AUDIT DES COMPTES DES PARTIS POLITIQUES

Entre volonté de transparence et pression pour accepter leur sort

Quand l’État demande des comptes aux partis politiques après les avoir
dissous ! Que faut-il comprendre ou lire entre les lignes ? Selon de
nombreux observateurs, loin d’être une quête de transparence, cela peut
être assimilé à une tentative d’intimidation pour contraindre les acteurs
politiques à accepter non seulement leur sort, mais aussi la prolongation
de la transition de 5 nouvelles années renouvelables. En tout cas, pour
Me Mountaga Tall, une figure emblématique du mouvement
démocratique, cela s’apparente à demander aux «morts d’assister à
leurs funérailles».

Quand le gouvernement «demande aux morts d’assister à leurs funérailles» et
à la cour des comptes d’auditer ses propres audits ! Telle est la conviction de
Me Mountaga Tall, président du Cnid-Fyt et figure emblématique du
mouvement démocratique, après la décision des autorités de la transition de
demander des comptes aux partis politiques.
En effet, dans le cadre de l’audit des financements des partis politiques pour la
période de juillet 2000 à mai 2025, le président de la section des comptes de
la Cour suprême enjoint à leurs responsables à soumettre, au plus tard le 30
juin 2025, les documents comme les copies des états financiers, les
justificatifs des dépenses, les journaux de banque et de caisse, les relevés
bancaires et états de rapprochement, les rapports annuels détaillant l’état des
ressources. «Toute tentative d’évitement ou de non-conformité pourrait
entraîner des conséquences graves. Agissez promptement pour assurer la
transparence», a-t-on menacé dans l’avis. Autant menacer une femme
enceinte avec une banane ou un cabri mort avec un couteau.
Selon certaines sources, le Trésor public a octroyé aux chapelles politiques
près de 25 milliards de FCFA durant la période évoquée. La redevabilité et la
transparence sont des principes sacrés en démocratie. Mais, c’est le timing de
cette requête qui suscite des interrogations. On demande des comptes à des
organisations qui n’existent plus légalement après la dissolution par le
président de la Transition par décret. Il est évident qu’auditer une organisation
qui n’existe plus paraît plus que problématique. Comme le souligne un expert,
«la logique voudrait que l’audit précède la dissolution». Il aurait d’ailleurs dû ou
pu être un critère d’assainissement de la classe politique en lieu et place de la
dissolution de l’ensemble des partis politiques. Sans compter que le délai légal
de conservation obligatoire des documents comptables est de dix ans au Mali
or cet audit couvre une période de 25 ans, soit 15 ans de trop !
Que faut-il comprendre par cette «décision téléguidée» ? Pour de nombreux
observateurs, il n’y a pas l’ombre d’un doute. Loin d’être une quête de
transparence, cela peut être assimilé à une tentative d’intimidation pour
contraindre les acteurs politiques à accepter non seulement leur sort, mais
aussi la prolongation de la transition de 5 nouvelles années renouvelables.

Difficile de leur donner tort dans la mesure où cette même section des
comptes devait veiller annuellement à l’utilisation correcte de l’aide publique
accordées aux chapelles politiques. En effet, selon nos recoupements, la Cour
suprême a déjà contrôlé les comptes des partis politiques sur la période
concernée hormis l’année 2025 en cours. Elle a déjà exprimé son opinion de
certification ou refus de certification desdits comptes année après année.
Il est vrai que certaines formations ont toujours trouvé les moyens de se
dérober à cet exercice. Mais, les gros bénéficiaires s’y sont toujours pliés.
C’est comme si alors la Cour suprême remettait en cause les audits de sa
section des comptes entre 2000 et 2025. «Avec de très bons avocats, les
partis n’auront aucune difficulté à dénoncer cette requête puisqu’ils n’existent
plus officiellement», nous a confié un juriste.

