Cinquantenaire du 20 janvier : Discours de Son Excellence Monsieur Amadou Toumani TOURE,

Nous fêtons ce 20 janvier 2011, dans la ferveur et la communion, le 50ème anniversaire de notre Armée Nationale.

Cette commémoration intervient dans le prolongement du Cinquantenaire de l’accession de notre pays à l’indépendance que nous avons vécue intensément tout au long de l’année 2010. Dans mon adresse à la Nation du 22 septembre 2010, j’avais tenu à rendre un hommage appuyé à nos Forces Armées et de Sécurité qui ont marqué dignement leur présence sur tous les grands chantiers de la construction nationale et du maintien de la paix en Afrique et dans le monde.

Le mérite en revient, d’abord et avant tout, à nos autorités politiques et militaires de l’époque, qui avaient perçu l’absolue nécessité et l’urgence de la mise sur pied d’une Armée Nationale et Républicaine, dédiée à la défense des intérêts supérieurs du Mali naissant.

Je veux rendre, ici, un vibrant hommage au Président Modibo KEITA et à ses compagnons de l’US-RDA, sans oublier les valeureux officiers que furent le Général Abdoulaye SOUMARE, les Chefs de Bataillon Pinana DRABO, Sékou TRAORE, Mohamed OULD ISSA, Balla KONE, Kélétigui DRABO, entre autres.

C’est le lieu, aussi, de saluer vivement les Anciens qui ont rejoint spontanément la nouvelle Armée, acceptant ainsi de perdre des avantages importants durement acquis.

Par cet acte de courage, ils ont fait montre d’un sens élevé et inégalé de renoncement et de patriotisme.

Si notre outil de défense est né de la volonté de consolider l’indépendance nationale, notre Armée, elle, est héritière d’une longue tradition militaire et guerrière qui a toujours distingué les Grands Empires et Royaumes qui se sont succédé sur notre sol jusqu’au Soudan français.

Nous avons très souvent rappelé la mémoire de ce passé. La célébration du Cinquantenaire de la Fête de l’Armée nous offre l’opportunité de revisiter notre histoire, notamment la période de la pénétration coloniale et les résistances héroïques qui se sont développées contre la domination étrangère.

A Logo Sabouciré, en septembre dernier, nous avons magnifié le refus de la soumission et l’esprit de liberté à l’origine de batailles célèbres, dont le souvenir reste à jamais lié à la longue liste des villes et contrées-martyres au Mali.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Les hauts faits d’armes de nos héros de la résistance restent encore méconnus des Maliens eux-mêmes et surtout des tout jeunes, d’où la nécessité d’inscrire durablement dans notre mémoire collective des pages tant glorieuses que douloureuses de notre Histoire.

La résistance à la pénétration coloniale s’est exercée sur toute l’étendue de notre pays et je me réjouis de relever, en ce jour solennel, que le plus bel hommage rendu à nos résistants l’a été par ceux-là mêmes qui les ont combattus.

Ainsi dans son ouvrage A travers l’Afrique , et dans le chapitre intitulé l’Honneur des Noirs, le Lieutenant-Colonel Baratier, futur général de l’Armée française, écrit ceci, je cite :

On sourit fréquemment en France de l’emphase avec laquelle les journaux parlent des combats coloniaux ; bien souvent j’ai moi-même haussé les épaules en voyant qualifier de batailles des rencontres où nous avons subi des pertes insignifiantes, où parfois nous n’avions eu que des blessés.

Pareille critique ne peut s’adresser au Soudan. On s’y battait et on y mourait en silence pour éviter d’émouvoir l’opinion et de provoquer un mouvement qui eût entravé l’œuvre dont on ne devait comprendre l’importance que plus tard.

Jamais conquête ne fit moins de bruit ; jamais peut-être nous ne nous sommes trouvés en présence d’une résistance plus opiniâtre ; nulle part nous n’avons sacrifié tant de vies.

Dans une lutte en rase campagne, la supériorité des armes et de la tactique suffit à mettre un ennemi en fuite ; lorsqu’il s’agit d’un village fermé, si primitives que soient ses fortifications, il n’y a qu’un moyen de vaincre : l’assaut, la brèche emportée, puis la guerre de rues, le corps à corps dans l’intérieur des cases, la lutte sans merci.

Ces combats, on ne les compte pas au Soudan, et cependant tout le monde les ignore. Personne ne connaît ni Ouéssédougou, ni Dosséguéla, ni Djenné pour ne citer que ces noms.

