AMINATA DRAMANE TRAORE PARLE DU JIHADISME, LA SOUVERAINETE… : Une nouvelle étape de la recolonisation de la bande sahélo-saharienne par l’impérialisme

La guerre dite « anti-djihadiste », en cours dans la bande sahélo-saharienne depuis plus d’une décennie, n’est en réalité qu’une tentative de recolonisation impérialiste par les armes. Telle est en tout cas la conviction assumée par Mme Aminata Dramane Traoré (chercheur, sociologue, écrivaine et altermondialiste) dans une récente interview accordée à « JDM » (Journal du Mali/l’hebdo N°405 du 12 au 18 janvier 2023). Elle se réjouit de la « souveraineté retrouvée » du Mali et balise les alternatives réalistes pour sauvegarder les acquis en la matière. Synthèse de la rédaction.

 « La souveraineté étant une quête de tous les jours, les acquis doivent être entretenus et consolidés » ! C’est l’un des principaux conseils donnés aux Maliens par Mme Aminata Dramane Traoré (chercheur, sociologue, écrivaine et altermondialiste) dans l’entretien publié par nos confrères de « Journal du Mali » (JDM) le 18 janvier 2023. Elle fait allusion à l’institution d’une « Journée nationale de la souveraineté retrouvée » célébrée désormais tous les 14 janvier ! Un conseil d’autant précieux que, rappelle-t-elle, dans la guerre dite « anti-djihadiste est en réalité sous nos cieux « une nouvelle étape de l’impérialisme et de la recolonisation par l’intervention militaire ».

« J’ai pris part à la mobilisation du 14 janvier 2022 (qui a motivé l’institution de Journée nationale de la souveraineté retrouvée) parce qu’indignée par les sanctions infligées à notre pays par la CEDEAO et l’UEMOA. C’est un combat d’avant-garde en raison de l’importance stratégique des enjeux de souveraineté de nos jours. Ils sont politiques, géopolitiques, militaires, sécuritaires, mais aussi économiques, sociaux, culturels et écologiques », indique-t-elle. Et d’ajouter avec une forte conviction, « un jalon important vers l’affirmation de notre souveraineté a donc été franchi ce jour-là, 14 janvier 2022 » ! Dans leur quête de souveraineté, souligne la sociologue, « les autorités de la Transition ont pris de nombreuses décisions qui ont créé des tensions avec certains partenaires, notamment la France ou certains voisins ». Et de s’interroger : « cette quête doit-elle être aussi conflictuelle » ?

Des choix de partenariat souverainement redéfinis malgré les pressions et les menaces

En tout cas, le Mali a souverainement redéfini ses alliances dans une période très polarisée, notamment par le conflit russo-ukrainien. « La guerre en Ukraine jette une lumière crue sur les buts des guerres des temps présents, dont celle qui a été imposée au Mali au nom de l’anti-terrorisme. Depuis 2012, je n’ai pas cessé de contester et de déconstruire ce narratif français à la lumière de ce que je sais des interventions militaires étrangères. J’ai exprimé mon désaccord en ayant à l’esprit ce qui s’était passé en Irak et surtout en Libye », rappelle Aminata Dramane Traoré. 

Pour la chercheuse, nos relations avec l’Occident, notamment avec la France, sont à « repenser et à refonder » dans le sens du respect et de l’écoute mutuels sur « tous les sujets, y compris ceux qui fâchent comme le soutien de la France aux terroristes ». En s’y refusant, rappelle l’écrivaine engagée, « Paris conforte l’idée selon laquelle elle est au-dessus du droit international, qu’elle prétend défendre, et aggrave la crise de confiance qui remonte aux premières heures de l’Opération Serval, suite à l’interdiction de l’accès à Kidal aux FAMa ». 

