Code des personnes et de la Famille : « Il n’y aura code de la famille que s’il y a un consensus »

L’évolution sociale, économique et politique du Mali ainsi que la ratification par le pays des principaux instruments juridiques de protection et de promotion des Droits humains ont rendu nécessaire une relecture du droit de la famille.  Après plusieurs années d’hésitation, le 19 juin 2009, le gouvernement a déposé sur la table de l’Assemblée nationale un projet de Code des personnes et de la famille.

Le 3 août 2009, tard dans la nuit, les députés maliens, dans leur grande majorité,  l’ont voté, par 117 voix pour, 5 contre et 4 abstentions. Saluée par les associations de défense des droits de l’homme, les associations et Ong qui se battent pour le respect des droits des femmes, la nouvelle loi va enregistrer une farouche opposition du Haut conseil islamique du Mali. De protestations en manifestations de rue, le président ATT sera amené à surseoir à la promulgation du texte et à le renvoyer en seconde lecture à l’Assemblée nationale. Et depuis, personne n’avait plus entendu parler du code des personnes et de la famille.

En l’absence d’informations officielles, les citoyens se perdaient en conjecture. Selon eux, personne n’oserait réveiller « ce démon ». Et, voilà, qu’à la surprise du commun des Maliens, dans la nuit du 24 au 25 juillet 2011, l’Ortm a organisé un débat sur le code, avec des invités triés sur le volet. Ce sont : Dioncounda Traoré, président de l’Assemblée nationale ; Me Mountaga Tall, un des vice-présidents de l’Assemblée nationale ; Mamadou Diamouténé, secrétaire général du Haut conseil islamique du Mali ; Mamadou  Konaté, membre du Haut conseil islamique du Mali ; Me Djourté Fatoumata Dembélé, représentant le ministère de la Promotion de la femme, de l’enfant et de la famille et Boya Dembélé, conseiller technique au ministère de la Justice.

Co-animé par Salif Sanogo et Boubacar Touré dit Boby, directeur de l’information à l’Ortm  et retransmis en direct sur les antennes de la télévision et de la radio nationale, depuis une salle du CICB, le débat visait à informer les Maliens sur les points d’accord et le sort qui sera réservé au code. Est-ce que le code sera voté ? Et quand ? Sans détours, Dioncounda Traoré a rassuré les Maliens que le code ne sera pas voté tant qu’il n’y a pas eu de consensus sur tous les points de désaccord. Mais, cette conclusion a été tirée, après un débat qui a permis aux Maliens de comprendre l’historique du code des personnes et de la famille et de se faire une idée des points sur lesquels, il y a déjà eu un consensus et les points sur lesquels les discussions se poursuivent.

Les points qui ont posé  problème Les téléspectateurs de l’Ortm ont compris, qu’en plus de plusieurs petits points, il y avait quatre grands points qui opposaient le gouvernement, concepteur du code, au  Haut conseil islamique du Mali : le rejet du mariage religieux, la gestion de la succession, la légitimation de l’enfant naturel et l’adoption filiation ou encore l’adoption plénière.  Dans son intervention, Boya Dembélé a rappelé le long processus qui a abouti à l’adoption du code querellé, en mettant un accent particulier sur les concertations locales, régionales et nationales et les différents travaux effectués dans différentes commissions.

Refusant de noyer le poisson et se mettant dans le contexte nouveau de donner la chance à un débat serein, Me Mountaga Tall, après avoir rejeté du revers de la main la motivation de la pression internationale qui a poussé les autorités maliennes à adopter le code, a déclaré : « Les concertations nationales ont eu lieu, mais malheureusement, il semble que la formulation juridique n’était pas en totale conformité avec les synthèses nationales ».

