60 ANS APRES L’INDEPENDANCE   Le Mali sous la tempête des valeurs sacrifiées

60 ans ! Oui, le Mali a célébré le 60e anniversaire de son accession à l’indépendance hier mardi 22 septembre. Une République loin de la sagesse liée à cet âge. Loin de la maturité, elle est toujours hantée comme un jeune toxicomane ou qui souffre de toutes les addictions imaginables. On ne doit donc pas être surpris que le pays se porte plus mal aujourd’hui qu’à l’indépendance.

 

En soixante ans, qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans ce pays dont l’indépendance est encore virtuelle ? D’abord, pour mieux répondre à cette question, il faut rappeler que sur les 60 ans, le pays n’a réellement connu que 8 ans effectifs de gouvernance vertueuse avec une ambition clairement balisée par une vision dynamique et progressiste des défis à relever pour concrétiser sa souveraineté.

Les 52 autres années ont été marquées par une instabilité traduisant le manque de vision claire de son développement. Et force est de reconnaître que même si elle a beaucoup brillé par la répression des libertés fondamentales, la 2e République n’a rien à envier à l’ère démocratique (3e République) en termes d’espoir déçu, de désillusion. D’ailleurs le pays n’est jamais tombé si bas qu’avec des pseudos démocrates qui avaient pourtant juré de faire rapidement oublier au peuple «les 23 ans de dictature».

Qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans ce pays après 60 ans d’indépendance ? Sans doute que certains diront que notre mode de vie a changé. Et il est aussi vrai que le pays affiche une certaine modernité de façade qui, en réalité, cache l’échec de presque toutes nos stratégies économiques et les plans d’industrialisation depuis le 19 novembre 1968.

Peut-on être fier d’un pays moderne qui, comme ironisait souvent notre professeur d’économie à l’école de journalisme (Amady Aly Dieng, paix à son âme), ne sait même pas fabriquer une aiguille après 60 ans d’existence ? Un pays qui importe l’essentiel de ses produits de consommation pourtant issus en partie de la transformation des denrées produites et exportées à l’Etat brut. Une double perte pour l’économie nationale.

Concédons aux détracteurs de feu le Général Moussa Traoré (qui repose désormais au cimetière de Hamdallaye, comme Modibo Kéita, après son décès le 15 septembre 2020) que le coup d’Etat du 19 novembre 1968 et le régime mis en place par la suite ont freiné la dynamique industrielle enclenchée par la première République. Et pourtant, avec près de 30 ans d’exercice démocratique, aucun plan d’industrialisation n’a émergé pour permettre au pays de tirer profit de ses immenses richesses. Au contraire, les liquidations et les privatisations acceptées dans le cadre des Politiques d’ajustement structurel (PAS) semble avoir porté le coup fatal au secteur des industries et manufactures.

 

Un nouveau citoyen  en conflit avec les valeurs

Qu’est-ce qui a fondamentalement changé dans ce pays après 60 ans d’indépendance ? Nous répondons sans hésiter que c’est le Malien qui a le plus changé ! Et malheureusement, dans le mauvais sens…

Cupide, hypocrite, méchant, vicieux, fainéant, mafieux, voleur, hybride… Les qualificatifs pour qualifier le nouveau Malien issu de cette métamorphose ne cessent de s’enrichir. Et on en a cure parce que ces mots sonnent pour nous désormais comme des qualités puisque notre conscience est érodée par les maux qui rongent notre société. N’empêche que, par moment, ils suscitent souvent des réactions épidermiques, mais par vanité et non par orgueil ou par fierté.

Au fil des années, face à des difficultés qu’il s’est le plus souvent imposées à lui-même, le Malien a perdu toutes les valeurs qui le distinguaient un peu partout où il passait ou vivait. A commencer par la notion de citoyenneté ; la croyance aux vertus du travail ; persévérance dans l’effort pour réussir… Et même là aussi, la démocratie remporte la palme de la destruction de l’Homme Malien à cause de l’effritement de l’autorité de l’Etat. Celle-ci a été sacrifiée sur l’autel de la démagogie politicienne et du populisme. Comment un régime peut-il se faire respecter par des populations à qui il a menti pour conquérir le pouvoir ?

