FRONTIERES MALI-BURKINA : La Covid-19 aggrave les tracasseries routières et la corruption

La fermeture prolongée des frontières terrestres entre le Burkina-Faso et le Mali n’a pas mis un terme à la circulation des personnes entre les deux pays.

Mais les tracasseries sont devenues plus lucratives sous l’ère de la pandémie à Covid-19.

De 1000 F CFA, le tarif du passage est passé à 5000 F CFA au niveau des postes de police de Hérémakono, dernier village malien, et de Kologo, premier village burkinabé.

De part et d’autre, le paiement se fait sans quittance, en violation des décisions prises par les autorités des deux pays contre la pandémie. Enquête.

 

27 janvier 2021. Seydou Berthé fait le tour des compagnies de transport à Bamako.

Il doit se rendre à Bobo-Dioulasso, au Burkina Faso, pour raisons familiales. Mais les billets ne se vendent plus pour cette destination. En effet, les frontières terrestres du pays sont fermées depuis le 21 mars 2020 pour lutter contre la Covid-19.

Finalement, c’est à « Diarra Transport » que ce jeune homme de 28 ans obtient un billet pour Hérémakono, terminus des compagnies maliennes depuis près d’un an.

Une fois là-bas, il devra se débrouiller pour regagner Bobo.

Le lendemain, Seydou et une soixantaine de personnes dont de nombreux Burkinabês embarquent dans un bus de ladite compagnie.

Tout se passe bien jusqu’au poste de contrôle de Bougouni, à 170 km de Bamako.

À peine le car s’est-il immobilisé qu’un policier monte à bord pour le contrôle des pièces d’identité. Les étrangers en dehors des Maliens sont invités à rejoindre un bureau du poste de contrôle.

« Nous avons dû payer 2000 F CFA », confie un Burkinabê.

Une somme déboursée sans aucune quittance.

Après une quarantaine de minutes de contrôle, le car prend la direction de Sikasso où quelques passagers descendent.

À 14 heures, il s’immobilise à Hérémakono, à 200 m du poste de police frontalier.

« Cinq mille francs CFA ou rien »

Une vingtaine de motocyclistes et quelques tricycles accueillent les passagers.  « Partez-vous au Burkina ? », crient-ils à l’endroit des clients potentiels désireux de passer la frontière.

Ici, ces engins sont en effet les seuls moyens autorisés pour ce faire.

Déjà bien installés pour le départ, les passagers, la quarantaine environ, sont subitement interpellés par des policiers.

Un sergent-chef et un adjudant récupèrent leurs pièces d’identité et les convoquent au poste.

Sur place, après un moment d’attente, un troisième policier arrive avec une pile de pièces d’identité entre les mains, suivi d’une trentaine de passagers d’un autre car.

« Vous ne saviez pas que la frontière est fermée ?

Pour aller au Burkina Faso, il vous faut un test Covid-19 voyageur et un laissez-passer du préfet de Sikasso.

Qui parmi vous détient ces documents ? », interroge un policier.

Une Burkinabê est la seule du groupe à disposer du test contre la Covid-19, mais le laissez-passer lui fait défaut.

Le policier prend le test et le brandit à l’endroit des autres : « C’est ça le test Covid-19.

Il coûte 35 000 F CFA ».

Libérée, la dame s’éloigne en direction de la frontière, en moto.

Les deux agents retournent à leur bureau.

C’est le sergent-chef qui monte la garde à l’entrée.

À tour de rôle, les passagers sont appelés pour récupérer leur pièce d’identité après une petite discussion.

« Tu vas où ?

– Au Burkina. –

Tu as ton test ?

Non.

– Tu paies 5000 F CFA ou tu retournes au Mali.

Ce n’est pas à négocier ».

Quand son tour arrive, Seydou Berthé provoque la colère des deux sous-officiers en posant la question qui fâche : « Où vont les 5000 F CFA que je dois payer ? ».

Il est aussitôt chassé du bureau.

« Tu crois que nous nous amusons ici ?

Sors !

Va chercher ton test Covid-19 avant de revenir », hurle le policier.

Pour plaider sa cause, Seydou Berthé se confie au sergent-chef en faction devant la porte.

Ce dernier intervient auprès de ses collègues.

Le jeune homme accepte de payer la somme réclamée, mais il n’aura ni quittance ni réponse à sa question.

« Des Burkinabês, Ivoiriens et Sénégalais, pleurent régulièrement ici parce que les policiers les dépouillent sans vergogne.

Certains déboursent jusqu’à 50 000 F CFA », révèle un commerçant à quelques mètres du poste de police.

« L’un d’eux qui serait un Burkinabê se serait donné la mort par pendaison après avoir été racketté par des policiers maliens ».

La situation semble d’ailleurs s’être aggravée car les Maliens qui n’étaient pas concernés par ces arnaques sans quittance seraient maintenant traités comme les étrangers, selon les témoignages des commerçants et des motocyclistes.

« C’est nouveau », s’étonne l’un d’eux.

« Faites comme si on ne s’est pas vus »

Seydou et ses compagnons de route se tirent finalement d’affaire après avoir cédé aux exigences de la police en payant 5000 F CFA chacun.

Le cap est alors mis sur Kologo, le premier village du Burkina Faso à six kilomètres de Hérémakono.

La traversée de la frontière relève du parcours du combattant.

À bord de tricycles et sur des motos, les passagers empruntent les pistes d’accès, mais malheureusement, les policiers burkinabés avaient pris position pour le contrôle.

