Le président du MPM, Hadi Niangado

-« Il faut que nos autorités s’entendent avec la CEDEAO »

-« La Transition doit redoubler d’effort, respecter le peuple et aller à des élections transparentes »

La loi électorale en discussions devant le CNT, le prochain sommet de la CEDEAO du samedi 4 juin 2022, la récente tentative de coup d’Etat, la dernière sortie de l’imam Mahmoud Dicko… Le président du parti Mouvement pour le Mali (MPM), l’ancien vice-président de l’Assemblée Nationale, Hadi Niangado se prononce dans cette interview exclusive sur toutes ces questions brûlante de l’actualité.

MALI-HORIZON : Quelles sont vos appréhensions par rapport au projet de loi électorale qui est en discussion devant le CNT?

Hadi Niangado : Ce projet de texte est sur la table, et les écoutes ont commencé. Nous avons eu le privilège d’être invité par rapport à cette loi. On nous a posé beaucoup de questions et la loi électorale, qui est devant cette institution, a beaucoup de complexité. Parce que dans cette loi, on parle de la régionalisation, or dans la Constitution actuelle, il y a des aspects à revoir. Si on ne révise pas la Constitution, nous serons obligés d’aller vers les cercles et chaque cercle doit normalement avoir un député. Si le cercle dépasse 70 000 habitants, il doit avoir un député. Mais, même si c’est 10 personnes dans le cercle, il doit avoir son représentant. Par rapport à ça, j’ai eu l’occasion de parler avec les membres du CNT. Tout le monde pense que si on va avec les cercles, le nord aura beaucoup de députés. J’ai eu l’occasion de le dire, mais on dit que nous sommes des racistes. Et si la loi leur donne l’occasion d’avoir quelques choses, pourquoi ne pas leur donner ça, au lieu de leur donner ce à quoi ils n’ont pas droit. Ça veut dire que nous reculons et nous donnons raison à ceux qui pensent que nous sommes racistes. Ça nous permet de contrôler l’État, de contrôler le cercle, le nord et le sud. Ils ont dit que s’il y a trop de députés, les charges sont lourdes. J’ai dit que nous avons des manques dans certains domaines de l’administration publique ; ça n’a rien à voir avec les rémunérations de 150 députés. 

Plus de 500 à 800 milliards F CFA de manques à gagner par an

Nous avons plus de 500 à 800 milliards F CFA de manques à gagner par an. Donc, l’Assemblée Nationale, qui a un budget de 18 milliards F CFA, si ça  doit aller à 36 milliards et amener une stabilité, pourquoi pas ? En 2012 il y a eu un coup d’État et l’Assemblée Nationale était là et il y a eu l’embargo, le pays a perdu quoi? Si avoir 400 députés peut amener la stabilité pourquoi pas, ça vaut mieux que des coups d’Etat.

L’autre innovation, c’est l’autorité indépendante de gestion des élections (‘AIGE), Qu’en pensez-vous ?

L’autorité indépendante est la bienvenue. Nous avons eu à tenter avec la CENI, ça n’a pas marché et ce que nous voulons faire, c’est faux. Cette autorité indépendante ne peut pas prendre les attributions du ministère de l’Administration territoriale et celles de la Cour Constitutionnelle. Donc, pour donner l’attribution de la Cour Constitutionnelle à un organe, il faut réviser la Constitution, ou il faut réviser les chartes et dire qu’elle remplace les attributions de la Constitution. Donc, c’est des gymnastiques. Pour moi, si on prend les attributions de l’administration territoriale, on peut faire 4 jours sans avoir le résultat de Nioro ou de Sandaré. Et si les résultats prennent 4 jours, on peut les changer aisément et bonjour les fraudes !

Donc, vous pensez que cette nouvelle loi électorale ne peut pas gérer les élections prochaines ?

J’ai dit qu’on doit enlever l’organe unique dans cette loi. L’organe unique doit faire l’objet d’une loi organique, comme nous l’avons fait pour le Vérificateur général et pour le chef de file de l’opposition. La révision de la Constitution est indispensable et elle doit se faire obligatoirement avant les élections. Réviser la Constitution et changer la Constitution, ça fait deux. Nous avons eu à réviser la Constitution au temps d’Alpha Oumar Konaré. J’étais à l’opposition qui s’y est opposée. Et quand Amadou Toumani Touré a voulu la réviser, j’étais député et c’est l’opposition avec le RPM, qui a refusé et lorsque IBK est venu au pouvoir, c’est eux qui ont révisé la Constitution et l’URD avec d’autres personnes ont dit « An tè a Bana » (front du refus). Donc, personne ne peut réviser la Constitution si ce n’est pas la Transition, parce que nous avons eu l’expérience de Alpha, de ATT et de IBK. La transition doit le faire et pour réviser la Constitution, on n’a pas besoin de 2 ans. 

Dans ce cas, on aura une transition très longue, non ?

Aux précédents sommets de la CEDEAO, nous n’avons pas fait un calendrier détaillé, depuis en décembre 2020. Ce n’est pas 18 mois ou 24 mois. On doit dire, dans 6 mois, on fait ceci, dans 18 mois on fait cela.

Aujourd’hui, le gouvernement parle de « 24 mois incompressibles », la CEDEAO dit pas question…

Il peut parler de 24 mois, de 18 mois ou de 36 mois. Mais de 24 mois pour faire quoi ? C’est ça qui est important. Il faut donner des détails en disant dans 6 mois, on fait l’élection municipale, dans 8 mois on fait la révision constitutionnelle, 18 mois, on fait les élections législatives, dans 23 mois, on fait les élections présidentielles. Il faut détailler et donner des motivations précises

Alors quel est votre espoir par rapport au sommet de la CEDEAO du 4 juin prochain?

