22 Septembre 1960 – 22 Septembre 2016 Les vérités d’hier et d’aujourd’hui du fils aîné de feu Mahamane Alassane Haïdara

Dans cet entretien exclusif, El Hadji Baba Haïdara, fils ainé du premier Président de l’Assemblée nationale du Mali, feu Mahamane Alassane Haïdara, l’un des acteurs de l’indépendance du Mali, nous relate ce qu’il sait de cette lutte héroïque et nous donne sa vision de la situation actuelle du pays.
22 Septembre: Pouvez-vous vous présenter brièvement à nos lecteurs?
El Hadji Baba Haidara: Je suis El Hadji Baba Haidara, communément appelé Sandy. Ingénieur, chef d’entreprise et Vice-Président du parti UM RDA Faso Jigi, ancien député élu à Tombouctou de 2007 à 2013. Mon CV vous dira le reste.
On ne sait pas beaucoup que vous êtes le fils ainé du premier Président de l’Assemblée nationale du Mali, feu Mahamane Alassane Haidara. Avez-vous eu la chance d’échanger avec lui sur les péripéties de l’accession de notre pays à l’indépendance en 1960?
Comme vous le dites c’est un privilège que d’avoir côtoyé une personnalité comme Mahamane Alassane Haidara, qui a joué un rôle de premier plan dans le Mali nouveau. Il a été l’ami ou le compagnon de lutte de tous les grands hommes qui ont fondé le Mali. Son parcours exceptionnel lui a permis d’être, à un moment ou à un autre, avec tous les grands de ce monde, entre sa formation à l’école William Ponty de Gorée, sa carrière d’enseignant et sa rentrée en politique comme Sénateur du Soudan français de 1947 à 1960 et comme deuxième personnalité du Mali de l’indépendance au coup d’Etat militaire de 1968.
En tant que Député Maire de Tombouctou à une période, il a relevé l’image de cette ville, à tel point que tout le monde voulait la voir. Presque tous les chefs d’Etat qui ont visité le Mali ont séjourné à Tombouctou, et, par sa forte personnalité, le premier Conseil des ministres hors de Bamako s’est tenu à Tombouctou en 1965.
Il a été, pendant sa détention arbitraire de 7 ans dans les geôles de Kidal, l’Imam, le tailleur et le sage du groupe de ses camarades, détenus sans jugement par le régime du CMLN. Vous comprenez donc que l’ainé de ses garçons que je suis ait pu bénéficier, de l’année de sa libération en 1975 à son décès en 1981, de plusieurs confidences, directement ou indirectement, sur l’évolution du Mali avant et après l’indépendance.
Ce que je regrette aujourd’hui, c’est de n’avoir pas transcrit nos causeries ou ce que j’ai entendu, étant trop penché sur les maths et aussi parce que lui aussi n’a pas voulu écrire ses mémoires, pour rester fidèle à ses amitiés.
J’ai retenu particulièrement que la réussite de leur lutte était sous-tendue par leur profond attachement à leur pays, l’esprit d’amitié, de solidarité et de cohésion. «L’adversaire» français de l’époque les a formés à sa propre école, alors ils n’avaient pas de complexe vis-à-vis du colon blanc pour dénoncer et revendiquer.
Les conditions inhumaines des peuples colonisés ne pouvaient pas les laisser indifférents, des peuples toujours soumis. Alors, les nombreux cadres africains en France et en Angleterre se sont retrouvés pour la création des mouvements de décolonisation.
Au-delà de ce que votre feu père vous a raconté, est-ce que vous pouvez nous parler de la lutte héroïque de l’US RDA, à travers ce que vous avez entendu ça et là ou à partir de vos connaissances livresques?
Comme vous certainement j’ai beaucoup lu, mais j’ai surtout beaucoup écouté, mon père ou d’autres personnalités du RDA, même au cours des rencontres organisées au sein de notre parti. Chaque occasion d’échanges est une séance de leçons et de rappel des actions de leurs combats contre le colonisateur et pour l’édification de la nation malienne, jusqu’à présent.
N’oubliez pas que le parti RDA est le plus ancien du pays et le seul, avec le PSP, qui peut dire qu’il a une histoire, des repères et des références. Malgré la jeune moyenne d’âge des membres du notre Bureau politique national, qui est inférieure à celle de plusieurs partis au Mali, contrairement à notre réputation erronée de «parti des vieux». Nos sages, dont nous sommes fiers, qui nous transmettent les valeurs morales des hommes du RDA et les idéaux dont le Mali a besoin aujourd’hui pour faire face à ses nombreux défis.