S’ils méritent d’être retenus, ce n’est pas seulement pour la glorification des vainqueurs, c’est encore pour l’honneur des vaincus. Nous avons eu en face de nous des adversaires héroïques, et j’écris ce mot sans craindre les sourires sceptiques : des hommes qui se défendent jusqu’à la mort sont des héros ; des hommes qui savent mourir comme les chefs de ces trois villages ont un honneur à la hauteur du nôtre. Fin de citation.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Les contingents soudanais au sein des Tirailleurs sénégalais se sont illustrés vaillamment, plus tard, dans les deux guerres mondiales et dans les expéditions coloniales.

C’est sur ce socle de bravoure et de dignité qu’est née la jeune armée malienne le 1er octobre 1960, pour culminer le 20 janvier 1961 à la demande de retrait des Forces étrangères de notre territoire.

Ce jour, le Président Modibo KEITA s’est adressé au Corps Diplomatique à l’effet de le tenir informé de l’intention du Parti US-RDA et du Gouvernement de voir la France évacuer toutes ses bases installées sur le territoire de la République du Mali. Le 20 janvier a été depuis lors consacrée dans le calendrier républicain comme le jour de la Fête de l’Armée.

Ainsi furent évacuées les bases de :

– Kati, le 08 juin 1961,
– Tessalit, le 08 juillet 1961,
– Gao, le 02 août 1961
– Et la base aérienne 162 de Bamako, le 05 septembre 1961.

J’ai évoqué tantôt les valeurs fondatrices de notre armée ; il me plaît d’y ajouter le sens du sacrifice des Officiers, Sous-officiers et Hommes du rang qui ont répondu à l’appel du drapeau national en renonçant à des avantages considérables pour constituer l’ossature des forces armées et de sécurité du Mali.

Du 1er octobre 1960, date de sa création au 20 janvier 1961, l’Armée malienne comptait un effectif de 1232 éléments dont 01 Officier Général, 05 Officiers supérieurs et 46 officiers.

Cette faiblesse du nombre était compensée par un sens inégalé de l’abnégation et une ardeur au travail qui verront l’Armée malienne s’engager sur tous les chantiers de développement et prendre part aux grands tournants de la vie du nouvel Etat.

Quelques événements à titre de rappel :

– En 1964, la jeune Armée malienne est confrontée à la rébellion dans l’Adrar des Ifoghas et placée devant sa mission cardinale de défense de l’intégrité du territoire national,
– En 1968, les Forces Armées font irruption dans la vie politique avec la prise du pouvoir par le Comité Militaire de Libération Nationale, le 19 novembre 1968,
– En 1972/1973, le Mali est frappé par la grande sécheresse dans le Sahel. L’Armée assure les ravitaillements par voie aérienne des zones les plus touchées en produits céréaliers : Goundam, Tombouctou, Gao, Mopti, Nioro, Nara. C’est le lieu de rendre hommage à l’Armée de l’Air qui assure depuis 50 ans des missions de liaison avec les Régions du Nord de notre pays.
– Le 26 mars 1991, les Forces Armées et de Sécurité, à la suite de manifestations populaires, mettent fin à la 2ème République et créent le Conseil National de Réconciliation, puis le Comité de Transition pour le Salut du Peuple, avec les représentants des Associations et Mouvements Démocratiques.
– De 1990 à 1992, l’Armée est à nouveau sur le front pour faire face à la Rébellion arabo-touarègue, qui débouche sur la signature d’un Pacte de Réconciliation Nationale, le 11 avril 1992.
– Le 23 mai 2006, les Forces armées et de sécurité sont confrontées à une mutinerie, puis une rébellion circonscrite dans le Nord-est de Kidal et qui est finalement contenue au bout d’un processus combinant le dialogue et l’option militaire.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du Rang des Forces Armées et de Sécurité,

Au lendemain de la proclamation de l’indépendance de notre pays, le 22 septembre 1960, les missions assignées à l’Armée malienne allaient au-delà de la défense de l’intégrité du territoire national. Soucieux de la consolidation du lien Armée-Nation, les Autorités politiques engagent les militaires sur tous les fronts du développement.

Dans le secteur du Développement Rural, la Compagnie de Production Agricole de Loulouni est créée pour la reconversion dans les métiers agricoles des Sous-officiers maliens et Hommes de troupe en fin de carrière dans l’Armée coloniale.

Les Centres d’Animation Rurale verront le jour, plus tard, pour renforcer le rôle de l’Armée dans la production agricole, à travers l’exploitation de champs collectifs.

Depuis leur création, le Génie Miliaire et les Ateliers Centraux de Markala apportent une contribution remarquable dans la réalisation d’Equipements et d’Infrastructures pour notre Pays.

