L’Afrique, bombe démographique ou relais de croissance mondial ?

L’afro-optimisme a changé le regard porté sur l’Afrique tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il a notamment contribué à une vague de retours de la diaspora africaine, ces élites qui ont étudié et réussi à l’étranger. Leur expertise joue un rôle majeur dans le renouveau du continent. Mais cet enthousiasme pourrait être mis à mal par le ralentissement mondial actuel et la chute du prix des matières premières. Les pays africains producteurs de matières premières qui disposent d’immenses réserves, représentent près des deux tiers du PIB du continent, d’où l’extrême sensibilité de la région à la variation du prix de celles-ci. Avec un PIB médian par habitant qui reste très faible à 1056 dollars (38 500 dollars en France), le potentiel de rattrapage est considérable si l’on s’en donne les moyens.

De nombreux économistes annoncent que le XXIe siècle sera africain ou ne sera pas. Le continent abritera plus d’un quart de la population mondiale en 2050 et près de la moitié en 2100 (contre 17% aujourd’hui), ce qui en fera le bassin de population le plus important de la planète, largement devant l’Inde et la Chine. Malgré ce dynamisme démographique, de nombreux freins au développement sont présents. Le pouvoir central est incapable de redistribuer les fruits de la croissance entre les grandes villes et les territoires les plus marginaux très peuplés. Des trappes à pauvreté extrême se sont formées. Entre 40% et 60% de la population subsaharienne vit en dessous du seuil de pauvreté. La simple croissance économique ne suffit donc pas à enrayer les écarts de richesse : au cours des quinze dernières années, le nombre de millionnaires a crû deux fois plus vite que dans le reste du monde (+73 % contre +145 % en Afrique).

Le Maroc est à l’avant-garde de ce futur et donne un bon exemple de ce qu’il faut faire en matière d’économie. Ce pays peut devenir la base arrière industrielle de l’Europe au même titre que l’Asie. Il a réintégré l’Union africaine en 2017 et développe des projets d’envergure, tels que la rocade atlantique qui va d’Agadir à Dakar. L’Europe reste le premier investisseur du continent même si elle est en passe d’être rattrapée par la Chine et la part de marché de la France a été divisée par deux à seulement 5.5%. La bombe démographique africaine ne doit pas être une fatalité. La mise en place d’un planning familial efficace pourra peut-être infirmer l’hypothèse des démographes de 4,5 milliards d’individus sur le continent d’ici la fin du siècle contre 1.3 milliards en 2018 avec un taux de fécondité qui se situe entre 5 et 6 pour l’Afrique subsaharienne.

La mise en place d’un marché commun des États africains (signature d’un accord à Kigali en 2018) doit être la priorité absolue afin de favoriser les échanges commerciaux intra-africains et de revitaliser le tissu industriel (qui ne pèse qu’entre 5% et 10% du PIB). En effet, les échanges intra africains ne représentent que 21% du total.
Le plus important frein au développement est l’insuffisance d’infrastructures, avant tout dans le secteur de l’énergie. Le taux d’investissement autour de 22% du PIB reste largement insuffisant (contre 31% en Inde et 48% en Chine). L’énergie doit devenir le moteur du rattrapage de l’Afrique. En 2017, près des deux tiers de la population n’avait toujours pas accès à l’électricité, préalable indispensable à l’accès à l’eau potable, au développement de l’agriculture et de l’industrie, et à l’économie de la connaissance. La situation se détériore sous la pression démographique : la population croît plus vite que l’équipement.

Grâce à l’électricité, les experts estiment que la croissance du continent pourrait doubler. Le continent a la capacité de devenir le réservoir énergétique de l’Europe, notamment dans les énergies renouvelables grâce à son immense potentiel dans le solaire, l’hydraulique, l’éolien et la géothermie. Le désert, avec l’implantation de centrales électriques solaires thermodynamiques, pourrait alimenter les pays du Nord en énergie propre. Le premier défi reste le manque d’argent. En effet, pour garantir l’accès de tous à l’électricité d’ici à 2025, il faudrait investir au moins 90 milliards de dollars par an. Ce « new deal » donnera du sens à l’avenir de l’Afrique… et de l’Europe. L’Afrique doit devenir notre priorité. Le futur de l’Europe se joue en Afrique.

Par Jean Luc Buchalet PDG de Pythagore Consult