Lettre Ouverte / Le sentiment qui est le mien en ce moment est celui d’un abandon intime.

 

Assez d’entendre des leaders politiques incapables, haineux, assoiffés de pouvoir salir le travail d’une vie. Depuis son enfance, mon père s’est préparé à travailler pour le Mali. Arrivé à la fonction de commandeur en chef, il a effectué sa tâche, puis s’est tu, afin de laisser son successeur continuer la stabilisation du pays. Il aurait pu aller plus loin, mais il ne l’a pas fait, donc arrêtons de spéculer. Telle était sa volonté, et ça, c’était pour le mieux.

Egalement, je ne doute pas un seul instant que ATT était de loin le mieux placé en 2002 pour prendre les rennes d’une transition du Mali vers la démocratie pleine. Car non, il ne s’agissait pas de 1992 à 2012 d’une vraie démocratie. Comment cela aurait-il pu être possible ? Des décennies sont nécessaires pour stabiliser un pays, et l’on ne se réveille pas démocratie du jour au lendemain.

Mes parents ont mené une lutté de longue haleine qui a débouché sur la libération de mars 1991. Que les militaires en aient tiré une gloire personnelle, soit, mais ce sont les civils qui ont préparé les esprits, et qui jamais n’ont failli. D’ailleurs, même en ce moment, des militaires font appel aux civils. Qui peut prétendre avoir la science infuse et détenir les solutions à tout. La preuve des champions, c’est l’esprit de compromis, de fédération, et le sens de l’effacement, lorsque c’est nécessaire.
Le moment décisif est venu grâce aux militaires, mais n’oublions pas ceux de l’ombre, vivants ou morts.

Mais déjà, à cette époque, la haine et l’opportunisme ont habité les esprits. Depuis cette époque, des personnes ont voulu pourrir le Mali avec leurs discours simplistes, magiques. Il faut de la carrure, un esprit bienveillant, et en même temps de la force pour accomplir une mission présidentielle.

Je viens sur un point omniprésent dans les reproches. L’école. C’est une tragédie que ce qui est advenu de l’école malienne.
Personne ne me fera croire que des solutions miraculeuses existaient pour cela. Le peuple a cru à des gouvernants, ils ont fait de leur mieux, hors de toute théories ineptes d’un complot pour asservir les peuples en les gardant ignorants. Les gouvernants ont failli. Est-ce la fin ? Résolument non. Il faut continuer la lutte pour cette école, ouvrir son esprit, faire de nouvelles propositions, en dehors de l’idéologie qui a dirigé les dix, vingt, trente dernières années. C’est aussi cela l’esprit de la démocratie…le système le plus imparfait, en dehors des autres…il faut résister à l’épreuve du temps, et par un essai-erreur tragique, triompher enfin, par la bonne volonté, la cohésion, l’honnêteté morale de tous. Je pense que c’est ce dernier point qui manque à des politiques assoiffés de pouvoir. Ceux qui n’ont pas l’esprit intoxiqué et qui ont renoncé à cette soif, le savent mieux que moi.

J’étais enfant, mais j’ai été le témoin de tout le mandat de mon père. Des premiers mois où ses adversaires politiques, ceux à qui il succédait, des militaires, lui donnaient à peine quelques semaines avant de s’écraser, jusqu’aux derniers, lorsque ses alliés les plus fidèles voulurent s’emparer du gâteau républicain, pensant que la farine avait bien pris, et que le pouvoir leur revenait à présent de Droit.

Pendant dix années, des politiques ont envenimé le débat politique, l’ont ramené à des considérations triviales, rapides et superficielles, sans vision à long terme pour un futur calme. Ils ont instrumentalisé des jeunes, les ont mis dans les rues, ont tenté d’éprouver les institutions de l’état en espérant les déstabiliser et semer le chaos. La démagogie a toujours profilé derrière cela. Parmi ces personnes auto-proclamées championnes de la démocratie, combien  n’ont pas participé à la mascarade de multipartisme prévalant sous l’ère ATT ? Est-ce bien ATT qu’il faut accuser là ?

En attendant, l’icône qu’était mon père a été salie, et à présent, quelle figure d’espoir existe dans les cœurs des maliens ?
Je me tourne à présent vers tous ces anonymes, jeunes ou vieux, qui chaque jour- presque- viennent vers moi, naturellement, sans calculs ni demandes personnelles, pour me témoigner l’immense affection qu’ils ont pour mon père, pour me dire de lui faire appel, de le faire sortir de son silence.

