Afrique- Débat: Les Camerounais sont-ils communautaristes? : AFRICA

Dans débat très courtois comme on aimerait bien en avoir sur facebook et où je défendais la citoyenneté résidentielle, Dieudonné Essomba m’a rappelé que mon concept ne marchera jamais au Cameroun parce que les Camerounais étaient par essence communautaristes. Il s’est suivi une énorme confusion sur la définition du communautarisme, ce qui motive ma réflexion de ce jour. J’ai donc compris que les défenseurs de ce modèle social au Cameroun semblent ne pas comprendre de quoi il est question. Lorsque je parle de Monsieur Essomba dans cette réflexion, je parle aussi de toi qui défend le communautarisme et qui ne comprends pas bien toi-même ce que tu défends.

Monsieur Essomba pense que « Le Communautarisme est la tendance d’un groupe humain à développer prioritairement des liens sociaux entre ses membres.

Par exemple, les actes de communautarisme sont les suivants :
– vous ne vous mariez qu’entre vous
-vous créez des associations que ne regroupent que vous
-vous ne recrutez que les gens de chez vous dans vos entreprises
-vous soutenez les mêmes tendances politiques
-vous vous regroupez dans le même quartier
-etc. »

Malheureusement, cette définition, à ma connaissance, n’a aucune référence scientifique. Je prie monsieur Essomba de nous donner sa référence. Cela participe de ce que les sociologues appellent « projet politique » différent d’un projet scientifique. En effet, beaucoup d’auteurs évitent ce terme dans les milieux des sciences sociales parce que cela participe d’un projet politique qui se développe dans des débats médiatiques, et loin des considérations scientifiques.

Avant de donner ma définition, je vais citer un certain nombre d’auteurs et figures bien connus qui ont évoqué le communautarisme dans leurs travaux et sont allés dans le sens de la « primauté de la communauté sur l’individu en société ». Il s’agit entre autres de: Charles Taylor, Karl Marx, Michael Walzer, Michael Sandel, Alain de Benoist, John Rawls, etc. On peut même ajouter l’américain Amitai Etzioni qui défend une théorie connexe appelée « communautarianism [pas d’équivalent en français] ». Les communautaristes pensent que les droits sont essentiellement collectifs et procurés par l’appartenance à une communauté qui peut être ethnique, religieuse, etc. Karl Marx disait en cela que la liberté n’est possible que dans la communauté. C’est donc une affaire de défense des droits spécifiques à une communauté ou des libertés collectives, et non une affaire de « liens sociaux » que les gens développeraient entre eux. Pour faire simple, quatre projets majeurs de communautarisme existent au Cameroun : Une loi qui attribue des droits spécifiques aux autochtones (primauté des autochtones sur les allogènes), un projet de revendication des Anglophones qui se considèrent exclus et qui pousse certains à promouvoir la sécession, un projet de revendication des Bamilékés qui se considèrent aussi exclus et qui a été formulé au Conseil constitutionnel par Maurice Kamto dans sa demande du « concours » à passer pour devenir Bulu, un projet de revendication des Nordistes qui se considèrent que le septentrion est lésé, tout au moins dans les investissements publics.

Contrairement à ce que pense monsieur Essomba dans l’échange que nous avons eu hier, le communautarisme n’est pas une affaire de mariage, de regroupement dans les quartiers haoussa ou Bamiléké, ou de construction des foyers culturels. D’ailleurs, beaucoup de choses comme le mariage ou le quartier qui s’expliquaient hier ne sont plus d’actualité aujourd’hui où le mixage culturel est effectif.

Aussi, contrairement à ce que pense monsieur Essomba, le contraire de communautarisme n’est pas individualisme mais, universalisme ou libéralisme. Il s’agit des gens qui pensent que l’être humain est universel et que les spécificités communautaires sont essentiellement sociales. En clair, un enfant naît tabula rasa (table rase) et prend la coloration de l’environnement où il grandit. Beaucoup connaissent ce débat qui ne peut plus être philosophique lorsque les évidences biologiques sont présentées : la culture n’est pas génétique ; ce n’est pas dans nos chromosomes. Barack Obama est né d’un père Kenyan mais, il n’a rien de la culture kenyanne car, il a grandi dans un environnement américain où il est même devenu le président (citoyenneté résidentielle que je défends). Barack Obama se comporte comme tout Américain, ce qui ne l’empêche pas d’avoir ses origines au Kenya où il a eu à se rendre, sans aucune prétention d’avoir des droits (d’autochtone) dans le village de son père. Les enfants nés de parents Bulus, Bamilékés, Peuls, Malinkés, Chinois, Syriens, etc., à Paris sont des Parisiens comme tous les autres enfants de cet environnement. De même, si un enfant de parents chinois naît et grandit à Ebolowa, il aura le même comportement que tous les enfants de cet environnement. D’ailleurs, j’ai partagé avant-hier la vidéo publiée par Macaire Lemdja-Ngongang montrant un enfant américain qui a grandi à Banso’o dans le Nord-Ouest du Cameroun et qui parlait le pidgin-English et appréciait la gastronomie locale comme tous les enfants de cet environnement.

En clair, le communautarisme n’est pas le regroupement culturel que l’on observe dans notre société. Il n’y a aucune restriction de se marier à qui l’on veut et de se regrouper en famille. Cela participe de la liberté individuelle que nous défendons. Le problème qui se pose dans la littérature politique est la revendication d’un droit communautaire qui doit être spécifique aux membres de la communauté. Par exemple, le droit que dans la même république, les membres de la communauté soient gérées par une loi spécifique comme la charia. Aussi, un esprit communautariste serait au Cameroun celui qui dit qu’il faut être anglophone pour défendre les anglophones.

