Carnet de voyage : suite et fin:Du royaume du karité à la route du sel:espoirs et angoisses du Mali


Ce n’était plus possible de l’attendre. Et nous avions eu beaucoup d’assurances sur la sécurité du trajet. « Et mon argent ? » menaçait le chauffeur, un colosse arabe qui commençait à retrousser des manches démasquant des avant-bras aussi poilus que musclés. Comparant le coût des ordonnances si seulement le furibard me donnait un petit coup sec aux frais de location de la bagnole, j’ai vite fait de lui régler sa note. Mais changement de route : le maire adjoint de Léré que nous avons embarqué à Bamako propose que nous prenions l’axe Niono-Dioura-Léré qui serait plus rapide et plus sûr. Une piste, pour tout dire, pittoresque, avec ses 120 km du mythique guiera senegalensis, l’arbre paratonnerre dans la culture nomade  et de schoenfeldia, l’herbe à balais qui n’a pas bien poussé cette année.

En fait, par le petit mil séché sur pied, on devine ce que confirmeront plus tard les autorités de la zone : l’hivernage a été déficitaire. Pourtant, le terroir, en année normale, est un véritable grenier à mil. Monimpé n’est pas loin, Minimana est sur l’axe, Dioura aussi et ils sont tous connus pour l’abondance traditionnelle de leurs récoltes ainsi que le goût presque lacté du petit mil local. Il se fait tard, le soleil se couche et nous avons un peu peur même si nous avons un guide qui connaît les lieux pour avoir foré, en tant qu’entrepreneur, quelques-uns des forages qu’il nous a montrés.

Quatre heures pour atteindre 120 km sur un tronçon où il n’y a aucune antenne Orange ou Malitel -donc pas de réseau-, avec des tronçons en boa, des nuées entières de criquets qui  viennent écraser leur vie contre la voiture, laissant sur la pare-brise leur lourde graisse blanche. Tous les CD à bord ont été passés et repassés. Il ne restait que celui d’Abderamane Soudeiss. On décide de l’essayer, malgré le nombre de porteurs de jeans dans la voiture. Sa voix émouvante remplit la savane, les branches saluent les dons uniques du génie du Coran.

Et notre maire-adjoint dopé propose de nous conduire lui-même de Dioura à Lèré, 120 km qu’il couvrira en deux heures d’un slalom d’expert et répétant chaque sourate du grand hafiz qu’il savait marmonner. La lune est à l’Est, ronde et remplie, ses reflets dissipent la voie lactée et cachent les constellations connues de la saison : pléiades, orion et grande ourse.

Celle-ci nous apprend le conducteur arabe est appelé ici chameau alors que chez certains peuls, elle est appelée éléphant. Nous restons dans la métaphore animale de toute façon. Et voici Léré dans la nuit. Un petit filet d’éclairage public installé par l’Amader dont tout le monde nous dira le lendemain que la facturation est assassine. L’une des plus cosmopolites des communes du Mali, à la lisière du Kareri (avec Dioura comme capitale) Mema (Nampala) Farimaké (Youwarou), manie avec une égale aisance le hassania, le fula, le songhoy, le Tamasheq, le bamanan.

C’est vendredi, jour du marché hebdomadaire. Une bonne dizaine de pickups à essence immatriculés en Mauritanie. Le marché à mouton, bien entendu, à quelques encablures de la tabaski, grouille de visiteurs. Tout comme le marché à bovins où les roux zébus maures affichent leur embonpoint de fin d’hivernage. On ne sait pas si on est en Mauritanie, à Tombouctou, dans le Macina ou en terre bamanan. Voilà la mosaïque gagnante, ce que le Mali est et devra préserver : la diversité assumée mais voisine et reconnaissable au turban porté.

Malgré de durs souvenirs: ceux de terribles exécutions qui ont eu lieu dans cette ville durant la rébellion des années 1990 par des militaires loyalistes. Et le plus récent, quand on traverse Nampala sur le chemin du retour : l’effroyable attaque perpétrée par Bahanga contre la garnison locale en 2008. Des moments qu’on peut pardonner mais qu’il ne faut jamais oublier. Pour que plus jamais ils ne se répètent. Pour qu’ils ne nous séparent pas, fils et filles de la même ambition malienne. Car après tout, c’est la finalité qui compte et ce qu’on dira de chacun d’entre nous demain. Personne n’étant immortel, la nième preuve de notre vocation à la brièveté étant Bahanga lui-même.    

Adam Thiam

Le Républicain 20/10/2011