Je n’ai aucune idée de ce que les chefs d’État vont faire, mais il faut que nos autorités s’entendent avec la CEDEAO. La CEDEAO est consciente du problème du Mali. Depuis le début de la transition, les produits pétroliers et les produits de première nécessité n’ont pas fait l’objet d’embargo. Les gens sont en train de parler, ils peuvent tout fermer, mais ils ne l’ont pas fait. Ils ont été sensibles à la population. Les militaires sont au pouvoir depuis quand ? ATT était au pouvoir, il a fait 9 ans. Les militaires peuvent venir après. Il faut organiser les élections, qu’un militaire se présente, c’est mieux que nous restons avec la CEDEAO dans un truc indéfini.

Récemment, les autorités militaires ont parlé d’une tentative de coup d’Etat, qui a échoué. Quel est votre commentaire par rapport à cela ?

Je suis un républicain, c’est à la télévision nationale que les autorités ont dit qu’il y a eu une tentative de coup d’Etat. Je m’en tiens à ça. Ça n’engage que l’État, qui a annoncé et nous, nous condamnons. Notre parti a condamné le coup d’État de 2020 et nous avons condamné ce coup d’État et nous condamnons toutes formes de coup d’État. Pour accéder au pouvoir, il faut passer par les urnes. Donc, nous ne pouvons pas encourager un coup d’État. Donc, le pays doit faire attention à un autre coup d’État. Lorsque j’ai été interviewé par la télévision nationale par rapport au coup d’État de 2012, j’ai dit que nous aurons 5 ans de problème et nous sommes à 10 ans de crise, aujourd’hui. On ne peut pas s’en sortir par une succession de coups d’Etat. 

En 1960, nous avons pris l’indépendance, mais avant l’indépendance, c’était la fédération du Mali avec le Sénégal.  Aujourd’hui, le Sénégal est où et nous sommes où ? On avait plus de populations et de ressources que le Sénégal. Aujourd’hui, le Sénégal est parti, parce qu’il y a une stabilité. 

Actualité oblige, l’Imam Mahmoud Dicko vient de faire une sortie fracassante, « les gouvernants arrogants, les parties politiques moribonds ». Qu’est-ce que vous avez comme réaction ?

Nous, partis politiques, ne sommes pas moribonds, nous sommes sur pied. Peut-être, on ne fait pas ce qu’il attend de nous, mais nous sommes là. Notre parti, le MPM est créé en 2018 et 4 mois après, il y a eu des élections présidentielles et nous avons soutenu IBK et il a gagné. Aux législatives, nous avons eu 11 députés. Un parti politique n’a d’autre rôle à jouer que sensibiliser, former la population, mettre des structures en place et aller aux élections. Nous ne sommes pas là pour insulter tous les matins qui que ce soit ou combattre qui que se soit. Nous ne sommes là pour demander des faveurs à qui que ce soit. Nous sommes là pour organiser notre parti, former et informer la population par rapport aux réalités de notre pays. Nous n’avons pas des armes, ce que nous avons, c’est la population et nous nous organisons pour attendre les élections. Dès qu’il y aura des élections, il saura que nous sommes là. Un parti politique est créé avec comme ambition d’accéder au pouvoir par la voie des urnes.

Quid des « gouvernants arrogants » et de « l’orgueil de la communauté internationale » ?

Ça, c’est le français et il faut aller voir le dictionnaire. Moi, je pense que l’arrogant, c’est quelqu’un qui parle mal aux gens, c’est quelqu’un qui méprise les gens, c’est quelqu’un qui, face à la communauté internationale, les insulte, il les méprise. Et depuis les négociations, j’ai vu les associations et certaines personnes insulter la communauté internationale. Cela ne doit être mis à la charge de nos autorités, qui ne se sont jamais inscrites publiquement dans cette logique.

En outre, pour les attitudes de la communauté internationale, ce n’est pas de « l’orgueil », mais ce sont des principes.

Vous avez certainement un appel à lancer à la population malienne. 

Ce que j’ai à dire, si l’hivernage arrive et que malheureusement il n’y a pas assez de pluies, on attribue ça au président. Donc, aujourd’hui il y a l’embargo, il y a aussi la crise ukrainienne  qui s’ajoute. Nous attribuons tout ça aux autorités, qui sont là. Ce que je demande à la population, c’est d’être vigilante et sereine et d’essayer d’accompagner la transition. Aux autorités, je demande d’avoir pitié de la population. De ne pas voir eux même, de voir le pays, les fondements du pays et l’avenir de nos enfants. 

Aujourd’hui, nous savons que le pays a beaucoup de difficultés. Même pour se soigner, on n’est obligé d’aller à l’extérieur. C’est parce que nous n’avons pas des infrastructures qu’il faut. Aujourd’hui, les diplômes du Mali ne sont pas les mêmes que ceux du Sénégal, parce que les écoles ont été sabotées, il y a eu beaucoup de grèves. Donc, les jeunes, qui sont au pouvoir aujourd’hui, doivent revoir le système éducatif et le système d’organisation de la santé du pays. Ils doivent poser des actes pour que celui qui viendra après, puisse s’inscrire dans la continuité. C’est pourquoi Obama a dit à l’époque que nous avons besoin des institutions fortes, au lieu des hommes forts. 

Il faut aussi que la télévision nationale continue d’informer la population. Je demande à la Transition de redoubler d’effort, pour pouvoir organiser les élections transparentes. Le peuple doit être respecté, sa voix doit être respectée. Donc, pour respecter le peuple, la volonté du peuple, c’est d’organiser les élections proportionnelles intégrales et prendre en compte tous les cercles, nouveaux et anciens, parce que nous les avons créés et ils ont leur droit. 

Transcrite par Abréhima GNISSAMA