Deux ans âpres sa disparition La mémoire de Sékéné Mody oubliée ?

« L’itinéraire et la riche et captivante œuvre du Pr. Sékéné Mody Cissoko » était le thème de la conférence initiée par la direction du Groupe scolaire Cheikh Anta Diop de Bamako pour commémorer la disparition d’un digne fils du Mali et d’Afrique, décédé le 17 mai 2012, au moment où le Mali, sa patrie, avait autant besoin de son expertise.
Dans l’enceinte du Collège CAD, dans une salle Sékéné (nom du père de l’illustre disparu) archicomble par la présence d’élèves de différents établissements secondaires, d’étudiants, d’amis et membres de la famille de l’illustre disparu s’est tenue la conférence au cours de laquelle plusieurs aspects importants de sa riche et captivante œuvre ont été évoqués, devant les caméras de la chaîne nationale et des deux télévisions panafricaines (Africable et Maisha TV).
Dans son allocution de bienvenue à l’endroit des invités, le directeur général de l’école (Thierno A. Tall) n’est pas allé par quatre chemins pour une fière chandelle à ce cadre valeureux du Mali et d’Afrique qui tenait une bonne place aux côtés des sommités intellectuelles du continent noir, notamment le Pr. Cheikh Anta Diop dont l’école porte le nom avec dignité depuis 1992, grâce à l’initiative du Pr. Sékéné M. Cissoko.
Pour sa part, « le Pr. SMC fait partie intégrante de la génération d’intellectuels qui ont dressé une barrière face aux bibliothèques d’injures à l’encontre de l’Histoire authentiquement africaine ». Sans oublier de s’adresser aux apprenants qui ont aujourd’hui une réelle chance d’étudier au Groupe scolaire Cheikh Anta Diop, de s’inspirer au quotidien de l’œuvre mémorable et gigantesque du Pr. Sékéné M. Cissoko.

Qui était le Pr Sékhéné Mody ?
« Il n’existe pas d’historien à ma connaissance qui ait écrit sur l’histoire du Mali plus que le Pr. Sékéné Mody Cissoko », disait d’entrée de jeu le conférencier principal, Pr. Doulaye Konaté et président de l’Association des historiens africains (Aha). Ces propos frappés au coin du bon sens prouvent à suffisance que le Pr. Sékéné Mody Cissoko s’est sacrifié, toute sa vie durant, à faire connaître sa patrie et son continent à travers le monde, à livrer une guerre sans merci aux impostures de pseudo-intellectuels qui considéraient l’Afrique comme une terre où n’habitaient que des incultes et des barbares.
Pour le Pr. Doulaye Konaté, il est difficile de parler de parcours de l’homme, mais d’itinéraire. Selon lui, le Pr. SMC n’était pas un carriériste. Il était l’incarnation d’une vie intellectuelle résolument tournée vers la liberté et la recherche au quotidien du savoir en vue d’établir la vérité historique.
Le Pr. Doulaye Konaté a dressé un portrait on peut plus clair du Pr. Sékéné M. Cissoko qui a vu le jour en 1932 à Dinguiraye Logo dans la région de Kayes, la 1re région administrative du Mali, qui fut d’ailleurs la première capitale du Soudan français. Il a certainement connu au quotidien tous les tracas du Noir opprimé, rabaissé au rang de la bête et chosifié.
Pour le président de l’Aha, le Pr. SMC a fréquenté successivement le lycée Terrasson-de-Fougères à Bamako (lycée de l’époque coloniale qui portait le nom d’un administrateur au Soudan français ayant achevé la pose du chemin de fer à Koulikoro en 1924). Ce lycée a pris le nom d’Askia Mohamed en 1961 pour magnifier les grandes figures historiques de notre patrie, a rappelé le conférencier.