Leurs idéaux et leurs visions étaient tellement nobles que rien ne pouvait les dévier du sacrifice ultime pour faire le Mali et l’Afrique. C’est pour cela que la Constitution du Mali rappelle que le Mali est prêt à sacrifier une partie de sa souveraineté pour faire l’unité de l’Afrique.
Les démarches pour l’indépendance, les regroupements inter Etats animés et engagés par les cadres de l’US RDA ont été combattus avec force par des adversaires qui ne voulaient pas de ces regroupements. Ces forces hostiles ont eu raison de leur noble ambition de faire un Etat africain, mais la création de l’OUA et l’indépendance du Mali sont des victoires indéniables, à mettre à leur crédit.
En novembre 1968, date du coup d’Etat, et avec le recul d’aujourd’hui, ne pensez-vous pas que l’US RDA a trahi le peuple, qui, selon le livre «Le Mali sous Moussa Traoré», avait faim et soif, avec un grand besoin de libertés fondamentales, ce qui justifiait, selon les auteurs de cet ouvrage, le putsch du 19 novembre?
La formulation de la question est un peu tendancieuse. Il fallait bien que les militaires de 1968 trouvent une raison de justifier leur forfait. Ne dit-on pas «qui veut tuer son chien l’accuse de la rage?». Les auteurs du livre dont vous parlez ne sont pas les auteurs du coup d’Etat (que sont-ils devenus?) mais des militants de l’UDPM, et on connait la suite réservée par le peuple malien à la gestion chaotique du Mali par l’auteur du coup d’Etat mué en démocrate.
Il est important de savoir que l’exemple de la gestion du Mali par l’US RDA et la réussite du projet politique, économique et socioculturel de ses dirigeants, en seulement 8 ans, ne devait pas faire tache d’huile. Il fallait alors l’arrêter par tous les moyens et nos pauvres soldats ont été manipulés. Sans vision ni projet, ils ont arrêté l’évolution du pays.
Les héritiers de l’US RDA sont divisés, partagés entre différentes formations politiques. Certains laissent même entendre qu’ils se détestent. C’est pourquoi ce vieux parti a perdu la présidentielle de 1992. Depuis, la désillusion continue. L’US RDA appartient-elle désormais au passé et non au présent?
Les mots que vous utilisez sont trop forts. Nous ne sommes pas divisés. Nous nous aimons entre nous car tout nous unit dans cette famille RDA. Au moment de la reprise de nos activités, en 1991, qui a coïncidé avec le multipartisme intégral au Mali, il n’y avait pas de leader charismatique pour regrouper nos responsables.
C’est ainsi que plusieurs cadres du parti, dans l’esprit RDA, pensaient être les mieux dotés de la meilleure vision pour appliquer les idéaux communs à nous tous. Ils ont alors créé et animé leurs propres partis politiques.
N’est-ce pas d’ailleurs le comportement dans toute grande famille quand il s’agit d’héritage? Sachez que, malgré les péripéties, nous restons tous attachés à une éducation dans la vision de ce qui nous reste en commun: les nobles idéaux pour le Mali.
Il s’agit d’idéaux basés sur l’intégrité, l’amour de la patrie, le respect du bien public, le don de soi jusqu’au sacrifice ultime pour le Mali. En somme, tout ce dont le Mali a besoin aujourd’hui pour son unité, pour gagner le combat contre la corruption, la peur et le détournement des deniers publics.
L’UM RDA, qui est l’US RDA, parce que nous évoluons et que le Mali n’est plus le Soudan français, reste plus ancrée dans le présent, et notre devise «Respectueuse du passé et confiante en l’avenir» prouve à suffisance notre vision pour des lendemains radieux pour notre pays et notre parti, malgré les difficultés et les obstacles. Donc, nous ne sommes pas un parti du passé, mais bien le parti de l’avenir du Mali.
Avez-vous une stratégie pour tenter de faire revivre l’US RDA, devenue l’UM RDA, qui est aujourd’hui invisible et inaudible sur les grandes questions de la Nation?
Une famille nombreuse dont les enfants ont eu une éducation commune, avec des objectifs clairs et nobles, n’a d’autre choix que de se retrouver, quels que soient les éléments de désaccord qui ont pu un jour les éloigner.