Des fantômes appelés à retirer des lettres au nom des partis dissous ?
La preuve de l’incongruité de cette requête, c’est que la Section des comptes
de la Cour suprême ne s’est adressée aux «présidents des anciens partis
politiques» qu’à travers une correspondance nominative qui n’a pu être
déposée à leurs sièges, tous fermés. Finalement, c’est une invitation à les
retirer qui aurait été finalement diffusée par l’ORTM. Et personne n’est
contraint à le faire puisqu’aucun parti politique ou organisation à caractère
politique n’existe aujourd’hui au Mali.
En tout cas, pour Me Mountaga Tall, la demande de la Section des comptes
s’apparente à demander aux «morts d’assister à leurs funérailles». Même si, a
souligné cette figure emblématique du mouvement démocratique, «à
l’annonce de l’audit du financement des partis politiques, j’ai eu un
soulagement indescriptible : enfin, j’allais pouvoir prouver aux Maliennes et
Maliens que les comptes du Cnid-Faso Yiriwa Ton étaient sincères, clairs et
nets et que moi-même était blanc comme du lait de chamelle». Et d’ajouter,
«je suis sûr que je n’étais pas seul dans ce cas». Mais, a déploré le juriste
chevronné, «ma joie a été de courte durée, avec la dissolution des partis
politiques avant l’audit annoncé».
Et, la lettre de la section des comptes a fini par le convaincre «qu’il ne s’agit
pas de faire un audit pour connaître la vérité sur les comptes des partis
politiques, mais simplement d’une opération en vue de les salir et de les
discréditer». Pour le brillant avocat et leader politique, cette lettre n’est qu’une
«tentative puérile» de leur «tendre un piège grossier» en les incitant à «violer
les interdits posés par la loi de leur dissolution».
«Très pertinent et percutant texte de Me Mountaga», ont analysé plusieurs
consultants politiques interrogés sur la question, comme Fousseyni Camara,
intellectuel et syndicaliste à la retraite. Ce dernier se dit surpris par «la posture
de la classe politique à vouloir toujours boire le calice jusqu’à qu’à la lie, en se
soumettant docilement à toutes les lois qui sont piétinées par ceux-là mêmes
qui ont fait le serment de les appliquer et de les faire appliquer». Et d’enfoncer
le clou, «malgré le mépris total de nos lois de la part de nos autorités de
Transition, c’est assez touchant que la classe politique persiste à se conformer
à des lois qui n’existent presque plus que sur le papier».

A propos d’audit, a souligné M. Camara, «je pense que la classe politique
aussi est en droit de dresser une liste de toutes les violations de nos lois
fondamentales dont la transition s’est rendue coupable depuis août 2020 et de
transmettre cet audit à la Cour constitutionnelle car, apparemment, les sages
ne réagissent aux violations répétées des lois que lorsqu’ils sont saisis».
Pour cette personnalité influente au sein de la diaspora malienne en France,
les choses sont très claires. «Les autorités de la transition savent que la
décision d’auditer les partis politiques n’est pas applicable, car l’accès à leurs
sièges est interdit. Mais, qu’à cela ne tienne ! Il leur faut absolument un
prétexte pour arrêter les rescapés, c’est-à-dire ceux qui ne sont ni en prison ni
en exil». Et, comme beaucoup d’autres de nos interlocuteurs, il est convaincu
«qu’elles le feront sans conséquences car, il faut le dire, la communauté
internationale est fatiguée de la versatilité et de l’inconsistance des Maliens qui
veulent une chose et son contraire».
Selon un juriste, il ne saurait être question pour les partis qui se respectent de
retirer la lettre, ni à fortiori d’y répondre. Et cela, ironise Me Tall, par «respect
de la loi. Même si nous la désapprouvons. Même si nous l’avons attaqué. Il en
va ainsi de la République, de la démocratie, des Républicains et des
démocrates». Comme le dit si bien le président du Cnid-Fyt, dans sa
publication sur les réseaux sociaux, «pour obtenir satisfaction sur les états
financiers des partis, la Section des comptes doit demander leur
rétablissement» ! Donc désavouer les autorités de la transition. Ce qui ne peut
pas être assimilé à un crime de lèse-majesté de la part d’une institution
judiciaire crédible, car indépendante !
Hamady Tamba

diasporaction.fr