Alassane Ouattara : «Laurent Gbagbo partira dès ce mois de janvier».

RFI : La deuxième mission de la Cédéao n’a rien donné. Est-ce qu’on n’est pas dans l’impasse ?

Alassane Ouattara : Oui, c’est vrai que la mission n’a pas abouti, parce que Laurent Gbagbo continue de vouloir gagner du temps. Il demande un comité de validation, ce qui est totalement absurde, puisque ce processus a été surveillé de bout en bout par la Cédéao et par les Nations unies. Par conséquent, il faut aller de l’avant.

RFI : Alors si Laurent Gbagbo et beaucoup de ses partisans quittent le pouvoir, ils craignent de connaître le sort de Charles Taylor, est-ce que ce n’est pas un vrai problème ?

AO : Oui, c’est un vrai problème. S’ils continuent, ils s’exposent à de très sévères sanctions, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il est clair que Laurent Gbagbo aura des problèmes. Il a du sang sur les mains, Laurent Gbagbo. Les mercenaires et les miliciens étrangers qu’il a fait venir, tuent tous les soirs des dizaines d’Ivoiriens. Plus de deux cents personnes ont déjà été assassinées.

RFI : Donc, si Laurent Gbagbo quitte le pouvoir de son plein gré, vous ne lui garantissez pas d’immunité judiciaire ?

AO : Ah si ! S’il quitte dans des délais rapprochés et s’il le fait de manière pacifique, je suis prêt à examiner un certain nombre de conditions. C’est ce que j’ai d’ailleurs dit aux trois chefs d’Etat qui sont venus me poser cette question. Mais il ne faut pas que ça tarde. Parce que cela fait déjà cinq semaines que j’ai été élu et je n’arrive pas à assumer la plénitude de mes fonctions. Il est temps que Laurent Gbagbo accepte qu’il a perdu ces élections. Il le sait. Les Ivoiriens le savent. Le monde entier le dit. Alors il est temps qu’il s’en aille.

RFI : Alors vous dites que le temps presse, mais pour l’instant les émissaires qui sont venus lundi 3 janvier 2011 disent privilégier l’option diplomatique. Qu’est-ce que vous en pensez ?

AO : Je suis pour l’option pacifique, moi aussi. Mais il ne faut pas que ça dure trop longtemps.

RFI : Est-ce que ça veut dire qu’en fait vous ne croyez pas à l’option diplomatique et que vous préférez une option militaire ?

AO : Non. Je pense qu’il a encore quelques jours, selon ce que me disent les chefs d’Etat qui sont venus ici. Je souhaite qu’il ait la sagesse d’accepter de partir dans les plus brefs délais. Autrement, c’est lui qui aura créé les conditions d’une action militaire !

RFI : Alors, ce que craignent plusieurs présidents de la sous-région, en cas d’une intervention militaire, c’est la guerre civile à Abidjan.

AO : Vous savez, c’est plutôt Laurent Gbagbo le diviseur, avec les propos xénophobes que ses partisans tiennent. En réalité il n’y a pas de problème. Il s’agit d’un seul homme et d’un groupuscule qui l’accompagne. Si Laurent Gbagbo s’en va, tout cela va s’écrouler comme un château de cartes.

RFI : En Côte d’Ivoire, il y a beaucoup de ressortissants de pays de la sous-région qui craignent des représailles. Est-ce que l’inquiétude de leur pays d’origine n’est pas légitime ?

AO : Non. Ces représailles ont lieu maintenant. En réalité, après son départ [Gbagbo] tout rentrera dans l’ordre.

RFI : Oui, mais s’il y a une option militaire, il y aura nécessairement un conflit, qui durera plusieurs jours. Est-ce que pendant ce temps-là vous ne craignez pas guerre civile et bain de sang ?

AO : Non, je ne le pense pas. L’option d’une intervention militaire c’est pour venir chercher Laurent Gbagbo ! Ce n’est, ni attaquer la Côte d’Ivoire, ni les Ivoiriens. Et des opérations de ce genre ont déjà eu lieu en Afrique, comme en Amérique latine. Ce n’est pas très compliqué. Si les chefs d’état-major de la Cédéao décident de le faire, ils ont les moyens de le faire et de le soustraire, tout simplement, de son palais.

RFI : Oui, mais – comme vous le dites – il a des hommes avec lui… Des Ivoiriens, peut-être des mercenaires étrangers. Est-ce que ça ne compte pas ?

AO : Non, mais je pense que ce sont surtout des miliciens et des mercenaires étrangers. Je pense que les Ivoiriens qui continuent de le servir verront que ce n’est pas nécessaire de soutenir un dictateur !

RFI : Lors de son passage à Abidjan lundi, le Premier ministre kényan Raila Odinga a évoqué une éventuelle rencontre entre Laurent Gbagbo et vous. Qu’est-ce que vous en pensez ?

AO : Oui, il a dit… Je lui ai dit d’accord, à condition que Laurent Gbagbo me reconnaisse comme le président légitime. Et à ce moment-là, je suis prêt à le rencontrer.

RFI : Pas avant ?

AO : Mais pas avant, bien entendu ! Il est en train d’usurper un pouvoir et je ne peux pas rencontrer un hors-la-loi !

RFI : Dans le camp de Laurent Gbagbo on propose un recomptage des voix du second tour et l’on ajoute : « Si Alassane Ouattara est si sûr d’avoir gagné, il ne doit pas avoir peur de ce recomptage ».

AO : Mais ce n’est pas une question d’avoir peur ! C’est que ce comptage et recomptage a déjà eu lieu ! Je détiens les 21 000 procès-verbaux des bureaux de vote. Laurent Gbagbo les a reçus. Et c’est sur ces procès-verbaux que la Commission électorale indépendante a travaillé, que le Conseil constitutionnel a travaillé, ainsi que les représentants de la Cédéao et des Nations unies. Les chiffres sont identiques. Je suis vainqueur à 54,10%. Alors, à quoi servirait de recompter quelque chose qui a été comptée par tant de sources ? Laurent Gbagbo demande ce décompte, tout simplement pour gagner du temps et pour importer des armes, faire venir des mercenaires et des miliciens. Je tiendrai et on le fera partir.

RFI : Vous tiendrez aussi longtemps qu’il sera nécessaire, même si vous devez rester retranché à cet hôtel ?

AO : Oui, mais ça ne va pas être aussi long que vous le pensez. Laurent Gbagbo partira et je suis confiant qu’il partira dès ce mois de janvier.

RFI : Deux fois la semaine dernière, les patriotes de Charles Blé Goudé ont annulé des manifestations dans Abidjan. L’une au Plateau et l’autre près de l’hôtel où vous résidez. Est-ce pour vous un signe de décrispation ?

AO : Non, c’est plutôt une faiblesse de mobilisation. Il n’a plus la capacité de mobiliser des jeunes. Ils ont trompé la jeunesse pendant des années. Ils leur ont promis des choses et rien n’a été fait. C’est tout simplement des appels à la haine. Ces jeunes ont besoin de travail et ils savent que c’est Alassane Ouattara qui peut leur apporter cette nouvelle situation, et non pas Laurent Gbagbo, le manipulateur et le diviseur.

Entretien réalisé par Christophe Boisbouvier, RFI.