Comment leur expliquer que pour moi, c’était au delà de la frustration, que c’était une tristesse intime qui me donnait parfois le sentiment qu’elle pourrait m’achever…un sentiment d’abandon et de défaite inchangeable : le seigneur que je connaissais avant de connaître Allah, mon père, avait déserté l’existence, il avait déserté les fronts. La violence de mon semblant d’enfance, l’humiliation des dix dernières années, à tout encaisser sans broncher, la honte d’être des justes…rien de cela n’a été réparé. J’ai été laissé à panser seul mes plaies, à aller puiser seul la bravoure de ne jamais perdre espoir en l’humanité. En même temps, j’étais emmuré dans le silence également. Il ne faut pas déranger ATT, il ne faut pas influencer le peuple, la démocratie doit fonctionner et s’autoréguler. Mais par Dieu, sommes-nous des djinns ? Disposons-nous de pouvoirs occultes pour s’assurer que le Bien triomphe, au bout du compte ? Nenni. Je devais accepter la frustration immense d’être spectateur d’un monde qui brûle.
Là, moralement, je peux parler d’une responsabilité de moi, de mon père, de ma famille.

Mais, soyons clairs, dans ce silence olympien, mon père n’a jamais refusé de tendre la main. Si les Hommes de ce pays sont honnêtes, ils reconnaitront- pour ceux qui savent- que mon père a toujours proposé son soutien à ATT, aux leaders politiques, mais toujours dans le conseil, jamais dans l’imposition de manœuvres. D’ailleurs, cette aide n’a jamais été acceptée par les plus hautes instances. Question d’égo ? Je ne spéculerai pas. Mais chacun doit savoir que clairement, il s’est offert, et l’on n’a pas voulu de lui. En tant que qui, que quoi parler à présent ? Lui, il dirait, en tant que rien, car il n’a pas « joué » sur l’échiquier politique, volontairement, et il s’est donc enlevé les moyens démocratiques d’agir. Moi, je dirais qu’il y a une responsabilité, une fonction morale qui transcende à un moment l’idéologie qui est la sienne et qui place la démocratie sur un autel élevé, et de manière optimiste. Mon enfance si singulière, et différente de celle de tout autre malien- même de celle des mes frères et ma soeur- fait que j’ai eu l’intuition très rapide des limites de l’être humain.

Il ne s’agit pas de dire qu’il faut punir, ou qu’il faut perdre espoir. Je dis simplement qu’il faut accepter que parce que nous ne sommes pas parfaits, il faut être constamment en alerte pour s’accompagner les uns les autres. A partir de là, j’ai envie de réclamer une intervention, afin de rappeler certains principes, et de guider tel que nécessaire, comme toujours pendant des décennies, avant l’emmurement, avant le silence.

Je comprends bien que lorsque l’on a été bafoué pendant dix ans, ou même vingt, l’on perd un statut d’icône. Si on ne rétablit jamais certaines vérités concrètes, que l’on accepte pas la lutte dans les arènes pour défendre son bilan, que l’on laisse à autrui le soin de nous faire meurtrier, démagogue, manipulateur, voleur, sans rien dire, comment le peuple peut-il savoir ? Et de là, comment peut-il faire confiance ? Comment peut-il vouloir lutter à nos côtés ?

Accusés d’être pyromanes, je pense plutôt que nous avons été inexistant. C’est l’absence d’être, plus que l’être-mal.
Aujourd’hui, je me sens toléré, pas épargné.

Ceux qui ont combattu le « régime AOK » vers la fin, et durant l’exercice d’ATT, parmi lesquels des personnes que j’estimais plus que tout en grandissant, parmi lesquels des parents proches que j’ai aimés, et que j’aime plus que tout même maintenant…ces gens, je ne pense plus jamais pouvoir les récupérer au niveau personnel. Ils ont trahi dix ans au minimum de combat commun, ils ont voulu se mettre en avant, et s’agripper au pouvoir. Pourtant, je ne les condamne pas. Je n’ai plus la force de leur en vouloir d’avoir trahi le travail pensé ensemble, d’avoir trahi le sang qui coule dans nos veines, de ne pas avoir été là pour la patrie tel qu’ils l’avaient promis, de ne pas avoir été là pour moi et ma famille au moment où nous avions besoin les uns des autres.

Je comprends par bien des manières leur sentiment d’abandon, et leur quête de survie, dans un monde qu’ils pressentaient déjà hostile à nous, et niant nos efforts. Je ne peux pas excuser ce qu’ils ont fait, et leur contribution au ternissement des accomplissements et des douleurs communes, car ils ont comme craché sur les efforts de tous. Mais, je peux imaginer un futur de réconciliation avec tous, car nous ne nous sommes pas parlé, et maintenant, face à l’adversité d’un pays en lambeaux, quel choix avons-nous que d’oublier et de réparer au mieux?