J’ai entendu des gens dire qu’il faudrait interdire les foyers culturels bamiléké parce que ce serait le communautarisme. Rien du tout! Dans un pays normal et bien gouverné, il y aurait déjà eu des centres culturels construits par l’Etat aux frais du contribuable! Sinon, comment préserve-t-on ou promeut-on les cultures locales? Aussi, les gens disent qu’il faut interdire de parler les langues locales parce que ce serait communautarisme : erreur ! Et donc, sous le regard passif et irresponsable de l’Etat, on voit mourir nos langues et nos cultures ! Il faut donc au contraire encourager toutes les communautés culturelles à construire des lieux de cultures!

J’ai aussi entendu qu’il existe des quartiers Haoussas, Bamilékés, etc., et que ce serait le communautarisme, ce qui est faux dans la mesure où la loi qui prévaut dans ces quartiers n’est pas une loi spécifique aux membres de ces communautés. Il ne s’agit pas d’un quartier où n’habitent que les Haoussas; il s’agit d’un quartier où l’on retrouve beaucoup d’Haoussas, de Bamilékés, etc. Il faut plutôt analyser les dynamiques de population pour comprendre pourquoi et comment ces gens se sont installés massivement dans ces quartiers et non dans un autre. Le plus souvent, ils ont suivi un pionnier qui y vivait déjà en paix et chez qui ils ont transité. Certains ignorent que la capitale du Cameroun peut être transférée être à Kousséri, ce qui ferait aussi sens à côté de Ndjamena (futur hub de l’Afrique subsaharienne) et que l’histoire serait l’inverse. Certains ignorent que le prochain président de la république peut, à l’image du président Houphouet Boigny, ramener la capitale du pays dans son village, ce qui transformerait les autochtones d’aujourd’hui en allogènes de demain. Mes chers amis, la société n’est pas une réalité statique. Allons-y doucement et réfléchissons dans l’intérêt général.

Je dis souvent que ceux qui défendent ce genre d’idées n’ont jamais voyagé à l’extérieur de leur communauté ou encore, ils y sont restés enfermés pendant longtemps. Les Camerounais ne se connaissent pas, et perçoivent les autres sur la base des fantasmes et autres idées reçues conçues dans des officines politiciennes (manipulation des politiciens pour la conquête ou la conservation du pouvoir). Aussi, le comportement consumériste caractérise beaucoup d’Africains. Par exemple, vous avez des gens qui soutiennent ou trouvent normal qu’un Noir deviennent président aux USA ou en France (où ils vivent) et trouvent anormal qu’un Blanc ou un Allogène deviennent simplement maire à Douala ou à Yaoundé (d’où ils ont leurs origines). En clair, vous avez des gens qui paient leurs impôts ailleurs (pour la construction des autres pays) qui empêchent à ceux qui vivent et paient leurs impôts dans une ville au Cameroun d’y avoir un droit de regard ou un droit de gestion. Donc, vous payez vos impôts pour construire des biens publics et c’est quelqu’un d’autre qui gère. Venez m’expliquer! Je défends que seul un résident doit être maire. Je suis même contre le fait que les élites partent des villes pour aller être maires au village où ils ne paient pas leurs impôts.

Lorsque que je dis être contre les droits indus attachés à l’autochtonie au Cameroun, on me rappelle que c’est parce que je suis né Bamiléké. Et les mêmes vivent à Paris ou à Londres où les Allogènes sont maires. Jacques Chirac, célèbre maire de Paris, était autochtone de Paris? Je suis souvent d’avis avec ceux qui pensent que la diaspora africaine est consumériste et donc inutile pour le développement du continent. Pourquoi ? Parce qu’elle ne copie rien de bon dans les pays où elle vit pour rentrer développer le continent. Je ne comprends pas pourquoi ceux qui dirigent le pays et qui ont étudié à l’étranger comme nous, dans des systèmes où ils ont profité gracieusement des biens publics, ne reviennent pas reproduire ces systèmes qui marchent chez nous. J’ai eu l’occasion de dire à Biya en Suisse en 2010 que je ne voterai pas pour lui en 2011 parce que je ne comprenais pas pourquoi en 30-50 ans, il n’a pas fait du Cameroun une mini-Suisse qu’il adorait tant. Qu’est-ce qui lui manquait ? Lorsque je dis ça, certains me rappelle le panafricanisme comme si cela supposait que l’on vive en autarcie ! Les gens comme Essomba viendront me dire que cela ne correspond pas aux réalités camerounaises comme si les réalités que nous avons au Cameroun sont atypiques. Documentez-vous ! On appelle ça intelligence économique. Si nous courons aujourd’hui en Asie du Sud-Est, c’est parce que ces pays ont eu une politique d’intelligence économique puissante : ils ont volé le meilleur de l’Occident pour se construire en conservant les spécificités. C’est à cela que devrait servir notre diaspora ; une diaspora ouverte, et non cette diaspora fermée qui défend l’autochtonie au Cameroun.

Mes chers amis, nous avons le choix et c’est le droit individuel que je défends: ou nous voulons que Yaoundé soit comme Paris un jour, ou nous choisissons des politiques rétrogrades qui n’ont aucun avenir dans ce monde de plus en plus ouvert. Qui vous a dit que nos enfants choisiront même de demeurer Camerounais/Africains ? Vous devez savoir que vos enfants iront ailleurs et qu’ils ne devront pas être traités en fonction de leurs origines. Pour ce faire, cessez vous-mêmes de traiter les gens en fonction de leurs origines.

Je vous invite à suivre les politiciens avec discernement.
Bon dimanche !

  • Correspondance : Dr Louis- Marie Kakdeu
  • Camer .be