N’oubliez pas que nous avons aussi été victimes de manipulations externes de grands acteurs politiques, qui ont eu peur et qui continent d’avoir peur de nous et de ce que nous représentons comme force politique dans ce pays.
Réunifier et regrouper les enfants qui ont reçu la même éducation est notre objectif, qui parait long et difficile à réaliser. Mais, amorcées depuis 2011, ces retrouvailles sont en cours et les actions engagées porteront certainement, et très bientôt, leurs fruits.
Nous ne dévoilons pas notre stratégie, mais je peux vous assurer que l’UM RDA vivra et reprendra sa place de parti leader. Ce parti est un parti des masses et nous connaissons les préoccupations des Maliens, leurs mentalités et leurs désirs, pour apporter des améliorations à leurs conditions de vie.
L’exemple du désenclavement du pays est une priorité qui permet aux citoyens de comprendre que l’Etat se soucie de leur condition en leur permettant de se déplacer et de commercer aisément.
Nous ne sommes pas inaudibles, car nous respectons nos engagements et la discipline de notre parti, qui soutient Ibrahim Boubacar Kéita (qui a été éduqué et formé dans les mêmes idéaux que nous) et se reconnait dans les actions du Président de la République à l’intérieur de la majorité présidentielle, à l’Assemblée Nationale et à la CNP, où nous partageons et débattons des sujets qui nous sont soumis.
N’oubliez pas que le Centenaire du Président Modibo Keita, fêté avec dignité, est une idée de l’UM RDA, proposée au Président de la République, qui l’a acceptée et en a fait un événement national. C’est pour nous une reconnaissance de la Nation et son engagement à réhabiliter tous les Pères de l’Indépendance du Mali à travers leur leader, une victoire de haute portée politique pour notre parti.
Actualité oblige, votre épouse, Mme Haidara Aissata Cissé, communément appelée Chato, députée élue à Bourem, est très engagée dans les questions relatives à la crise du Nord du Mali. Vous-même avez présidé en 2012, à l’Assemblée nationale, une Commission ad hoc sur les mêmes questions. Quelle est aujourd’hui votre lecture de la situation?
Nous étions députés ensemble de 2007 à 2013 et notre mandat de représentants de nos populations nous obligeait au sacrifice pour le pays. Nous nous sommes engagés sur tous les fronts et sans retenue.
J’étais Président de la cellule de crise de l’Assemblée Nationale pour le Nord. A ce titre nous avons demandé aux jeunes du MNLA de ne pas engager le Mali dans une rébellion sans issue et de ne pas parler sans mandat au nom de toutes les populations du Nord du Mali.
Nous avons aussi alerté les autorités d’alors du danger qui menaçait le Mali. Nous n’avons pas été écoutés et la suite est connue: le Mali est à la recherche de la paix, qui parait encore éloignée, aujourd’hui.
Notre lecture de la situation va de l’analyse historique du Sénateur Haidara du RDA sur la création des Etats Riverains du Sahara depuis 1956, de la gestion de la première rébellion de 1963 par l’US RDA et de ce que nous savons de notre terroir et de nos populations.
Aujourd’hui, pour la paix. Il faut que l’Etat dénonce les nombreux ennemis de la paix et tous ceux qui n’ont pas intérêt à ce que le Mali soit en paix, que ce soient des individus, des organisations ou des groupes, afin de travailler avec des hommes sincères, sans agendas parallèles.
Entretien réalisé par Chahana Takiou

22 Septembre 1960 – 22 Septembre 2016
Des Bamakois se prononcent 56 ans après l’Indépendance du Mali
Ousmane Koné, 5ème Dan maître Taekwondo
«Le Mali a connu des hauts et des bas»
Je suis de la génération de l’après indépendance et je peux me vanter d’avoir vu de mes propres yeux les cinq Présidents élus. Pour moi, chacun de ces Présidents a régné à des époques différentes et dans des contextes différents. Nous, on était encore enfants du temps de Modibo, mais nos parents nous ont toujours conté que c’était la belle époque. Tout était moins cher. Etre Malien était synonyme d’une fierté a nulle autre égale au regard de l’histoire même du pays et de la personnalité qu’incarnait le Président Modibo Keita. Les autres Présidents n’ont pas son audience. Aujourd’hui, nous vivons une situation très difficile. Peut être que le Père de notre indépendance l’aurait mieux gérée la crise. Le Mali a connu des hauts et des bas moments, mais jamais ce pays n’est tombé à terre. D’après nos parents cela est dû aux nombreuses bénédictions de notre terre et aux grandes personnes qui y sont enterrées.
