CONTESTATION POPULAIRE EN ALGERIE: Le point de vue d’Aomar Hammouche, un intellectuel algérien au Mali

Aomar Hammouche est un intellectuel algérien qui a longtemps vécu au Mali. «Je suis rentré au Mali avec une barbe noire. Je l’ai quitté avec une barbe grisonnante», répond-t-il quand on lui demande combien d’années il a passé dans notre pays. Dans cette contribution, il donne son analyse de la révolte populaire en Algérie pour un changement radical du système politique. Sa contribution nous éclaire beaucoup sur la genèse de cette crise prévisible depuis de longues années.

Pour comprendre la situation que traverse actuellement l’Algérie, il faut  remonter au retour d’Abdelaziz Bouteflika dans son pays à la faveur d’une démocratie retrouvée après les douloureux événements d’octobre 1998. Ceux-ci ont vu le pouvoir et le parti unique du FLN (Front de libération nationale) accepter enfin l’alternance à travers le jeu démocratique avec des élections libres et transparentes. Mais, en fait, ce n’était qu’un subterfuge puisque ce parti avec d’autres a continué à gérer le pays.

Il est certain que les détenteurs du pouvoir en Algérie (bien malin qui pourrait dire qui sont-ils) ayant utilisé toutes les cartes après la «démission» du président Bendjedid ont fait appel à Bouteflika pour qu’il assume les fonctions de président de République en remplacement du Général Zéroual, lui aussi démissionnaire.

Bien sûr tout cela dans le cadre d’élections libres et démocratiques, mais dont l’issue, avec leur aide, serait favorable au candidat Bouteflika. Il devait affronter 5 ou 6 candidats issus de divers partis à l’exclusion  du Parti islamique (FIS). Les adversaires de Bouteflika ayant senti une manipulation avaient demandé à rencontrer le président Zéroual pour «exiger» un report des élections pour une meilleure préparation de leurs campagnes.

Le président Zéroual a non seulement refusé de les recevoir, mais a maintenu la date des élections au début avril 1999. Les six candidats se retirèrent de la course et les élections ont eu lieu avec comme seul candidat en vérité : celui du pouvoir  en l’occurrence Abdelaziz Bouteflika !

Il est certains que les négociations pour le retour de Boutef ont été menées sur la base d’un «deal» avec l’intéressé : l’Assurance de mourir en exercice ! Sans bien sûr tenir compte aussi du facteur santé de l’homme.

Ce qui arrivera, arriva. Mais, un deal est un deal ! Le pouvoir fera tout pour maintenir Boutef au pouvoir jusqu’à sa mort. Il faut dire que le peuple avait placé beaucoup d’espoir en la personne de Bouteflika, un vieux de la vieille de la politique.

C’est à la suite de son AVC en 2013 que beaucoup de concitoyens ont commencé à comprendre que de plus en plus le pouvoir réel lui échappait. Nombreux sont ceux qui avancent que c’est son frère Saïd qui dirigent le pays avec certains oligarques. Avec bien sûr le consentement des «véritables détenteurs du pouvoir» en Algérie : l’Armée ! Est-ce vrai (que c’est Saïd qui dirige le pays) ? L’histoire nous le dira !

La rue exige un changement radical du système politique

En tout cas, n’eussent été les marches et les manifestations, heureusement pacifiques, de ces dernières semaines (suivies d’une grève générale dans tout le pays pour réclamer la fin du régime et, par delà, du système), le gouvernement serait resté de marbre.

Ce n’est plus le cas isolé de la Kabylie en 2001, qui a payé d’ailleurs un lourd tribut (plus de 100 morts). Cette fois-ci, le gouvernement a, sans risque de se tromper, pris la mesure du danger que pourrait engendrer cette situation inédite et a tiré la conclusion que plus rien ne sera comme avant.

Ce qui est étonnant, par-dessus tout, c’est cette spontanéité avec laquelle la population, de tous les âges confondus avec même des handicapés, est sortie pour manifester son ras-le-bol sans mentors. Les réseaux sociaux y ont-ils joué un rôle ? C’est évident !

Bien sûr, les hommes politiques, comme à leur habitude, ont pris le train en marche et réclament eux aussi un changement radical et en profondeur du système. Diverses raisons ont amené à cette crise. D’abord, les gens ne comprennent plus le «On prend les mêmes et on recommence».

Le Sieur Ouyahia par exemple est passé 4 fois à la Primature. Et quand des responsables sont défaillants et/ou «trainent des casseroles». Ils ne se sont jamais inquiétés car c’est le clientélisme qui prime. Ils pensent que le pays est livré à lui-même.

Il faut aussi dire que les pays occidentaux sont, à des degrés divers, complices de la situation qui prévaut ou qui a prévalu en Algérie. Aucun d’eux n’a eu ce courage de dénoncer l’incapacité du président de la République à conduire les affaires du pays et d’appeler au respect de la constitution. Chacun trouvant son compte dans les juteux marchés de pétrole, de gaz…

N’a-t-on pas vu les Hollande, Macron, la Grande «Merkel» (Angela Merkel)… se déplacer à Alger pour rencontrer le président Boutef toujours à des moments où des folles nouvelles circulent  sur l’état de sa santé. Une façon de rassurer le peuple ! Mais, celui-ci n’est plus dupe. Il sait que ces «gens-là» ne viennent que pour signer des contrats dans divers domaines et aussi faire tourner leurs économies.

Leurs interprétations n’ont pas apporté les fruits escomptés, la rue campant sur  ses revendications. Et cela à telle enseigne que le lendemain, vendredi, une forte mobilisation a eu lieu à travers le pays. A vrai dire, le peuple algérien n’a plus confiance à ses institutions. Le report des législatives. Le report des élections et la prolongation du mandat du président sont comme une manœuvre  des autorités pour gagner du temps afin de «faire disparaître certains dossiers compromettants».

Le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangère doit entamer à partir du 19 avril 2019 une tournée dans certaines capitales (il commence par la Russie) pour une campagne de sensibilisation et d’explication sur la situation en Algérie. Inopportune ! Mais, ce qui se passe aujourd’hui en Algérie est une affaire Algéro-algérienne qui doit être réglée en Algérie.

A moins que Lamamra veuille sensibiliser ces pays pour que, en cas de dérapage la force ne soit pas utilisée contre la population sauf cas de force majeure et pourquoi pas aussi un éventuel changement en douceur du Chef de l’Etat, les forces armées et de sécurité ne pouvant plus  endiguer la situation.

En tout état de cause, si la situation continue à se dégénérer sur l’ensemble du territoire, bien malin qui pourrait prédire ce que véritablement demain sera fait, surtout que des rumeurs circulent que le président Bouteflika serait mort !

Aomar Hammouche