Le quotidien « Le Monde » : Le Mali, carrefour du narcotrafic.

La tête, elle, est déjà fourrée dans une poche en plastique cachée sous des sacs de ciment, sans doute comme preuve de l’exécution. Tout le monde est interpellé, des armes sont saisies.

L’homme au 4/4 est un Espagnol du nom de Miguel Angel Devesa ; les découpeurs, eux, sont pour l’un, vénézuélien–Gustavo Valencia

– et pour l’autre, portugais – Souza Miranda. La victime, Thomas alias Johnny, est un Colombien porteur d’un faux passeport ukrainien. Pareil assemblage, peu fréquent sur les bords du fleuve Niger, aurait pu sembler bizarre aux policiers bamakois. Pourtant, ils traitent l’affaire comme un

banal homicide, sans investigation particulière sur les mobiles du trio dont le chef, l’Espagnol Devesa, se présente comme un entrepreneur en bâtiment. Sa version est simple mais difficilement crédible : le Colombien a voulu tirer sur lui, mais son garde du corps portugais a dégainé.

La presse rapporte qu’ils ont offert 14 millions de francs CFA (21 000 euros) aux policiers pour qu’ils oublient tout. En vain. Les voilà détenus à la prison de Bamako, en attente d’un jugement devenu improbable,

Tant l’affaire est devenue embarrassante.

Deuxième acte : trois mois après l’affaire de la tronçonneuse, au Maroc, les policiers interrogent un Espagnol qu’ils viennent d’interpeller en démantelant un vaste réseau de trafiquants de stupéfiants.

L’homme évoque un « règlement de comptes » à Bamako. Les Marocains découvrent l’épisode bamakois sanglant et établissent que Miguel

Devesa est un trafiquant au pedigree connu. En outre, l’Espagnol arrêté au Maroc affirme avoir convoyé un camion de kérosène vers Tarkint, petite ville du nord est malien. Or, depuis novembre 2009, cette localité est associée dans les mémoires maliennes à un avion que la presse a surnommé le «Boeing d’Air Cocaïne ». Pendant trois semaines, les autorités de Bamako avaient alors caché l’atterrissage en plein désert de ce B727, dont la cargaison, de 5 à 6 tonnes de cocaïne destinée à l’Europe, avait disparu. L’avion n’avait pas pu redécoller, sans doute à cause de la mauvaise qualité du kérosène convoyé. Il avait alors été volontairement détruit par le feu. « Depuis quelques années, le Mali est devenu un pays de rebond: la cocaïne arrivée de Colombie remonte vers l’Europe via Bamako», confirme une source policière. Le désert du Sahel tient lieu de carrefour. Selon la même source, le règlement de comptes entre Miguel Devesa et ses acolytes sud-américains était lié à la manne d’«Air Cocaïne», estimée à plusieurs millions d’euros.

Un télégramme secret de l’ambassade américaine à Bamako rendu

public par WikiLeaks le 14 décembre accrédite l’hypothèse d’une protection en haut lieu du vol d’«Air Cocaïne ».

Selon ce document étudié par Le Monde, l’administration de l’aviation civile malienne, prévenue du fait que le certificat de navigabilité du B727 avait expiré, s’est vu interdire d’intervenir et d’enquêter sur le crash. En outre, les autorités de Bamako ont refusé de communiquer à ce sujet avec l’agence américaine antistupéfiants, révèle encore la dépêche diplomatique.

«Le président malien se trouve redevable envers des personnalités qui ont négocié avec succès la libération d’otages occidentaux , analyse une source diplomatique occidentale. Certaines d’entre elles sont impliquées dans le trafic de drogue. »

Le lien entre le Boeing d’«Air Cocaïne» et les terroristes d’AQMI, allégué par les autorités marocaines, n’est pas fondé

En revanche, selon une source bien informée, le lien entre le Boeing d’«Air Cocaïne» et les terroristes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), allégué par les autorités marocaines, est infondé. «AQMI a des contacts avec les trafiquants mais n’est pas impliquée dans l’organisation du trafic. Les islamistes n’en ont pas besoin : ils ont l’argent des rançons.»

Le rapport désormais établi entre le règlement de comptes à la tronçonneuse et l’atterrissage secret du B727 n’en est pas moins embarrassant pour les autorités maliennes. D’autant que le Consortium espagnol d’investissement, l’une des sociétés qui servaient de couverture aux trafiquants, avait pignon sur rue. Le «consortium», dont les bureaux

étaient logés dans le même immeuble que la délégation de l’Union européenne à Bamako, intervenait dans l’immobilier et le secteur minier. Il participait à des appels d’offres pour obtenir des marchés publics. Plusieurs interlocuteurs évoquent le blanchiment d’argent. Investissant dans le bâtiment, il se faisait fort de développer les logements sociaux alimentés par l’énergie solaire et se présentait comme un « acteur du développement». Les trafiquants aujourd’hui incarcérés finançaient une association d’aide à l’enfance et, en février, avaient remis un chèque de 4millions de francs CFA (6 000 euros) à la ligue régionale de football de Mopti, comme en atteste un article de presse. Depuis le rebondissement

marocain, l’affaire a été retirée au juge d’instruction et confiée aux services de sécurité maliens. « Je ne pense pas que le Mali veuille les

juger, commente pourtant un juriste proche du dossier. Il n’est pas outillé pour le faire et ce serait une mauvaise publicité. »

Tous les observateurs soulignent le caractère encombrant de ces détenus hors normes. Déjà, l’un des membres du trio, de nationalité portugaise, a échappé à ses geôliers dans des conditions inexpliquées.

Philippe Bernard Bamako, envoyé Spécial

Coopération accrue avec les anciens rebelles touaregs

Les ex-rebelles touaregs maliens se sont réjouis, jeudi 30 décembre, de l’évolution du processus de paix dans le nord du Mali après des mesures gouvernementales sur la réinsertion des anciens combattants touaregs et la consolidation de la paix, a annoncé jeudi à la presse leur porte-parole, Amada Ag Bibi.

Le chef de l’Etat malien a récemment nommé un ex-rebelle touareg à la tête des unités spéciales, des troupes d’élite chargées d’assurer la sécurité dans le nord du pays où sévissent des groupes armés affiliés à Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI).

Ces unités, prévues par les accords de paix d’Alger de juillet 2006, sont composées d’environ 200 militaires touaregs et de nouvelles recrues de l’armée malienne. Elles vont travailler sous le commandement de l’armée régulière.

Des rébellions touaregs ont sévi au Mali dans les années 1990 et au début des années 2000 avant la signature d’accords de paix avec Bamako. –

(AFP.)

Le Républicain 04/01/2010