Le personnel de santé de l’Armée ainsi que les structures de soins sous l’autorité de la Direction Centrale des Services de Santé des Armées sont aujourd’hui un maillon essentiel de notre système sanitaire. Leurs prestations bénéficient à de larges couches de la population civile.

Cette Fête du 20 Janvier 2011 m’offre l’occasion de saluer la capacité d’adaptation de notre Armée, 50 ans après sa création. La politique exemplaire de promotion du genre au sein de nos Forces Armées et de Sécurité en est une parfaite illustration.

Toutes les Armes et Services comptent désormais en leur sein du personnel féminin dont l’effectif est évalué à près de 11% de nos troupes. Nos sœurs sont présentes à tous les échelons ; elles sont militaires du rang, sous-officiers, officiers, officiers supérieurs et trois d’entre elles viennent d’être promues au grade de Général de Brigade et Inspecteur Général.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

L’engagement dans les missions de paix constitue un trait caractéristique des Forces Armées et de Sécurité du Mali. Cette vocation était née déjà au temps de l’Armée de la Fédération du Mali (regroupant le Sénégal et le Soudan) avec l’envoi au Congo Belge du capitaine Mademba SY qui commanda un bataillon de maintien de la paix entre le 1er août et le 02 novembre 1960.

Trois ans plus tard, en octobre 1963, deux capitaines maliens, Léon SANGARE et Sékou DOUMBIA, vont réussir, en présence de deux frères d’armes éthiopiens, l’exploit de hisser le drapeau blanc sur les lignes séparant les forces marocaines et algériennes alors en conflit, créant ainsi les conditions de succès de la médiation entreprise à l’époque par le Président Modibo KEITA et l’Empereur Hailé SELASSIE, qi aboutit à la tenue à Bamako d’une réunion de réconciliation entre le Roi Hassan II et le Président Ben Bella, en présence des deux médiateurs.

Dans la lignée de ces pionniers, plus de 4000 soldats maliens, hommes et femmes de différentes armes et services, ont participé à des opérations de maintien de la paix et d’assistance humanitaire en Afrique et dans le monde.

Comment passer sous silence l’engagement panafricaniste de notre Armée, dans la fidélité à la ligne politique définie par nos Pères de l’Indépendance ?

De 1960 à 1962, les Forces Armées maliennes assurent le soutien et le transport de matériel logistique au profit du Front de Libération Nationale, en lutte pour l’indépendance de l’Algérie.

De 1964 à 1965, le Capitaine Yoro DIAKITE, le Lieutenant Moussa TRAORE (Général) et le Lieutenant de Gendarmerie Bakary TRAORE Brodequin effectuent des missions d’instruction en faveur des combattants nationalistes d’Afrique Australe, de l’ANC (Afrique du Sud) de la SWAPO (Namibie), du FRELIMO (Mozambique), du MPLA (Angola), de la ZANU (Zimbabwe) et des Lumumbistes du Congo.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Une grande Armée, c’est d’abord des hommes et des femmes de qualité, rompus au métier et prêts au sacrifice suprême pour la patrie.

Je félicite le Commandement pour ses efforts dans le cadre de l’instruction et de la formation et tiens à exprimer toute ma satisfaction au Prytanée Militaire de Kati pour ses brillants résultats au plan national et dans les établissements similaires fréquentés par nos enfants en Afrique.

Le Mali assure, à travers ses Ecoles Nationales à vocation régionale ou sous-régionale, la formation des militaires de nombreux pays africains. Il s’agit notamment de l’Ecole Militaire Interarmes, de l’Ecole d’Etat-Major, du Cours Supérieur de Gendarmerie, de l’Ecole Militaire d’Administration et de l’Ecole de Maintien de la Paix.

J’exhorte leurs encadrements respectifs à maintenir la qualité de l’enseignement dispensé et qui nous vaut la confiance de pays frères et amis.

C’est aussi le lieu de remercier les pays, les Ecoles et Académies militaires qui accueillent les militaires, gendarmes et policiers maliens en formation. Nous sommes tout aussi reconnaissants de l’apport inestimable des instructeurs de pays amis qui servent dans nos centres de formation.

Plus globalement, la coopération militaire a largement contribué à la modernisation de l’Armée malienne. Nous exprimons notre profonde gratitude à tous les pays qui ont accompagné le Mali dans le renforcement des capacités de ses Forces Armées et de Sécurité.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Au cours du demi-siècle écoulé, nos Forces Armées et de Sécurité se sont acquittées, avec courage et détermination, de leur mission traditionnelle de défense de l’intégrité du territoire national.

