LIBERATION D’INGRID BETANCOURT L’opération « Echec et mat »

Ingrid Betancourt avait brigué sa candidature pour l’élection présidentielle qui avait consacré Alvaro Uribe à la magistrature suprême. Si bien que son enlèvement relevait plus d’une affaire politique que d’un intérêt financier des FARC. Ce mardi 2 juillet 2008, rien ne laissait transparaître, sur le visage d’Ingrid, ces souffrances qu’elle avait endurées pendant plus de 6 ans de captivité. Aussi avait-on comparé les conditions carcérales d’Ingrid à celles de Nelson Mandela, bien que la comparaison soit indue.

Une conférence d’un genre particulier

Ce jour-là, sur la base militaire de Catam (Sud de la Colombie) où un hélicoptère avait déposé les 15 otages libérés (dont 3 Américains et 11 militaires colombiens : des otages économiques), Ingrid, habillée en treillis militaire, avait tenu pendant plus d’une heure une conférence d’un genre très particulier : à part le Président colombien qui était présent, toute l’assistance était debout puisqu’il n’y avait pas de siège. Autant les premières déclarations en public (depuis sa libération) de Ingrid étaient affectées par l’émotion, autant toute son attitude dénotait une étonnante sérénité. Comme si cette longue captivité n’avait fait que raffermir son moral et sa détermination. Elle s’exprimait avec une voie émue, tant en français qu’en colombien. « Merci à ma douce France, merci pour m’avoir aidée !…Je suis colombienne, mon cœur est donc partagé…Merci de l’amour que vous avez donné à mes enfants…Je voudrais dire merci au Président Sarkozy, au Président Chirac, à mon ami Dominique de Villepin, à sa femme Marie Laure…Je suis à vous. Merci la France ! ».

L’entêtement d’Ingrid et l’intention vindicative d’Uribe

Lors de l’élection présidentielle colombienne, la population avait jugé la candidature d’Ingrid par trop « audacieuse », voire « téméraire ». En effet, les populations latino américaines en général, et les Colombiens en particulier, supportaient difficilement  qu’une femme osât  briguer une candidature présidentielle. Pire, cette « témérité » d’Ingrid avait à la fois outré et irrité bien des Colombiens, sans compter que son enlèvement par les FARC avait été en quelque sorte provoqué par…elle-même. En effet, Ingrid voulait faire sa campagne électorale dans une zone jugée extrêmement dangereuse parce que contrôlée à l’époque par les FARC.  Bien qu’ayant été prévenue du danger, elle tenait quand même  mordicus à y aller. Mais comme on dit, « on n’échappe pas à son destin ». Alors, face à l’entêtement d’Ingrid, ses propres gardes de corps (que le gouvernement colombien lui avait affectés) qui craignaient quand même pour leur vie, avaient exigé qu’elle leur délivre une attestation écrite et signée dans laquelle elle les déchargeait de sa sécurité. Et Ingrid avait accepté. Au-delà de la libération d’Ingrid, la détermination du Président Uribe à l’encontre des FARC s’expliquait surtout par son désir tenace de vengeance : son père avait été tué par ces mêmes FARC. Et depuis lors, il s’était juré de démanteler définitivement ce réseau de maquisards. Aussi, dès son accession au pouvoir, Uribe avait tout d’abord procédé à une intense campagne de discrédit des FARC au sein de la population colombienne. Ce qui avait eu pour conséquence immédiate (peut-être indirecte) de faire monter de plusieurs crans la côte d’Ingrid Betancourt non seulement en Colombie, mais aussi à travers le monde. Ensuite, Uribe avait fait des offres alléchantes aux guérilleros des FARC qui déposeraient  les armes et abandonneraient le maquis.   

Une opération sans bavures

Quant à  la famille d’Ingrid, elle n’avait pas été mise au courant de la préparation de cette opération qui, en fait, s’était déroulée dans un secret si total qu’elle avait littéralement surpris le quartier général des FARC qui n’avaient donc pas eu le temps de réagir. Et le plus surprenant, c’est que la reprise des 15 otages s’est effectuée sans aucune bavure : pas d’escarmouches, pas d’effusion de sang, bref du travail de pros.  Aussi, certains médias européens avaient  tôt  fait de surnommer cette reprise d’otages « Opération échec et mat ». Du reste, le Président Alvaro Uribe avait toujours déclaré que s’il pouvait déclencher une opération militaire, il interviendrait directement sur le terrain des FARC sans prévenir personne, encore moins les familles des otages. Et c’est ce qu’il avait fait : même l’hélicoptère qui avait servi à transporter les otages avait été loué…par une ONG. C’est tout  dire…

La tactique d’Uribe

Après avoir donné de l’argent et garanti la sécurité à tous les guérilleros qui accepteraient livrer leurs armes, la tactique du Président Uribe avait ensuite consisté à opérer une infiltration de spécialistes militaires (en la matière) de l’Armée colombienne au sein des FARC : une opération préparatoire qui avait requis des mois Aussi, depuis longtemps, les services militaires de renseignement colombiens avaient réussi ladite infiltration. En effet, le jour de la reprise des 15 otages, un seul hélicoptère s’était déposé dans la jungle, près de la base des FARC. Déguisés en émissaires, les occupants de l’hélicoptère (lesdits spécialistes) avaient fait croire aux FARC que le gouvernement colombien désirait rencontrer les otages et éventuellement discuter avec les chefs des FARC. Ainsi, les otages avaient été scindés en deux groupes.

Les 15 otages dont Ingrid faisait partie furent embarqués dans l’hélicoptère qui prit son envol. Au nez et à la barbe des FARC, peut-on dire, puisque tous les guérilleros témoins de l’opération étaient en fait ses complices : ils avaient été « achetés » en douce par le gouvernement Uribe. C’est après que l’hélicoptère se fût posé sur la base militaire de Catam (à Bogota, la capitale) que les commandos informèrent les otages…qu’ils étaient désormais libres. Rappelons par ailleurs que ces 15 otages libérés étaient composés d’Ingrid, de 3 Américains et de 11 Colombiens capturés par les FARC en février 2003 au cours d’une des missions traditionnelles de l’Armée colombienne dans la jungle colombienne contre des trafiquants de drogue.

Ainsi sonna le glas de la fin des FARC

Il semble qu’au-delà de toute espérance, les mesures entreprises depuis des mois par le gouvernement colombien à l’encontre des maquisards du FARC avaient finalement porté leurs fruits. Si bien que certains observateurs colombiens avaient du coup entrevu le commencement de la fin du règne des FARC. Finalement, le militantisme jadis bouillant de la plupart des guérilleros s’était considérablement ramolli. Et beaucoup d’entre eux étaient fatigués de vivre une aventure maquisarde dangereuse et sans lendemain : ils aspiraient tout simplement à une vie ordinaire et exempte de tout danger. C’était donc grâce à cette attitude défaitiste de ces guérilleros, jointe à la complicité de certains d’entre eux, que l’opération des commandos avait pu réussir. D’autre part, la mort (par crise cardiaque), quelque temps plus tard, du fameux leader des FARC, Manuel Marulanda, avait fortement ébranlé la détermination de ses guérilleros, surtout que juste après son décès, l’un de ses successeurs, Raoul Reyes, qui était en quelque sorte le N°2 du mouvement, avait été abattu dans la jungle colombienne au cours d’une embuscade de l’Armée colombienne. Pire pour les FARC : leur nouvel homme fort (après Raoul), Alphonse Cano, n’était pas aguerri aux rouages du maquis : pire, il ne disposait pas de la force de caractère de ses prédécesseurs et n’était pas imprégné des réalités politiques du mouvement. Si bien qu’après ce cinglant revers des FARC, Ils s’étaient retrouvés aussi faibles et impuissants que considérablement diminués sur le plan des effectifs : en effet, de quelque 17 000 combattants, ils s’étaient réduits à moins de 10 000. Une situation dont le Président Alvaro Uribe n’avait  pas manqué de profiter pour réussir une vieille ambition : nettoyer complètement le réseau des FARC.  

Entre Sarkozy et Uribe : Ingrid

Cette opération diligentée par l’Armée colombienne n’était pas une initiative française. En effet, ce n’est pas de cette manière que Nicolas Sarkozy comptait s’y prendre pour libérer Ingrid Betancourt. Toujours est-il que cette libération d’Ingrid avait renforcé davantage l’entente, voire une éventuelle complicité politique entre les deux Chefs d’Etat. Mieux, cette libération sans bavures avait mis Uribe au devant de la scène politique mondiale et colombienne en particulier. Avait-il usé de ce regain d’estime des Colombiens pour envisager de briguer un autre mandat présidentiel ? En avait-il profité pour tenter de porter un autre coup dur aux FARC ? Peu importe. En tout cas, dès ce 2 juillet 2008, jour de la liberté retrouvée d’Ingrid Betancourt, le Président Sarkozy  avait tenu à « remercier tous ceux qui, directement ou indirectement, ont contribué à cette libération ». A commencer par la Colombie, ensuite la diplomatie française, l’Espagne et la Suisse, entre autres.

Et dès ce 2 juillet, Sarkozy avait reçu la famille d’Ingrid à l’Elysée : sa sœur Astrid, sa fille Mélanie et son fils Lorenzo. Au moment de l’enlèvement d’Ingrid, sa sœur (Astrid) était âgée de 15 ans, et la fille (Mélanie) de 9 ans. Toujours le même jour (2 juillet), une délégation forte de 30 personnes, conduite par le très entreprenant ministre des Affaires étrangères de l’époque, Bernard Kouchner, s’était envolée pour la base militaire de Catam (Bogota) pour accueillir l’otage libéré. Toute la famille d’Ingrid était du voyage. Quelques heures plus tard, celle qu’on croyait ne plus jamais revoir vivante atterrira sur la base aérienne de Villacoublay dans les Yvelines. Ainsi, de martyr presque oublié, Ingrid Betancourt était devenue une héroïne désormais adulée.

Par Oumar Diawara « Le Viator »

Le Coq 01/07/2011