Lutte contre la corruption et la délinquance financière Des spécialistes se prononcent

Neuf ans après, les résultats de la lutte contre la corruption sont très mitigés si l’on se réfère aux cas de détournements et de corruption dénoncés par les différents rapports de contrôle. De 2002 à nos jours, la dizaine de rapports de contrôle produits soulignent l’aggravation des pratiques de mauvaise gestion. Et le seul Bureau du Vérificateur Général crée par ATT a fourni trois rapports pendant les 7 ans du mandat de Sidi Sosso Diarra avec des chiffres effarants concernant le manque à gagner pour le trésor public.

Le premier a porté sur un manque à gagner de 20 milliards, le deuxième sur plus de 100 milliards, et le troisième a constaté un déficit d’environ 80 milliards de francs CFA. Par ailleurs, d’autres vérifications effectuées courant 2005-2006-2007 ont signalé un manque à gagner de 138,58 milliards de F CFA, et seuls 31,78 milliards de F CFA ont été recouvrés. Le dernier rapport de la Casca (Cellule d’Appui aux Services de Contrôle de l’Administration), remis en avril dernier au président de la République, a aussi consacré l’amplification  du phénomène de corruption et de dilapidation des deniers publics, soit deux ans après les états généraux sur la corruption et la délinquance financière » organisées fin 2009.
« C’est de la diversion »

A quoi sert alors la très médiatique lutte contre la Corruption lancée au Mali dans les années 90 par le président Alpha Oumar Konaré ? En réponse à la question, Etienne Sissoko est formel. Pour lui, « ils ne servent qu’à faire diversion ». Selon ce docteur en sciences économiques (diplômé de l’Université Paris X à Nanterre), « les rapports au Mali sont publiés pour amuser la galerie ». « Le principe est connu, dit-il. Lorsqu’il s’agit d’attribuer de l’aide au développement à des pays comme le nôtre, les bailleurs de fonds procèdent par tranche de 3 volets : les deux premiers sont mis à disposition, et la troisième tranche n’est débloquée qu’après publication de rapports de contrôle.

Comme une façon de montrer que la bonne gouvernance est mise en avant. Mais en réalité, ajoute notre interlocuteur, ce sont des rapports pour la formalité ». Comme solution, le Dr. Etienne Sissoko préconise que l’Etat prenne ses responsabilités. « On connait les secteurs où il y a problèmes », dit-il, plaidant pour la création de véritables structures répressives. « Le détournement et la corruption sont des fautes graves et répréhensibles dans le code pénal. Il faut donc punir les fauteurs et les auteurs des malversations », préconise notre interlocuteur. Qui déplore « les limites du Pôle économique ».
La faiblesse des revenus en cause

Amadou Garan Kouyaté, lui, n’en dira pas moins. Professeur d’économie à la FSJE (Faculté des sciences économiques de l’Université de Bamako), il dirige le Groupe de réflexion et de recherche sur la corruption. Pour lui, tout contrôle a un intérêt. Cependant, ajoute-t-il, l’impact de ces rapports semble très faible dans la réduction de la corruption dans notre pays. L’une des explications à l’ampleur du phénomène réside, selon lui, dans la faiblesse du revenu des gens. « Tu ne peux pas demander à quelqu’un de bien gérer des millions, alors qu’il a un salaire dérisoire.

Et je crois que c’est pour cela que l’Etat lui-même a pris les précautions en attribuant un salaire faramineux au Vérificateur général. Pourquoi n’en fait-il pas de même pour ses autres employés ? », s’interroge notre interlocuteur. Qui rappelle que dans tous les pays du monde, toutes les enquêtes ont démontré que l’une des causes de la corruption, c’est la faiblesse du revenu. On attribue des salaires de misère au gens et leur demander d’être transparents. C’est absolument impossible.

Je crois que l’Etat doit protéger les gens en augmentant leurs revenus »,  préconise M. Kouyaté. Qui déplore par ailleurs le mécanisme de lutte adopté par le chef de l’Etat. « En lieu et place des poursuites judiciaires, l’Etat exige que le coupable rembourse ce qu’il a volé. Je crois que cette approche ne fait qu’empirer le phénomène  car c’est comme si on avait prêté de l’argent à l’Etat. Rembourser l’argent détourné est obligatoire, mais le côté pénal (qui exige des poursuites) est impératif. Il faut que cette sanction soit là pour dissuader les gens », conclut l’universitaire.

Issa Fakaba SISSOKO

L’ Indicateur Renouveau 04/07/2011