Chronique du Vendredi : Le pays-SA face à la vérité des rappeurs

De manière systémique, ce groupe est sa mauvaise conscience. Il est sa pire bête noire. Et depuis plus d’une décennie, chaque album de Tata Pound démontre, dans un singulier agencement de son, couplet et refrain que les grains de beauté dont  se vante une élite rondouillarde à force de rapines sont autant de honteuses verrues sur le visage d’une démocratie-vampire. Le rap, incontestablement, est devenu le mur des lamentations d’une majorité qui a peur de ses perspectives  et de laquelle les gouvernants et la société doivent avoir peur. Tant que cette jeunesse dont la taille frise le seuil de la rupture sociologique n’est pas canalisée par une authentique stratégie d’avenir. En lieu et place de l’illusion structurelle des navets brésiliens. En lieu et place de l’éphémère vivat devant  le nième exploit du lointain Messi qui n’a plus lui, grâce au talent et à une organisation qui valorise le talent, de souci à se faire pour soigner ses vieux parents, vivre dans le confort digne de son mérite, mettre de côté un matelas d’argent pour ses vieux jours.

En lieu et place enfin du cercle vicieux dans lequel  les pouvoirs publics, la jeunesse insurgée et la société débordée perpétuent, nos rues ensanglantées le prouvent éloquemment, l’incivisme, l’insécurité, la perte des valeurs cardinales, une nation qui fout le camp et inversement. Les rappeurs, et toute la tragédie de la société malienne d’aujourd’hui se trouve là, sont devenus la conscience morale du pays.  Qu’ils défendent, d’abord par la beauté de leur art, qu’il s’agisse d’Amkoullel, d’Iba One ou de Tata Pound -encore!- tous des têtes d’affiches hors du Mali et de surcroît, dans une spécialité particulièrement embouteillée.

Mais surtout, contrairement aux oppositions le plus souvent obligées d’être alimentaires pour avoir un bout de la pizza nationale qui reste le patrimoine du prince, les jeunes héros du rap, poètes d’un genre nouveau, refusent toute compromission. Pour preuve : dans l’impasse de l’école, ils fustigent les parents d’élèves comme l’Etat, pour la corruption qu’ils n’ont de cesse de pourfendre parce qu’elle coûte doublement, les fonctionnaires comme les responsables des pouvoirs publics sont indexés.

Tous les segments structurants, de l’élection à la sécurité routière, sont passés à la loupe et les rappeurs  choisissent leur camp sans peine : celui de leurs compatriotes qui souffrent, non parce qu’ils sont oisifs mais parce qu’ils sont fondamentalement trahis par l’équation poste-pouvoir-richesses. Une équation qui fera, tôt au tard, le malheur des démocraties sans bien-être ou le lit de futures bourrasques armées des illusions perdues.

Sous ce regard, nos rappeurs ne sont pas les ennemis du prince. Ils ne peuvent être que ses alliés si le bien-être collectif est le seul objectif qui vaille. Mais c’est naturel que les Zorro du hip-hop  uniquement mûs par l’intérêt général soient pris en grippe par l’entourage du chef. C’est ce cercle qui trahit toujours le premier avec les bilans maquillés, les financements inefficients, les reversements scandaleux, l’appétit des châteaux, les billets de première pour les maîtresses et une surdité totale à la faim lourde des honnêtes citoyens.  Ils ont pour cela une bonne recette : faire plus de réalisations qu’il n’y en avait et le crier sur tous les toits. Or, dans notre pays, dans les circonstances qui ont donné naissance à notre démocratie et devant les défis énormes qui sont les nôtres, l’éthique minimale réside dans le maximum de réalisations possibles.

La médaille de la patrie a été décernée à des compatriotes méritants mais aussi à des sangsues et à des pantouflards. Or cette distinction doit être la plus grande fierté pour un citoyen. Le jour où Tata Pound, un exemple pertinent mais pas limitatif, accrochera sur sa poitrine le précieux symbole, nous aurons dit adieu au « Pays-SA ».

Adam Thiam

Le Républicain 10/06/2011