L’universitaire et le politique
Le Pr. dont nous commémorons le 2e anniversaire de la disparition a aussi étudié avec succès à l’Université de Dakar où il fit la connaissance du Pr. Cheikh Anta Diop, le meilleur égyptologue de tous les temps qui a bousculé à force d’idées et d’argumentations scientifiques, les mensonges des Occidentaux sur l’Histoire de l’Afrique. Cet homme comptera beaucoup dans le destin de ce chercheur rigoureux, respectable en tous points de vue, le Pr. Sékéné M. Cissoko, l’enfant de Dinguiraye Logo, selon le conférencier.
Le Pr. SMC fréquenta avec le même zèle l’Université de Paris. C’est dans l’ancienne métropole qu’il obtint avec succès son doctorat d’Etat qui interrogeait un passé précolonial pour éclairer l’évolution de l’Afrique contemporaine.
Le Pr. Cissoko a milité dès la première heure pour que ce soit d’Afrique, et non plus des Etats-Unis ou d’ailleurs que s’affirme la recherche historique sur le continent noir. C’est l’un des plus grands mérites du Pr. qui lui vaut une nomination à la tête de l’Institut français de l’Afrique noire (Ifan) à Dakar. Il enseigna avec brio de 1979 à 1982 à l’Université Dakar avant de s’envoler pour la prestigieuse Université de Libreville au Gabon où il restera jusqu’en 1991.
SMC devient le cofondateur et animateur d’un Collectif de chercheurs, l’Aha, dont il est aussi le 1er président, a précisé le Pr. Doulaye Konaté de 1972 à 1975, année au cours de laquelle le flambeau est repris par un autre éminent historien, Joseph Ki-Zerbo.
Selon le Pr. Doulaye Konaté, ce n’est qu’avec l’ouverture démocratique en 1991 que le Pr. Cissoko retourne au bercail. Il affûte ainsi ses armes pour faire une expérience dans l’arène politique.
Et SMC portera son parti politique sur les baptismaux en 1992. Là aussi quelque chose clopine avec le Rassemblement pour la démocratie et le progrès (RDP). Car, la paternité du sigle posera un curieux problème qui l’opposera à un ancien opposant du régime de A. O. Konaré, Almamy Sylla. Il reprend les rênes le Parti progressiste soudanais (PSP), une formation politique créée en février 1946 au même moment que l’US-RDA par le premier élu soudanais au Parlement français, Fily Dabo Sissoko (1900-1964).

Fondateur de Cheikh Anta Diop
Déçu plus que jamais par des querelles de leadership au sein de son parti, le Pr. Cissoko s’est  retiré finalement de la scène politique pour se consacrer au travail qu’il connaît le mieux, celui de la formation des enfants et à la recherche scientifique.
Et en 1992, il fonde le Groupe scolaire CAD en hommage au grand panafricaniste sénégalais Cheikh Anta Diop, dont l’unanimité se fait autour de la bonne presse. En 20 ans, Sékéné Mody Cissoko fait de ce collège un pôle d’excellence où les parents rivalisent chaque année pour inscrire leurs enfants. La preuve, c’est qu’ils sont nombreux les sortants du Groupe scolaire Cheikh Anta Diop qui brillent par leur intelligence, par leur savoir dans la fonction publique comme dans le secteur privé au Mali comme dans les pays de la sous-région.

Les œuvres du Pr.
La réécriture de l’Histoire africaine est la noble tâche que s’est assignée la génération de l’indépendance à laquelle appartient le Pr. Sékéné Mody Cissoko. Toutes ses productions intellectuelles présentent la marque qui donne à l’Afrique ses lettres de noblesse.
Que peut devenir une nation dépouillée de son Histoire, de sa substance morale ? Absolument rien ! C’est de cette manière que justifie l’historien le cadre dans lequel nous devrions situer les œuvres du Pr. Sékéné Mody Cissoko « Tombouctou et l’Empire Songhay » paru aux Nouvelles Editions Africaines (Dakar-Abidjan, 1975), « Histoire de l’Afrique Occidentale : Moyen âge à 1850 » (Paris, Présence Africaine, 1966), destinée aux classes du secondaire. Pour ne citer que ceux-ci.
Son dernier ouvrage, paru en 2005 sous le titre évocateur « l’Unité de l’Afrique de l’Ouest : la Fédération du Mali », a attiré particulièrement le conférencier qui l’a qualifié d’ouvrage prémonitoire qui expose le visage réel d’un continent incapable de s’unir pour faire face à l’ennemi. La preuve, c’est que l’Afrique est divisée en plus de 50 petits pays dont certains ne dépassent pas un 1 million d’habitants. Le conférencier a invité de toute urgence la jeunesse à la lecture de cet ouvrage écrit dans une langue accessible à tous.
Le Pr. Sékhéné M. Cissoko a rendu son dernier souffle le 17 mai 2012 dans la discrétion pour ne pas dire dans l’anonymat alors qu’il a valeureusement contribué à la réhabilitation de la   culture malienne spoliée pendant la colonisation. Son corps repose en paix dans sa patrie de Dinguiraye Logo.
Il a servi son pays, mais son pays l’a ignoré. Son crime est d’avoir été patriote, d’avoir refusé la compromission, d’avoir une liberté de pensée. Sinon comment comprendre que le Pr. n’ait une petite salle de classe qui porterait son nom au Mali alors que les fossoyeurs de l’économie sont enterrés avec tous les honneurs.
Le Pr. SMC a laissé derrière lui trois enfants qui se disent prêts et aptes à assumer son héritage intellectuel : Seyba Sissoko, ingénieur en informatique de son état, Hawary Cissoko, une gynécologue, et Mme Sacko Diarafa Cissoko, communicatrice qui était présente à la conférence. Elle a même fait un témoignage assez émouvant, mais éloquent au nom de la famille de l’illustre disparu.
Moussa Wélé Diallo