Comment un peuple peut faire confiance à un régime qui a toujours mis en avant la faiblesse des moyens de l’Etat pour faire face à ses préoccupations alors que lui-même et son clan de soutien sont en train de bâtir des ilots de prospérité dans cette océan de misère ? Le respect de l’autorité de l’Etat n’est pas lié à la répression, mais surtout au degré de confiance entre les dirigeants et les populations. Un régime qui refuse la justice au pauvre, à la veuve et à l’orphelin doit-il miser sur le respect et la confiance de son peuple ?

Le drame a été, qu’au lieu de se battre pour imposer une gouvernance vertueuse à nos dirigeants, le Malien a préféré s’en accommoder en développant des attitudes et des comportements qui ont davantage fragilisé les chances de développement du pays. Il a ainsi aidé le pouvoir politique à tuer l’excellence au profit de la médiocrité. Il a cultivé le gain facile à la place de la persévérance. La liste des maux et des tares engendrés par la démocratie est loin d’être exhaustive.

 

Changer individuellement pour éviter le péril collectif

La probité morale, l’intégrité professionnelle sont aujourd’hui des «défauts reprochés» patriotes qualifiés de loosers. Progressivement, la volonté de toujours privilégier les vertus sur les déviations est devenue une malédiction… Au finish, la République, la nation… a été sacrifiée pour les intérêts personnels. Tout le monde pense à lui-même, mais rarement au destin commun, au pays.

Et cela se répercute sur la vision politique de ces décideurs qui ne pensent qu’à ce qui est bien pour leurs carrières et leurs intérêts. Comme le dit Tata Pound, le Mali est devenu une société anonyme (Mon Pays SA) favorisant l’émergence d’une mafia politique disposée à brader toutes les richesses du pays contre de juteux pots de vins leur assurant leur postérité sur différentes générations.

C’est ainsi faire preuve d’une grande naïveté ou d’une cruelle hypocrisie que de faire semblant de ne pas savoir pourquoi ce pays est au bord du chaos depuis des décennies. En effet, que peut-on espérer d’un pays où «l’arrangement, l’enrichissement à tous prix, le mépris du savoir, le m’as-tu-vu…sont la règle ?», s’est interrogé l’ancien ministre et expert respecté de la décentralisation, Dr Ousmane Sy, dans l’un de ses nombreux twitts assez réfléchis sur la situation du Mali. Avec ce type de Malien qui a sacrifié les vertus et les valeurs au profit du vice et des crimes de tout genre, il est aisé de comprendre pourquoi la multiplication des ruptures n’a jamais abouti aux changements souhaités.

 

Le changement ne s’obtient pas avec une baguette magique

Adepte de la facilité, le Malien continue à croire que le changement se décrète dans les discours politiques et dans les débats de Grins. Le changement ne s’obtient pas avec une baguette magique. Chacun refuse de comprendre que ce changement doit d’abord germer en lui pour le contraindre à se débarrasser de tout ce qui compromet son propre épanouissement, le développement de sa communauté et de son pays.

Le changement n’est pérenne que lorsqu’il émerge de la base pour contraindre les élites à suivre le mouvement. Ainsi, par exemple, tant que le peuple malien ne se fixera pas un idéal, au lieu de suivre les hommes politiques, ceux-ci les mèneront toujours en bateau. C’est cet idéal qui lui permettra de dresser les critères d’un choix objectif pour la future gouvernance du pays.

Comme le disait Coumba Makalou Kéita (consultante internationale), «la démocratie est la voix du peuple, mais c’est aussi au peuple impliqué de définir les principes démocratiques qui sont conformes aux besoins de leur patrie. Nous ne devons pas suivre la France et son modèle nécessairement. Nous pouvons et devons créer et instaurer le modèle malien selon nos principes et besoins juste comme nos ancêtres l’ont fait avec la Charte de Kurukan Fuga en 1236».

Ce qui fait de ce qu’Ousmane Sy appelle «réarmement moral collectif» une urgence absolue pour éviter que le pays ne sombre pour de bon. Si nous voulons que la transition en gestation aboutisse à une vraie renaissance politique porteuse de la vraie indépendance et d’une démocratie conforme à nos aspirations et préoccupations, chacun doit accepter de se remettre en question et d’accepter de payer le prix du changement, quel que soit le sacrifice à consentir !

Moussa Bolly