Fatogoman Diakité, guérisseur traditionnel
«Le néo-colonialisme nous a fait plus de mal que le colonialisme»
De l’indépendance à nos jours, on a connu cinq Présidents. Visiblement le pays a changé de visage et les hommes aussi ont changé. C’est malheureux, mais on se rend de plus en plus compte que le néocolonialisme nous a fait beaucoup plus de mal que le colonialisme. Nous avons perdu toutes nos valeurs morales et intellectuelles. Seul le premier Président a fait des choses pour la préservation de nos mœurs. Aujourd’hui, on n’éduque plus les enfants, ils sont laissés pour compte et s’adonnent à toutes sortes de bêtises. Le constat est patent, les promesses de l’indépendance ont été bien déçues. Il nous faut travailler à reformater l’homme malien, pour amorcer un développement au vrai sens du terme. Le processus de la démocratisation a détruit plus qu’il n’a construit ce pays. Les nouvelles technologies en a apporté leur touche, et nous les suivons comme un enfant suit sa maman. Il faut alphabétiser nos enfants dans nos langues, les éduquer, dans ces langues et poursuivre en émettant notre propre monnaie, sans quoi nous continuerons à faire semblant, mais nous ne nous développerons jamais.
Abdoulaye Diarra, Chef de poste de sécurité
«Le Mali d’hier était mieux que le Mali d’aujourd’hui»
Le moins qu’on puisse dire, c’est que le Mali d’hier était mieux que le Mali d’aujourd’hui. Notre pays est aujourd’hui géré par des étrangers, les responsables politiques ne disent plus la vérité. Ils font des promesses sans parvenir à les tenir. Ceux du temps de l’Indépendance étaient de braves hommes qui avaient aussi l’attitude de vrais hommes. Ils n’avaient pas peur des Blancs, contrairement à ceux d’aujourd’hui. L’honnêteté, la sagesse, le respect de la parole donnée étaient le crédo d’un bon dirigeant aux temps de l’Indépendance. Tout ne peut pas être mauvais chez quelqu’un. Mais la cause pour laquelle la personne a été choisie ne doit pas se terminer en queue de poisson. Tout cela a échoué chez nos dirigeants actuels. La région de Kidal qui avait été toujours un territoire malien, nettement accessible, ne nous appartient pas aujourd’hui, cela constitue une honte nationale et internationale. Parlant de la démocratie, notre pays n’a pas encore atteint ce stade, car les Maliens ne savent pas ce que c’est. Plus de respect entre jeunes et vieux. La politique, une pure réalité, s’est transformée en mensonge et détruit le pays.
Gatta Soumaoro, artiste musicien
«Nous sommes seulement nourris d’espoirs»
Il y a des choses qui ont avancé et beaucoup d’autres qui n’ont pas encore marché. Dans le domaine de l’emploi, par exemple, si l’on prend 100 jeunes sortants de l’université, il n’y en a que 4 ou 5 qui ont de l’emploi pérenne et le reste est soumis au chômage. Un autre problème c’est qu’on constate de nombreux changements au sein du gouvernement. Ses membres ne font que profiter des biens du peuple, pour s’enrichir. Seule une poignée d’individus vit dans l’opulence, tandis que la majorité manque du nécessaire pour vivre. Actuellement, nous sommes seulement nourris d’espoir, il n’y a pas rien de concret. De l’Indépendance à nos jours, l’évolution économique a disparu. Sa courbe d’évolution est retournée en arrière. A la veille de l’Indépendance, tout le peuple était engagé à travailler, mais aujourd’hui on constate que tout le monde a été déçu.
Oumou Coulibaly, ménagère
«On a souvent honte de se dire Malien»
S’agissant de l’éducation, elle n’est pas comparable à celle du temps de l’Indépendance. Il n’y a plus de respect. Les enfants ne respectent plus les vieilles personnes, aussi bien à la maison que dans les rues. Ils sont tous sans vergogne. On a même souvent honte de se dire Malien. L’autosuffisance alimentaire n’est plus assurée, la vie coûte cher.