Je me place donc en porte-à-faux total avec les relents d’inquisition qui règnent depuis quelques jours. Il n’est pas temps pour cela. Il ne s’agit pas de se venger, il ne s’agit même pas d’avancer, mais de tenir debout.
Je dois dire que ma parole dans ce message est mienne, et elle n’engage que moi. Je ne vois de bandits ni dans le CNRDRE, ni dans le MNLA, mais dans d’autres groupes. Dans ces deux mouvements que je cite, je vois des jeunes personnes éprises de liberté et de valeurs, proposant une solution qui ne peut faire l’unanimité, du fait de sa violence, et de son aliénation de notre État.

Je suis contre le conflit armé face au MNLA, je suis contre la mort de maliens, loyalistes ou rebelles, ou mutins. Au delà de ça, je suis contre toute perte de vie humaine, quelque soit son origine sociale, ethnique, nationale, religieuse. Je suis pour le dialogue, pour le respect, pour les idées de générosité et de bienveillance.

A partir de cela, j’ai été, et je suis encore contre l’envoi de soldats maliens au nord du pays pour combattre le MNLA. Les autres groupes, eux sont autre chose. Le MNLA peut nous aider, les africains peuvent nous aider, les occidentaux peuvent nous aider. Il en va de notre bien.

Il me semble que si nous n’avions pas exposé nos soldats- d’autant plus de la manière dont cela a été fait- nous ne serions pas dans cette situation de crise. Il aurait fallu agir fermement, plus tôt.

C’est une guerre fratricide, une guerre de démunis, de sacrifiés. De plus, lorsque je vois avec quelle facilité notre appareil étatique s’est écrasé, le peu de discipline avec lequel la situation parvient à être calmée à Bamako, je me dis que notre système de commande est clairement en décalage avec celui du MNLA par exemple. Ces frères et sœurs maliens qui ont choisi de prendre les armes, qui ont tué pour faire entendre leur voix, qui n’ont pas été séduits comme il le fallait par le gouvernement central, qui n’ont pas pu profiter des promesses et de l’espoir nés avec mon père, car le combat de ce dernier pour l’unité a été malmené pour diverses raisons…ces maliens là, je suis au regret dire que je pense que leur esprit concentré, déterminé, et organisé, pourrait les faire triompher de la manière la plus sanguinaire qui soit, je pense. Il me semble que beaucoup seront d’accord avec moi pour dire que le MNLA a connu de nombreuses victoires, que nous n’avons pas affaire à des amateurs, ou à des drogués imprécis comme on a voulu nous le faire croire, que les infâmes replis stratégiques de l’armée étaient des défaites avilissantes, ni plus, ni moins.

Et qu’est-ce qui s’est amélioré à présent, sur le plan militaire ? Que sont devenus nos femmes et hommes d’expérience ? Que sont devenues nos munitions ? Qu’est devenu l’appui de forces étrangères à notre armée ? Qu’est devenu notre système d’administration ?

Si le MNLA est, en termes de guerre, généreux, il campera sur les positions qu’il a fixées comme étant siennes. Sinon, la guerre s’étendra…Qui va arrêter ce mouvement ? Et comment ? Trop de vies ont déjà été perdues. Est-ce nécessaire ? Ne pouvons nous pas ravaler notre égo, et montrer en quoi il y a réellement une volonté de changement, plutôt que de tirer des plans sur des comètes ?

Il est impossible, je crois bien, d’appuyer la politique sécuritaire de ces dernières années au nord, ou la politique de centralisation autour de Bamako. Une fois cela dit, c’est une étape très facilement franchissable que de se dire que le MNLA et la société civile malienne avaient beaucoup de reproches en commun à l’égard du bilan des années ATT. Ne peut-on pas se retrouver autour de ce qui nous rapproche, et décider humblement ce qu’il est possible de négocier ?

Loin de moi l’idée de coller de manière systématique, simpliste, inquisitoire et irréfléchie tous les malheurs du Mali sur le régime déchu. Mais je pense que nous sommes dans un moment où il faudra prendre des décisions, et mieux vaut savoir ce qui n’allait pas, afin de ne pas le refaire.  Des choses peuvent être reprochées à tous les gouvernements qui ont régné au Mali, mais dans un État de Droit, et dans une volonté de progrès, il faut tirer clairement des conclusions, mais ne pas détruire la dynamique d’évolution nécessaire à l’enracinement de la démocratie.
C’est l’histoire qui fera les jugements, pas les Hommes.