Aujourd’hui, elles font face à de nouvelles menaces et à de nouveaux défis sécuritaires, dont le terrorisme représente la manifestation la plus redoutable.

La gestion de la Bande sahélo-saharienne relève d’une analyse lucide et objective dans le cadre d’une vision concertée. Je voudrais insister, une fois encore, sur le fait que la lutte contre le terrorisme n’est pas seulement sécuritaire. On en connaît les limites.

Le combat contre le terrorisme doit également faire appel à l’engagement et l’implication des élus, des collectivités locales et des populations. Mais, sa colonne vertébrale sera le développement local pour offrir des alternatives aux communautés des zones concernées, singulièrement la jeunesse.

Le trafic de drogue et d’armes alimente aussi, pour une large part, l’insécurité dans la Bande sahélo-saharienne. Je félicite l’Administration des Douanes et les Forces de Sécurité pour les actions de lutte contre ces fléaux.

Officiers,
Sous-officiers,
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, ainsi que des axes routiers, sur toute l’étendue du territoire national, est une des missions fondamentales de l’Etat.

La protection des populations, notamment dans nos villes de plus en plus confrontées à une insécurité grandissante est au cœur de l’engagement des Forces de Sécurité, dont les moyens et l’équipement ont été constamment améliorés pour faire face à diverses formes de délinquance et de banditisme.

Nous resterons mobilisés pour que la sécurité soit davantage assurée sur toute l’étendue de notre pays.

Parallèlement à la sécurité des personnes et de leurs biens, la sécurité routière est un défi majeur auquel notre pays est confronté. Les accidents de la route constituent, de nos jours, un problème de santé publique, au regard du nombre de morts et de blessés enregistrés chaque année dans notre pays.

Il n’y a, cependant, pas de fatalité à cette dérive meurtrière sur les voies urbaines et inter-urbaines.

Nous devons continuer à combiner intelligemment les mesures de répression des actes notoires d’incivisme dans la circulation routière et de sensibilisation du grand public, en vue du changement de comportement indispensable pour faire reculer ce fléau.

C’est le lieu de rendre hommage au travail remarquable des Services de la Protection Civile. J’associe à cet hommage, les services de santé, les associations et autres organisations de la Société Civile, engagés dans la prise en charge des accidents de la route et dans les campagnes de prévention.

Officiers ;
Sous-officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Le Service des Eaux et Forêts joue un rôle essentiel dans la préservation du patrimoine forestier national. Je félicite et encourage tous les agents qui servent dans ce corps paramilitaire.

Le travail des personnels de surveillance des services pénitentiaires et de l’éducation surveillée mérite toute notre attention.

Ils accomplissent une tâche difficile au niveau des Maisons d’Arrêt et de Correction, des centres spécialisés et de détention, de rééducation et de réinsertion.

Je salue les contingents du Service National des Jeunes, qui constituent une réserve importante pour nos Forces Armées et de Sécurité.

J’engage le Commandement à explorer toutes voies pouvant nous permettre de valoriser ce potentiel de qualité.

Officiers Généraux ;
Officiers Supérieurs ;
Officiers, Sous- Officiers ;
Militaires du rang des Forces Armées et de Sécurité,

Le Cinquantenaire de la Fête de notre Armée est une occasion privilégiée pour m’incliner pieusement devant la mémoire de tous nos soldats tombés sur le champ d’honneur. Leur leçon de courage, si bien illustrée par la devise Plutôt la mort que la honte !, doit continuer à inspirer toutes les générations de nos Forces Armées et de Sécurité.

En 50 ans d’existence, notre Armée Nationale a acquis de la maturité. Elle s’est affirmée comme un creuset de notre identité nationale par la diversité de provenance des hommes et femmes qui servent en son sein. Elle a gagné en vitalité par le recrutement massif de jeunes. Les Forces Armées et de Sécurité se signalent aussi par l’exemplarité de la politique du genre.

Ces mutations prouvent bien nous sommes engagés à bâtir l’Armée de nos besoins plutôt que de conserver l’Armée de nos habitudes. Cette grande ambition exigera de nous la poursuite de la modernisation de l’outil de défense et la consolidation de la discipline, de l’éhique et de la cohésion au sein des Forces Armées et de Sécurité.

Ce sont là des valeurs essentielles que je vous invite à observer en permanence et avec la plus grande rigueur.

Vive l’armée au service de la République !

Je vous remercie !                                                                                                                                         

Koulouba, le 19 janvier 2011