Madou Coulibaly, revendeur de fer
«C’est le régime de Moussa Traoré qui m’a le plus profité »
J’ai vécu le temps de Modibo Keita jusqu’à sa chute. Je suis venu à Bamako en 1963. J’ai vu tous les régimes présidentiels au Mali et je peux dire un peu sur tout. Parmi tous ces régimes, c’est celui du Général Moussa Traoré qui m’a le plus profité. Car la source de mon argent date du temps de Moussa Traoré. Actuellement, on souffre de beaucoup de choses, telles que les effets du déguerpissement des artères publiques. Cela a été un bon travail, mais il fallait tenir compte de l’opportunité du moment. Quant à la démocratie, elle est mal comprise par le peuple malien.
Abdoulaye Kanté, employé de commerce
«Après l’indépendance, le parcours du Mali n’a été que trahison»
Après les heures de l’Indépendance, le parcours du Mali n’a été que trahison. De cette époque jusqu’à maintenant, rien n’a évolué, rien n’a été résolu comme problème. Le pays constitue lui-même son propre ennemi. Les dirigeants n’aiment pas leur pays, car ils ne songent qu’à eux seuls et à leurs familles. Ils ne disent plus la vérité. Au temps de l’Indépendance, la dignité n’était pas bafouée chez les responsables. On tenait les promesses données et le respect, la dignité et la sagesse étaient le crédo de la gouvernance du pays. Maintenant, c’est le laisser-faire, le laisser-aller, tant au niveau du bas peuple que du côté des dirigeants. Les responsables actuels pensent que tout leur est permis. Ils n’agissent pas en intellectuels pour construire le pays, ils agissent pour le détruire. Le déguerpissement des artères publiques a encore compliqué la situation, la pauvreté règne partout.
Propos recueillis par Adama Bamba et Mohamed Naman Keita

Le CMC au Port Autonome de Nouakchott dit «Port de l’amitié»
Succès d’une mission exploratoire
Une forte délégation du Conseil malien des chargeurs (CMC), conduite par son Président, Ousmane Babalaye Daou, a séjourné du 5 au 8 septembre 2016 à Nouakchott pour explorer les potentialités du Port Autonome de Nouakchott, communément appelé «Port de l’amitié». Il s’agit de l’amitié entre la Mauritanie et la Chine, qui a construit les grands ouvrages du Port. Au regard des échanges, des rencontres B to B et surtout des engagements de la partie mauritanienne, on peut affirmer que la mission exploratoire a été un grand succès.
Arrivés à Nouakchott aux environs de 19 h le lundi 5 septembre, Ousmane Babalaye Daou et sa délégation ont été accueillis avec faste et conduits dans le salon d’honneur de l’aéroport international Oum Tounsi de Nouakchott. Quelques instants après, l’impressionnant cortège d’une vingtaine de véhicules démarre en cascade.
Tout le long du parcours, il y a une véritable zone aéroportuaire, avec des routes bien faites et un éclairage public bien établi. Sans aucun domicile ni parc, encore moins un champ ou un verger. Ce qui est visible, ce sont bien les arbres, qui peinent à pousser dans une zone très aride.
Quarante-cinq minutes plus tard, le cortège s’immobilise devant l’hôtel Azalaï Marhaba de notre compatriote Moussadeck Bally, situé sur l’avenue Jamal Abdel Nasser, au cœur de la ville. A 21h, les responsables du Port Autonome de Nouakchott, dit «Port de l’amitié» (PANPA) invitent la délégation à un diner dans les jardins de l’hôtel.
Le DG du PANPA, Hassena Ould Ely, souhaite la bienvenue à ses hôtes. Ousmane Babalaye Daou lui rend la politesse pour l’accueil fraternel et chaleureux dont lui et sa suite ont fait l’objet. Place aux trois moments du repas: entrée, plat de résistance et dessert. Le rideau de la journée se referme sur cette soirée.
Le lendemain, la cérémonie est officiellement ouverte dans la salle de conférence de l’hôtel. Trois interventions ponctuent cette séance: celles du Président de l’Union nationale du patronat mauritanien (UNPM), du DG du PANPA et de Maley Dafanga, Chargé de mission au ministère de l’Equipement, des Transports et du désenclavement du Mali et chef de la délégation malienne.
Ce dernier explique clairement aux Mauritaniens que les opérateurs économiques maliens veulent faire du PANPA la principale porte d’entrée des marchandises maliennes, en mettant l’accent sur les questions de célérité, la possibilité de dépotage des conteneurs et le suivi électronique des véhicules de transport des marchandises. