Crise libyenne : « Les Maliens ne sont pas des mercenaires »

Le Républicain : Vous avez été interpellé par le Républicain à propos de la sécurité et de l’accompagnement de nos concitoyens en Libye, relativement aux événements qui y ont cours. Vous avez souhaité communiquer là dessus.

M. Badara Aliou Macalou   Je voudrais vous remercier sincèrement pour l’opportunité que vous m’offrez en m’ouvrant vos colonnes me permettant ainsi de m’exprimer sur le sujet objet de notre préoccupation commune. Dire que le sujet est d’importance me paraît un euphémisme au regard de l’extrême délicatesse et de la sensibilité que revêt tout ce qui touche à la migration dans notre pays. Je voudrais rappeler que nous sommes un pays de tradition et de culture de migrant. Je voudrais dire également qu’il n’y a pas de famille au Mali qui ne compte son migrant et un pan important de notre pays vit à l’extérieur. Ces compatriotes qui vivent à l’extérieur sont devenus aujourd’hui des piliers essentiels de notre existence commune tant ils sont présents au quotidien dans tout ce qui touche à la vie de la nation, à la survie des ménages, à l’entretien de nombreuses familles restées derrière eux, au pays. Par la qualité également des investissements nombreux, particulièrement dans les secteurs sociaux qu’ils font. D’où l’obligation de reconnaissance et d’accompagnement sans faille de la Nation à leur endroit ce qui explique du reste qu’ils soient au cœur de notre dispositif diplomatique en traduction de la volonté politique du Président de la République, Son Excellence Amadou Toumani Touré dont la grande sollicitude à l’égard des Maliens de l’Extérieur est connue de tous.

Le Républicain : Dans le cas d’espèce comment s’est manifesté cet accompagnement?

M. Badara Aliou Macalou : Pour ce qui concerne la crise qu’a connue et vécue la Libye tout comme nombre de Maliens résidant dans ce pays, je voudrais dire que le gouvernement du Mali, dès l’entame, a été visiblement présent aux côtés de nos compatriotes. Il était déjà là avant la crise et davantage pendant la crise. A ce jour, nous continuons d’être à leurs côtés, à travers un lien qui s’est établi de façon structurée, organisée, régulière et systémique entre nos missions diplomatiques à l’extérieur et le gouvernement à travers le Comité interministériel de veille qui a été mis en place au niveau du ministère des Affaires Etrangères.

Au sein de cette cellule se retrouvent naturellement le ministère des Maliens de l’Extérieur et de l’Intégration Africaine, le ministère de la Sécurité Intérieure ceux de l’Economie et des Finances, du  Développement Social et de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales. A l’identique a été constituée au niveau de la représentation diplomatique de la République du Mali à Tripoli une cellule de veille et de suivi qui regroupe les membres de la mission diplomatique et les représentants du Conseil des Maliens de l’Extérieur de façon à faciliter la fluidité des informations dans les deux sens ce qui permet, au niveau national, à Bamako, de vivre en temps réel et au quotidien la situation en Libye et d’agir en interaction avec l’Ambassade du Mali à Tripoli.

« Nous avons rapatrié 12. 828 de nos compatriotes de Libye »

Il s’agissait de faire en sorte que nos compatriotes où qu’ils se trouvent, disséminés à travers le vaste territoire Libyen, bénéficient au quotidien du soutien, de l’appui attendu et de la protection des autorités maliennes. C’ est dans cet esprit que tout au long de la crise, sur instruction personnelle et particulière du Chef de l’Etat nous nous sommes fait fort de dégager les moyens nécessaires pour nous engager dans des démarches qui permettront à tous nos compatriotes résidant en Libye et qui le désirent de bénéficier d’un rapatriement jusqu’ au Mali.

Je voudrais dire qu’à ce jour nous avons pu procéder, en lien avec l’Organisation Internationale des Migrations dont le Mali est un pays membre et un certain nombre de pays amis, au rapatriement de 12. 828 compatriotes. Leur prise en charge a été totale. Qu’ils soient à Tripoli ou ailleurs, ils ont été pris en charge et acheminés au niveau des postes frontaliers à partir desquels des représentants de différentes missions diplomatiques et consulaires du Mali, notamment en Tunisie  en Égypte et en Algérie ont pu les mettre dans les conditions de regagner par voies aérienne essentiellement et terrestre le territoire malien. Tous ces compatriotes ont fait l’objet d’un accueil tel que  cela leur est dû, pour leur dire qu’ils sont les bienvenus chez eux, leur transmettre la compassion du Président de la République et celle de la Nation entière, en ces moments  de détresse.