Pour ma part, j’espère qu’à l’issue de cette période de troubles que notre pays vit actuellement, nous saurons réfléchir de nouveau à ce que signifie notre identité malienne, et permettre à chacun d’atteindre son objectif du bonheur sans freiner autrui, et sans entrer dans une volonté d’imposer des idéologies rigides. Je pense à une fédéralisation comme prochaine étape, par exemple.

La décentralisation et l’intégration africaine sont des combats que mon père a menés. Peu ont appuyé ces garanties qu’il voulait offrir aux peuples, et cela, au niveau national, comme au niveau panafricain.
Moi, très humblement, je prends acte de ce qui a été fait, et de ce qui n’a pas été fait, et je propose d’aller dans des logiques qui sont à notre portée. Après l’incapacité de défendre des minorités, de garantir le développement parallèle et autodéterminé partout-tandis qu’une minorité des minorités seulement jouissait de l’intégration- nous devons revoir nos logiques d’unité, et proposer des visions précises et populaires.

Nous nous tenons sur une période charnière, ne devenons pas des victimes de nous-mêmes. Donnons une chance à nos institutions et à notre constitution. Elles ne sont pas nées en une nuit, et elles ne grandiront pas en une nuit. Revenons vers elles, aimons les, et changeons les. Ce n’est pas la force qui forcera une pierre à se faire or.
Je voudrais enfin terminer ce message en disant que je ne veux « antagoniser » personne. Il ne s’agit pas de pointer des doigts, de juger qui que ce soit.

Je pense aux soldats tombés, mais aussi à ceux qui sont debout et qui ont estimé nécessaire d’agir ainsi, nous mettant tous dos au mur. Je voudrais qu’ils continuent d’assurer la sécurité du peuple comme avant, comme avant leur tentative de renverser le Président de la République. Je voudrais qu’ils regagnent les casernes. On me dira qu’il fallait un changement de fonctionnement de l’état. Soit. Cependant, nul n’a la science infuse, et les braves savent bien reconnaître leurs limites, et le besoin de travailler tous ensemble.

Je voudrais que Madame Cissé et son gouvernement réapparaissent. Je voudrais une réconciliation nationale, où nous parlerions tous à battons rompus, aussi bien entre communautés géographico-ethniques, qu’entre différentes parties de la société et de la classe politique. Malheureusement, au jour d’aujourd’hui, ce n’est pas la réassurance qui est dans les cœurs, mais bien la peur et l’incertitude. De là, nous ne pouvons pas fonctionner. De la peur, ne pourront jamais naitre les solutions à notre bonheur. J’en sais bien quelque chose…

Merci à tous les braves, militaires, civils, qui se mettent au devant de la scène, non pas pour glaner quelque intérêt, mais pour protéger des vies, assurer un semblant de normalité aux masses, et faire que nous ne nous sentions pas étrangers sur les terres où nous avons grandi, et où nous nous sommes aimés.

Si nous parvenons à nous apaiser, à nous entendre tous, alors nous pourrons gagner. Pas une guerre, mais notre démocratie et notre bonheur. Avec nos sœurs et frères, quelque soit le statut futur du Mali.
Maintenant, plus d’excuses et de stupeur. Voici les choses telles qu’elles sont pour moi.
Si risquer ce que je risque est le tribut pour des lendemains meilleurs, et pour réveiller les âmes, soit.

Je voudrais faire une prière, pour qu’il n’y ait plus de morts…

Que chacun agisse en son âme et conscience, et réclame ce qu’il pense utile à réclamer, de la part de la junte, et de responsables politiques. Ce qui ressort, c’est que les évènements de ces derniers jours ont délié les langues. Cela a changé, clairement. De là, prenons cet acquis immense, et avançons, mieux qu’avant, mais dans le même cadre démocratique.
Moi, je suis là. Certes, je suis là. Que ce qui doit arriver arrive, je n’en suis pas à un sacrifice près, derrière les masques, les sourires, le silence. Il faudra bien un dernier sacrifice pour que cette vie ait vraiment entièrement été un sort du destin, ou quelque autre épreuve de sacerdoce. Que de l’abandon, naisse un sens. Et si j’ai pu par ces mots servir à quoi que ce soit, ce sera pour le mieux. Sinon, j’aurai fini tel que j’ai été.

Dougoukolo Alpha Oumar « Baba » Konaré
Birama KONARÉ
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Le Républicain 28/03/2012