Selon lui, c’est ce qui a créé un certain nombre de récriminations. « Tout ce qu’on a fait comme propositions, n’a pas été pris en compte dans le projet de loi », a indiqué Mamadou Diamoutènè, secrétaire général du Hcim. Sur ce, Dioncounda Traoré est intervenu en sa qualité de président de l’Assemblée nationale, pour dire : « L’objectif  étant  d’arriver, comme cela est souhaité par le chef de l’Etat qui nous a envoyé ce texte en seconde lecture, à un texte qui sera compris et accepté par tous ». Il a ensuite indiqué qu’il ne sert à rien de voter un texte qui ne sera pas  accepté par la grande majorité des Maliens.

Pour éviter cela, Dioncounda Traoré pense qu’en toute humilité, l’Assemblée nationale et l’exécutif devraient accepter de revoir le texte. « Depuis qu’on a reçu le texte en seconde relecture, nous sommes rentrés dans un silence qui ne cachait que notre travail pour élaborer  un texte qui permette à la nation malienne d’avancer. Nous avons décidé de recommencer le travail en invitant tout le monde à des séances d’écoute pour prendre en charge les préoccupations des uns et des autres », a-t-il déclaré. Avant d’ajouter qu’aujourd’hui, l’occasion leur est donnée d’annoncer aux Maliens qu’ils sont parvenus à un certain nombre de points d’accord.

Les points d’accord

Le Président de l’Assemblée nationale, à propos de la prise en compte du mariage religieux dans le code des personnes et de la famille, a soutenu que le problème  a été très facile à régler. Selon lui, le Mali est à 90 % musulman et à 10 % chrétien et étant donné que chaque composante de la population procède à un mariage religieux, la question était facile à résoudre. « Nous avons trouvé la formule de lui donner une valeur juridique, en prévoyant la vérification du consentement mutuel, la publication du banc et l’élaboration de 4 exemplaires du formulaire. Avec l’obligation pour le maire de délivrer un carnet de famille dès réception d’un exemplaire du formulaire », a-t-il expliqué.

Pour sa part, Mamadou Konaté du Hcim a dit qu’ils sont parvenus à un consensus sur le mariage religieux qui respectera les mêmes conditions de fonds et de forme que le mariage civil. Si le ministère de la Justice, à travers son représentant au débat, ne voit aucun inconvénient à ce que cette mouture  figure dans le code, Me Djourté Fatoumata du ministère de la Promotion de la femme, a refusé de se prononcer.

Et  Me Tall de s’étonner sur la célérité avec laquelle la solution a été dégagée, alors qu’un temps fou a été perdu dans des discussions pendant des années. Quant à Mamadou Diamouténé du Hcim, la prise en compte du mariage religieux dans le code répond à une aspiration populaire et cela a été signifié dans toutes les concertations. En ce qui concerne la succession, Mamadou Diamouténè a indiqué que depuis 2000, ce point a opposé les organisations et associations musulmanes aux autorités du pays. « Nous avions estimé qu’il ne faut pas que la minorité empêche que la majorité bénéficie de ses droits. Au Mali, l’exception était devenue la règle », a-t-il déclaré. Partageant l’avis de Mamadou Diamoutènè, le président de l’Assemblée nationale a affirmé qu’ils ont compris que la majorité était devenue une exception. « Pour régler ce problème, on a proposé un chapeau qui prend en compte toutes les sensibilités religieuses et coutumières et du coup, nous avons constaté que cela règle le problème de l’héritage de l’enfant naturel et tant d’autres problèmes », a-t-il noté.

De l’avis de Dioncounda Traoré, dans les travaux, ils ont été guidés par le principe de laisser le choix aux Maliens. « Nous n’avions voulu rien imposer à personne. Le droit d’option sera désormais la règle au Mali en matière de succession », a-t-il déclaré. Mais, s’il y a eu des accords sur les deux points importants que sont le mariage religieux et la succession, c’est le lieu de signaler qu’il y a encore des points de désaccord, notamment sur l’adoption filiation et la légitimation de l’enfant né hors mariage.     

Assane Koné

Le Républicain 26/07/2011