« L’espoir d’une  autre  vie  »

Ces opérations de rapatriement nous ont donné,  dans une large mesure, la satisfaction attendue et il sied de saluer ici toutes les parties prenantes. Maintenant il s’agira de donner à tous ses frères l’espoir d’une autre vie que nous accompagnerons de tous nos moyens, à travers la Délégation Générale des Maliens de l’Extérieur notamment son département chargé de la réinsertion socio-économique.

Le Républicain : Ils sont au total combien nos compatriotes installés en Libye ? Et combien sont-ils en attente d’être rapatriés ?

M. Badara Aliou Macalou : Tous ceux qui ont souhaité être rapatriés l’ont été. Encore aujourd’hui je suis en contact permanent avec nos missions diplomatiques à Tripoli et à Tunis pour y pourvoir éventuellement. Aucun Malien ne s’est manifesté à leur niveau dans le cadre d’un rapatriement souhaité et désiré et qui ne l’ait pas été. Le dernier rapatriement a eu lieu le 23 août dernier, par un vol régulier de Tunis Air et concernait dix de nos compatriotes. Il faut toutefois savoir qu’ils sont nombreux à vouloir rester en dépit de la crise en Libye, notamment à Benghazi, Syrte et à Tripoli. Cela nous a été très clairement indiqué par la mission diplomatique en Libye. Pour nous, à ce jour, jusqu’à preuve du contraire, la source a tari car ceux qui sont en Libye n’ont pas manifesté le désir de rentrer. Est- ce parce que la situation à l’intérieur de la Libye ne permet pas une mobilité à souhait, est-ce parce que depuis la prise de Tripoli par les insurgés la frontière entre la Libye et la Tunisie est fermée ? Dans tous les cas nous prendrons en charge toutes les personnes qui se manifesteront.

Le Républicain : Ceux qui n’ont pas souhaité être rapatriés, sont-ils ceux là qu’on  a  accusé d’être des mercenaires pro Kadhafi ?

M. Badara Aliou Macalou : Je voudrais le dire de façon formelle qu’aucune  information ne nous permet de dire qu’un seul de nos compatriotes ait été mercenaire au service de Kadhafi. Ce que nous savons c’est que nos compatriotes ont été très présents dans le domaine agricole, dans les BTP et  dans le négoce.

Le Républicain : Pourtant  un leader communautaire  du Nord disait il y a peu que les nouvelles autorités en cours d’installation en Libye soumettront nos compatriotes à une tolérance zéro. Qu’est ce que vous en pensez?

M. Badara Aliou Macalou : Je voudrais à ce stade dire tout simplement qu’aucun signal, à ce jour, ne nous permet de confirmer cette assertion. Encore une fois je voudrais le répéter, nous sommes en liaison permanente  avec la mission diplomatique du Mali à Tripoli. Un tel phénomène ne nous a pas été signalé. Au demeurant, je voudrais le dire également, ceux de nos compatriotes qui sont encore aujourd’hui en Libye sont ceux là même qui n’ont manifesté aucun désir de quitter le territoire Libyen alors même  que l’État  malien leur en a donné la possibilité.

Le Républicain : Il y a un grand flux qui est attendu dans le nord- Mali tout comme la grande vague à Agadez au Niger. Comment va être géré ce flux,  le PSPSDN serait-il une alternative ?

M. Badara Aliou Macalou : Il est vrai que des compatriotes sont rentrés au pays par voie terrestre. Ce sont surtout nos compatriotes des régions du Nord et particulièrement de la région de Kidal. Ils ont été nombreux également pendant les chaudes journées qu’a vécues la Libye à avoir bénéficié à leur retour du soutien désormais naturel que l’Etat du Mali offre à nos compatriotes de l’extérieur. Il  est vrai que les flux auxquels vous faites allusion  sont signalés et vous avez raison de vous préoccuper de cette situation.

