Frontière Mali-Guinée, le spectre d’Ebola

« Huit cas de fièvre Ebola officiellement enregistrés à Conakry et plus de soixante-neuf morts dans le pays », l’information fait les choux gras de la presse mondiale et tous ceux qui commercent avec le pays d’Alpha Condé prennent la situation au sérieux. Au Mali, les autorités n’ont pas voulu fermer les frontières et nous nous en sommes rendu compte en empruntant la route de Kourémalé. Cette ville frontalière doit beaucoup à la Guinée. Son économie se porte bien quand la Guinée va bien et naturellement l’épidémie déclarée dans ce pays n’arrange pas les choses. Les forces de sécurité maliennes assistent les agents de santé dépêchés dans la zone pour s’assurer que les voyageurs ont leur carnet de vaccination en bonne et due forme.
Peu de moyens techniques
Une dame, technicienne de santé, confie que « depuis six jours que nous sommes là, Dieu merci, tout va bien, nous n’avons pas eu d’alerte et il faut comprendre que l’affaire est sensible d’où le refus de mes collègues de vous parler. Nous n’avons pas les moyens scientifiques pour savoir qui est atteint et qui ne l’est pas, nous nous contentons de signes extérieurs pour juger de l’état de santé des passagers en provenance de la Guinée ».
A Kourémalé, les langues refusent en effet de se délier puisque tout tourne ici autour des voyageurs et des voyagistes. Ils font vivre la localité. Un agent des eaux et forêts trouvé en pleine causerie avec un gendarme a tenu à nous dire que « les contrôles sont renforcés ces derniers temps et nous veillons particulièrement sur les animaux car aucun voyageur n’acceptera de déclarer sa maladie si jamais il était atteint ».
Sur le chemin du retour, nous avons expérimenté la fiabilité du dispositif mis en place par Bamako. Ainsi, au croisement de Sibiribougou- Kanadjiguila, les gendarmes ont exigé la présentation des carnets de vaccination, les policiers font des interviews individuelles avec les voyageurs et les agents des eaux et forêts fouillent systématiquement toutes les voitures en provenance de la Guinée. Curieusement, les mêmes dispositions sont appliquées sur les véhicules en partance pour Conakry. Ce renforcement du contrôle exaspère les transporteurs rencontrés au garage de la Guinée familièrement appelé par les bamakois « Guinée-place ».
A peine dix taxis par jour
« Guinée-place » se trouve à quelques minutes du pont Woyanko à l’ACI 2000. Ici, les femmes restauratrices redoublent de vigilance. Elles lavent à l’eau javellisée toutes les ustensiles. Branchées sur une chaine de télévision étrangère, elles suivent avec intérêt l’évolution de la situation sanitaire de leur pays. Les clients, essentiellement des ressortissants guinéens et des transporteurs parlent de la fièvre Ebola avec passion. Pour Moussa Djayna «cette épidémie est une pure création des occidentaux, rien de grave ne se passe en Guinée. Depuis qu’ils en parlent, les affaires tournent au ralenti, le garage se désemplit car les Maliens ont peur de contracter la maladie une fois sur place. On pouvait compter jusqu’à vingt trois départ par jour mais là même avoir dix taxis par jour est une chance ». Madame Bouaré Mina, quant à elle, évoque la chute de son chiffre d’affaires « j’achète des moutons de race tchadienne ici à Bamako et je les revends à Conakry mais avec cette histoire de fièvre venue de nulle part, plus rien ne va parce qu’en prenant la route avec mes bêtes je serai trop enquiquinée par les forces de sécurité et les services des eaux et forêts ».
La situation est donc difficile pour les populations mais face à un virus inconnu sous nos cieux, les autorités sont obligées de sévir. Elles l’ont fait mais le manque de moyens techniques pour diagnostiquer les individus potentiellement vulnérables pose problème.
Par Makhtar DIOP

(Journal du Mali 02/04/14)