On comprend alors qu’elle avoue avoir ressenti le départ de l’armée française de notre pays avec une légitime fierté. Et cela d’autant plus que la mission au nom de laquelle l’Opération Barkhane a par exemple été déployée dans le Sahel était loin d’être atteint. « La situation sécuritaire ne s’est guère améliorée depuis…», a déploré Aminata Dramane dans l’entretien accordé à JDM. Et de préciser, «il en est ainsi parce que le diagnostic est erroné. Les conséquences sont érigées en causes. Nombreux sont les analystes avisés qui rappellent que le terrorisme est un mode opératoire et non un ennemi spécifique. Le phénomène prend de l’ampleur au fur et à mesure que les mécanismes du pillage de nos richesses, du délitement du lien social et de la destruction de l’environnement s’accentuent au profit des banques, des grandes entreprises et de leurs actionnaires ».

La célèbre altermondialiste indexe alors le « néolibéralisme » notre « ennemi principal ». N’en déplaisent à « nos élites qui s’interdisent de le nommer pour ne pas scier la branche de l’arbre sur laquelle elles sont assises ». Et pourtant, il est temps que celles-ci (élites) se réveillent pour se soustraire de cette dépendance politico-mentale car, prévient Aminata Dramane, « les discours contre les politiques françaises ont largement contribué à l’éveil des consciences et à la libération de la parole… Les dirigeants qui succéderont aux militaires se rabaisseront aux yeux de leurs concitoyens et des opinions publiques en jouant au béni-oui-ouisme ». 

Briser le joug néolibéral pour mieux transformer notre économie en fonction de nos besoins de développement

S’ils veulent rester sur la même longueur d’ondes que leurs peuples et garder ainsi leur confiance, ils doivent faire des choix économiques et politiques en droite ligne avec des préoccupations réelles des populations. Pour la sociologie, «il ne s’agit pas d’approfondir les politiques néolibérales au nom d’une prétendue intégration dans l’économie mondiale. Mais, à la lumière des inégalités entre nations et à l’intérieur de chaque pays, de réinventer l’économie afin qu’elle devienne une réponse à la faim, à la soif, à la peur et à la haine ». 

Autrement, pour atteindre notre souveraineté, nous avons donc besoin de transformer notre économie. Et pour l’icône de la lutte altermondialiste, «la tâche est colossale et exaltante ». Et comme de nombreux économistes Kako Nubukpo (commissaire de l’UEMOA) elle plaide pour la révision de fond en comble des accords de libre-échange entre l’Union européenne et les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (UE ACP), du néoprotectionnisme, du « juste échange » (la liste n’est pas exhaustive). 

Au finish, Mme Aminata Dramane Traoré plaide pour « une pensée économique et politique autonome, nourrie des enseignements de ces 62 ans d’essais de développement, la confiance en nous-mêmes et en les autres, la solidarité, dont le patriotisme économique est l’une des clés. On achète et on consomme malien et africain au lieu de continuer à importer tout et n’importe quoi, dont les restes des consommateurs des pays émergés ou émergents ». Il faut également « une intégration sous-régionale basée non pas sur la compétition à mort, mais sur la conscience de notre communauté de destin et des valeurs que nous avons en partage ». Et naturellement elle souhaite que les femmes et les jeunes soient « les fers de lance de cette quête d’alternatives »…

Comme on peut le constater, Aminata Dramane Traoré n’a pas dérogé à sa tradition d’appuyer fort sur la plaie en disant crue ce qui ne va pas et surtout en proposant des alternatives pertinentes, réalistes, donc crédibles. Elle reste donc cette grande Nyéléni des temps modernes déterminée à contribuer à l’amélioration de l’environnement (le pavage des rues de son quartier Missira, la conception d’un marché malien des produits faits main) et du bien-être des populations autour d’elle ; à s’investir dans la défense des droits des migrants et des réfugiés et dans celle de son pays et de l’Afrique afin d’éviter qu’ils ne continuent à être piétinés et humiliés partout. Et elle a de qui tenir cet engagement citoyen, patriotique et panafricain : de Bintou Sidibé, sa Maman !

Naby