergence d’un  » Sahelistan « , foyer terroriste puissamment armé et pourvu, via les rançons et les trafics, d’un substantiel trésor de guerre, capable de rayonner dans toute la sous-région. Ce funeste sanctuaire risque de se muer en épicentre d’un pôle africain de l’internationale du Djihad, tout à la fois centre de formation et bureau de liaison avec d’autres mouvances telles que Boko Haram, active au Nigeria, ou les shababs somaliens.

Mais aussi parce l’issue négociée, longtemps privilégiée tant à Bamako que par le président burkinabé Blaise Compaoré, émissaire de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest (Cédéao), était d’emblée vouée à l’échec. Face aux boutefeux de la charia, animés par un dessein de nature totalitaire, elle s’apparentait à une chimère. Dès lors, ne reste que l’option militaire, qu’elle ait vocation à bouter manu militari l’ennemi hors du Mali ou, a minima, à instaurer un rapport de force qui le contraindra à transiger.
Avec qui ?

Voilà des mois que les stratèges de la Cédéao planchent sur la formation d’un contingent d’environ 3300 hommes, épaulé en matière de logistique et de renseignement par des partenaires européens -France en tête- comme par les Etats-Unis. Reste à savoir qui fournira la main d’oeuvre… Le Niger, très exposé à la contagion, ne mégotera pas. Sans doute le Burkina et le Tchad -lequel monnayera des contreparties à son engagement- enverront-ils un détachement. La Côte d’Ivoire, fragile géant dont le chef d’Etat Alassane Ouattara préside la Cédéao, ne peut se dérober. Pas plus que le Nigeria, figure de proue traditionnelle des interventions ouest-africaines, mais qui se bornerait volontiers à assurer la couverture aérienne et à garnir l’arsenal. En revanche, le Sénégal, la Mauritanie et le Ghana ont d’ores et déjà jeté l’éponge. Point de méprise : par souci de ménager la souveraineté du Mali et la susceptibilité de ses dirigeants, la future Micéma (Mission de la Cédéao au Mali) est censée  » appuyer  » les militaires locaux. Mais il va de soi qu’elle supportera l’essentiel du fardeau, tant est patent le délitement de l’armée malienne. Bamako a dû d’ailleurs, à contrecoeur, consentir à l’installation de l’état-major de la force panafricaine aux abords de la capitale. Probablement à Koulikoro (60 km au nord-est). Autre question délicate : qui exercera le commandement effectif de la Micéma ? L’état-major pléthorique, composé en fonction d’un subtil dosage entre les pays contributeurs, dessine d’ordinaire le chemin le plus court vers la paralysie. A proscrire donc à tout prix.  
Quand?

C’est à ce stade que l’affaire se corse. Au mieux, on peut miser sur l’amorce du déploiement sur le terrain dans deux mois, soit fin novembre. D’abord parce que la procédure onusienne, caution indispensable, s’avère pesante ; la discussion et le vote de la résolution pertinente prendront selon toute vraisemblance plusieurs semaines. Ensuite parce que l’assemblage de la force, son équipement, son acheminement et le  » calage  » de la chaîne de commandement exigeront du temps.  » Au mieux, un mois et demi « , avance un officier supérieur français, expert de la planification opérationnelle.  
Et la France, dans tout ça ?

Paris martèle à l’envi le même message :  » Pas question d’engager des troupes au sol « . Pour l’essentiel, c’est exact. Dans le détail, il serait surprenant que l’on renonce à l’envoi  » sur zone  » d’éléments aguerris d’unités spéciales, expertes de l’action en profondeur. Ne serait-ce que pour affiner la collecte de renseignement et, le cas échéant, oeuvrer à la coordination des opérations. Si François Hollande, son ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius et le titulaire du portefeuille de la Défense Jean-Yves Le Drian insistent tant sur le caractère africain du déploiement attendu, c’est certes en vertu des grands principes, mais aussi et surtout par souci de préserver la vie des six Français détenus en otage par Aqmi et ses filiales. A la clé, ce dilemme cornélien : comment hâter la naissance de la Micéma sans mettre en péril le sort des compatriotes, enjeux d’un chantage explicite ?  
Quels risques ?

Outre celui, évident, de l’assassinat des  » monnaies d’échanges  » humaines mentionnées ci-dessus, dûment médiatisé par vidéo interposée, on peut en citer trois. D’abord, le déclenchement, sur le territoire des pays engagés, voire en Europe, de représailles de type terroriste. Ensuite, la restauration, au Nord-Mali, du pacte initial entre islamistes et séparatistes touaregs ; lesquels, évincés par leurs éphémères alliés, tenteraient ainsi de revenir dans l’arène. Enfin, l’échec ou, à tout le moins, l’enlisement de l’opération militaire. Rien ne prouve que les bataillons de la Cédéao, peu familiers des terrains désertiques, réduiront aisément les combattants islamistes.  

 » Pour la première fois, a déclaré hier à New York Laurent Fabius, une espérance se lève.  » Soit. Reste qu’il faudra jouer serré pour lui éviter d’être foudroyée en plein vol.

 

L’EXPRESS  25/09/2012