Les problèmes de développement qui se  posent dans les régions du nord de notre pays sont connus des plus hautes autorités.  A ce sujet, pour ma part, je crois que le PSPSDN (Programme Spécial Pour la Sécurité et le Développement au Nord) vient à son heure non seulement pour résoudre les problèmes existants identifiés, mais également pour trouver réponse  aux problèmes que va engendrer le retour de nos compatriotes de Libye dans le cadre de leur réinsertion socio-économique. Je suis convaincu qu’ensemble, en rapport avec les différents départements ministériels concernés, nous disposerons de moyens humains, matériels et financiers pour y faire face.

Le Républicain : Toujours en rapport avec la question des Maliens de l’extérieur, je voudrais évoquer avec vous la douloureuse crise ivoirienne qui connait désormais son épilogue. Est-ce qu’avec le recul, aujourd’hui, vous pouvez dire que la gestion de nos compatriotes installés dans ce pays a été satisfaisante ?

M. Badara Aliou Macalou : Le  gouvernement a géré, pourrait-on dire, concomitamment les deux crises. Celle qui a touché nos compatriotes vivant en Libye mais également celle plus proche, géographiquement, qui a frappé le peuple de Côte d’Ivoire et bien entendu nos compatriotes qui vivent dans ce pays. Tout comme dans le cas de la Libye, une coordination harmonieuse s’était établie entre la mission diplomatique et consulaire du Mali et le Haut Conseil des Maliens de Côte d’Ivoire regroupés au sein d’un comité de veille. La même structure de veille et de suivi au niveau national, à savoir le Comité interministériel que j’ai évoqué plus haut, était à pied d’œuvre. Et ce depuis novembre 2010 parce que les prémices d’une crise possible commençait à se  faire jour, ce qui nous a permis de circonscrire assez tôt pour nos compatriotes les effets néfastes de cette crise qui aurait pu être bien plus dommageables pour eux.

« Le  PSPSDN vient à son heure non seulement pour résoudre les problèmes existant connus, mais également pour trouver réponse aux problèmes que va engendrer le retour de nos compatriotes de Libye. »

Ici aussi  tous  nos compatriotes ayant émis le souhait de bénéficier d’un rapatriement de l’État malien ont fait l’objet d’un regroupement et plus tard d’un acheminement. On en a dénombré quatre mille, si ma mémoire est encore fidèle. Pendant ces longues journées, ces journées sans fin et difficiles ils ont pu bénéficier de notre accompagnement avant que les corridors ne soient fermés suite à l’ouverture des hostilités.

Des milliers de personnes  ont bénéficié d’un rapatriement organisé par le gouvernement du Mali, financé par le gouvernement du Mali, assuré donc totalement par le gouvernement du Mali. Pour ceux de nos compatriotes qui n’ont pas pu bénéficier de ces opérations de rapatriement du fait des difficultés du terrain ils sont restés pendant toute la durée de la crise au niveau de la chancellerie, entretenus par la mission diplomatique du mieux que cela était possible, aux frais et au compte de l’Etat Malien. En dépit des pertes matérielles et financières qu’ils ont connues leur intégrité physique, dans une large mesure, a pu  être sauvegardée.  

Le Républicain : Est-ce qu’il y a un pays qui vous donne du souci aujourd’hui, par rapport à nos compatriotes ?

M. Badara Aliou Macalou : Nos compatriotes sont disséminés à travers le monde. Il faudrait s’en réjouir parce que je pense très honnêtement que les Maliens de l’extérieur  ont bâti leur existence sur le socle des valeurs véritables de notre pays dont la moindre est celle de la solidarité, cela me semble essentiel. Ils ont un sens exceptionnel de l’entraide, de  l’hospitalité, mais également du respect de l’autre c’est fondamental. Il faut les pratiquer pour savoir.

Je ne confonds pas deux choses : les querelles intestines de leadership que les différentes communautés ont pu connaître à certains moments et que, rendant grâce à Dieu, nous sommes arrivés sous l’impulsion du Président de la République Amadou Toumani Touré, en conjuguant nos efforts, à gérer et  le souci de faire face à des préoccupations autres que celles de leadership, à savoir des préoccupations de réussite pour un mieux être personnel  et celui du pays qui animent l’écrasante majorité des Maliens de l’Extérieur. Je voudrais pour cette raison dire les excellents sentiments que j’ai pour nos compatriotes de l’extérieur qui s’appliquent à faire en sorte que les familles nombreuses restées au pays connaissent une vie décente à tous égards et marquer mon entière disponibilité.

Propos recueillis

par S.El Moctar Kounta