MALI -FRANCE, LA RUPTURE QUASI-TOTALE : Le Kremlin remplacerait-il l’Elysées à Bamako ?

Le président de la transition au Mali Assimi Goïta et son premier ministre Choguel Kokalla Maïga à Bamako.

Les vieux démons des années 60 semblent refaire surface dans les relations franco-maliennes, et comme pendant la période de la guerre froide ou idéologique, la Russie semble être encore à la base de cette rupture et à juste raison.

La rupture des relations entre le Mali et la France, loin d’être un phénomène nouveau, semble être un tournant décisif dans le processus de l’émancipation de ce pays. Pour rappel la première rupture date des premières années de l’indépendance du Soudan français devenu Mali, avec le charismatique Président Modibo Keita.

La guerre moderne étant économique, les autorités maliennes de la transition ont-elles mesuré les conséquences de la rupture avec la France et de surcroit l’occident ?  La Russie et ses alliés pourraient-ils combler le vide laissé par la France et ses alliés africains et occidentaux ? La prudence ne devrait-elle pas être la mère de sureté ? 

Le Mali et la France ont fini par signer définitivement l’acte de divorce le 2 Mai 2022 avec le communiqué du gouvernement malien mettant fin à l’accord de défense qui liait les deux pays. Avant cet ultime acte, il y a eu entre autres l’expulsion de l’ambassadeur français, le retrait par la France des troupes Barkhanes et Takuba, ensuite l’érection par l’armée malienne d’une zone d’exclusion aérienne des forces françaises et enfin le rapprochement entre Bamako et Moscou au grand désarroi de l’hexagone. Pour la France ce rapprochement sonne forcement la fin de sa présence au Mali.

Que reprochent les autorités maliennes à la France ? 

Les autorités maliennes de la transition reprochent essentiellement à la France sa fausseté dans la lutte contre le terrorisme, sa condescendance, car elle se croit en territoire conquis et n’a de compte à rendre à un pays comme le Mali dont elle a mis la souveraineté entre parenthèses. Le Mali dénonce également une certaine complicité de la France avec les ennemis de la République du Mali que sont les séparato-djihado-terroristes. Pour les autorités de la transition, loin de combattre les Groupes Armés Terroristes, GAT, les forces françaises auraient plutôt contribué à leur propension et le hic est que la France se serait toujours opposée à la montée en puissance de l’armée malienne en l’empêchant de s’équiper et de se mouvoir sur le territoire. La France, de l’avis des autorités maliennes, serait à la base de la création d’une entité indépendante qui échappe à l’autorité du pouvoir central. La région de Kidal est cette enclave inaccessible à l’autorité malienne. 

Faux, retorquent les autorités françaises qui ont rejeté en bloc ces allégations et pensent que ce revirement des autorités maliennes est le fait de l’interférence Russe dans les affaires du Mali. Les Colonels au pouvoir ont jugé opportun de se tourner vers la Russie pour trouver une solution au problème sécuritaire de leur pays. Ils ont eu une oreille attentive et semblent avoir le soutien d’une frange importante du peuple. Mais cela est incompatible à la conception française de la lutte contre le terrorisme, et par conséquent la France décide de se retirer du Mali, a conclu un officiel français. Donc la rupture est consommée maintenant entre les deux pays.

Quelles pourraient être les conséquences d’une telle rupture ?

Pays pauvre et enclavé sans aucune façade maritime et dont l’économie dépend à plus de 70% des produits d’importation, le Mali en rompant avec la France et ses alliés aura fort à faire pour combler le vide laissé par ce pays. Le pays  subit déjà les sanctions des organisations sous-régionales que sont la CEDEAO et l’UEMOA qui seraient sous la tutelle française. Ces sanctions qui vont du gel des avoirs financiers du Mali dans les banques commerciales de l’UEMOA, à la fermeture des frontières terrestres et aériennes avec les Etats membres de la CEDEAO, jusqu’à la suspension des transactions financières et commerciales. Comme si ces sanctions ne suffisaient pas la France a entrainé dans son jeu l’Union Européenne, qui est le premier bailleur de fond du Mali. Cette dernière aussi a suspendu sa coopération avec le Mali. Les Etats Unis ont, eux aussi, emboité les pas à l’UE en suspendant sa coopération dans beaucoup de domaines avec le Mali. Les autres institutions financières succursales occidentales ne sont pas restées en marge, en effet, la Banque mondiale et la Banque Africaine de Développement, BAD ont fermé leurs robinets financiers.

La Russie et dans une moindre mesure la chine pourraient-elles combler cet abyssal trou ?

De l’avis de beaucoup d’experts en géopolitique et en finance, il serait difficile que ces deux pays puissent combler le vide laissé par l’occident. La Russie étant la 11ième puissance économique du monde est elle-même à la recherche d’autres débouchés économiques, donc elle ne saurait voler au secours du Mali, surtout qu’elle est aujourd’hui confrontée à la guerre avec l’Ukraine et ses alliés occidentaux. Quant à la chine, elle pourrait bien combler le trou financier car elle dispose de beaucoup de devises, mais selon beaucoup d’analystes la Chine capitaliste viserait beaucoup plus ses intérêts qu’une idéologie anti occidentale. Elle ne se mêlerait pas de cette guerre de leadership entre la Russie et l’Occident, donc le Mali ne serait pas sa priorité surtout qu’elle a beaucoup plus d’intérêts avec l’Occident qu’avec l’Afrique. A ce rythme le Mali ne va-t-il pas payer le prix de sa turpitude et surtout de sa rupture avec l’occident ? Nul ne saurait donner une réponse juste à cette question, car ne sachant pas le degré d’engagement de la Russie et surtout les clauses du prétendu accord avec elle.

En définitive, le Mali cristallise aujourd’hui toutes les attentions, il est le cow baye sur lequel la nouvelle marche de l’Afrique vers son émancipation réelle est testée. L’expérimentation va-t-elle réussir ? En attendant le peuple malien paie le prix fort, car il souffre énormément 

Youssouf Sissoko

Source: L’Alternance