Humiliés mais pour combien de temps ?

Ils sont venus exposer et défendre l’impensable : une solution africaine, autant dire donc la négation ou la minoration du vote du peuple. Pourquoi s’en seraient-ils privés puisqu’ils sont outrageusement forts de l’impunité syndicale. Ils sont les patrons plutôt que les sujets d’une Union qui n’a aucune obligation de tenir compte de l’accélération de l’histoire, de s’indigner que les armées soient transformées en escadrons de la mort et d’entendre les suppliques de sa jeunesse désespérées. Plus que la Cedeao dessaisie, c’est l’Union africaine qui a pris la responsabilité de travailler à la jurisprudence que personne ne pouvait imaginer, à savoir l’inutilité totale des processus électoraux même s’ils ont coûté les yeux de la tête. Quoi d’étonnant, c’est la même qui, en 2002 à Abidjan, a fermé les yeux sur une tentative de putsch transformée par la suite en rébellion.

Inutile de se le cacher plus longtemps: Khadafi ne sera ni Ben Ali ni Moubarak. Il n’abandonnera pas le pouvoir et l’a dit. Peu importe les dégâts, l’ampleur de la contestation, le Guide s’est investi de la mission divine de conduire à bon port « sa » révolution à lui et pas celle de la rue qui, de Benghazzi à Tobrouk, a peut-être trop prématurément formé le V de la victoire et déchiré le livre vert que le Guide lui-même a exhibé dans sa sortie martiale d’hier et qui, pour lui, a valeur sinon de Coran du moins de Constitution. Le maître tout puissant qu’il a été jusqu’en ces heures où il a vacillé avant de reprendre la main, une main que l’on pressent lourde, n’ira ni à Caracas ni à Katmandou. Il est et restera à Tripoli.

En lion blessé, il a battu le rappel de ses troupes. Pire, son discours semble sonner le tocsin de plus grands massacres. Il n’est ni Ben Ali ni Moubarak. Le mutisme de ses pairs africains, il peut déjà compter là-dessus. Chaque pays ici a ses problèmes et il faut bien que la diplomatie du chéquier qui est celle du Guide porte fruit en période difficile. Mais en plus, contre le venin de la vipère capitaliste, il a le puissant antidote du pétrole. Les files devant les stations d’essence à Rome, Bruxelles, Londres ou New-York sont bien plus graves que les morgues de Tripoli remplis de jeunes bousillés par l’aviation. Seules consolations pour une Afrique humiliée, les rois savent trembler. Nous savons, hourrah, qu’ils sont invaincus et pas invincibles.  

Adam Thiam

Le Républicain 23/02/2011