Le groupe doit encore s’arrêter. En plus des pièces d’identité, les agents exigent également le test Covid-19 et un laissez-passer de l’ambassade de leur pays au Mali.

« La frontière du Mali est ouverte, mais la nôtre est fermée. Vous n’avez pas le droit d’arriver ici », explique un policier.

Comme à la frontière malienne, les passagers vont devoir passer à la ‘caisse’. « Nous deux, avons payé 3500  FCFA chacun », confie Seydou Berthé qui avait déjà tissé des liens avec un autre voyageur.

Après avoir empoché les sous, les policiers souhaitent bonne route aux voyageurs.

« Vous contournez le poste et vous faites comme si on ne s’est jamais vus », conseille un sergent.

« 3000 passagers par jour »

Le 28 janvier, nous avons dénombré 5 cars qui ont déposé des passagers à Hérémakono entre 14 h et 17 h.

Le 23 février, 6 autres cars sont arrivés entre 12 h et 17 h.

Chaque bus dépose au moins une trentaine de personnes.

Ce même jour, quatre groupes de passagers sont arrivés du Burkina Faso en motos et en tricycles.

Toutefois, plusieurs centaines de passagers ne parviennent pas au poste frontalier, obligés d’emprunter des chemins de déviation comme celui de N’golokobougou, un village malien à une vingtaine de kilomètres de Hérémakono.

C’est ici que les sans-papiers et étrangers qui souhaitent éviter la police doivent descendre pour emprunter les pistes rurales avec l’aide de conducteurs de motos payés à la tâche.

Depuis des années, la Plateforme pour la libre circulation des personnes et des biens sur les corridors mène la lutte contre les tracasseries routières. Elle déploie régulièrement des agents au niveau des postes frontaliers pour aider les passagers à arriver à bon port.

Pour son président, la fermeture de la frontière du Burkina Faso ne profite qu’aux policiers.

« Chaque voyageur dépense en moyenne 15 000 F CFA aux frontières : 5000 F CFA aux policiers maliens, 5000 F CFA aux policiers burkinabés et 5000 F CFA aux conducteurs de motos.

L’idéal serait l’ouverture de la frontière du Burkina Faso pour que les gens passent par le corridor au lieu d’emprunter des contours.

Le flux de passagers est assez important car chaque jour, il y a au moins trois mille personnes qui font la navette entre le Mali et le Burkina », indique Mamadou Koné.

« Où vont les fonds du racket ? »

Au moins une dizaine de cars et minibus arrivent tous les jours à Hérémakono.

Mais les vendredis, ce nombre est multiplié par deux, selon des responsables de compagnies de transport, interrogés sur place.

Nous n’avons pas pu avoir une réaction officielle de la police régionale de Sikasso sur la gestion des fonds en dépit d’une autorisation de la direction générale de la police nationale.

Au dernier moment, le contrôleur général Cheick Magassouba, directeur régional de la police de Sikasso, s’est désisté, sans explication autre que celle-ci : « Je ne peux pas parler à la presse dans ces conditions.

Je mobilise mes hommes après l’attaque du poste frontalier de Hérémakono dans la nuit du 28 février au 1er mars », soutient-il.

C’était le 05 mars, après plusieurs tentatives de rentrer en contact avec lui par téléphone, mais également chez lui à Sikasso. Cette attaque, œuvre d’hommes armés non identifiés, avait provoqué la mort d’un civil et la destruction de plusieurs véhicules.

C’est donc auprès des policiers en service et d’autres sources civiles que nous avons obtenu des informations relatives à la gestion des fonds. En plus des agents qui se relaient chaque semaine au poste frontalier, « des haut gradés locaux perçoivent également leur part du butin à chaque changement d’équipe de garde », avoue un acteur de ce racket.

Hérémakono est une mine d’or !

Pour y travailler, il faut avoir des relations particulières avec la hiérarchie. « Ça se négocie », confient des policiers ayant requis l’anonymat.

Les chiffres avancés sont faramineux.

« Avant la Covid-19, un agent de garde pouvait rentrer chez lui avec une somme comprise entre 200 000 F CFA et 400 000 F CFA.

Maintenant, chaque policier empoche au moins 500 000 F CFA après sa semaine de garde », indique un agent.

Cela est dû au paiement de 5000 F CFA imposés aux usagers avec la fermeture prorogée de la frontière du Burkina Faso.

En temps normal, les usagers payaient entre 1000 F CFA et 2000 F CFA.

Une pratique antérieure à la pandémie

Les maltraitances et le racket contre les voyageurs n’ont pas commencé avec l’avènement du coronavirus à Hérémakono.

La mairie de Finkolo, Commune dont dépend Hérémakono, a saisi les autorités policières régionales en février 2019 pour dénoncer ces pratiques.

« Après ma plainte, la direction régionale et les deux commissariats de police m’ont entendu et il y a eu des suites. Des policiers présumés fautifs ont été identifiés et mutés loin de Sikasso », se réjouit Drissa Ouattara, maire de Finkolo.

Aujourd’hui, l’élu local admet que la corruption fait rage à Hérémakono mais clame son impuissance.

« Les frontières du Burkina Faso étant officiellement fermées, les gens qui passent sont considérés comme des clandestins », a-t-il soutenu.

Une situation qui perdure et dont tirent profit beaucoup d’acteurs des zones frontalières, les policiers en premier.

Source : L’Indicateur du Renouveau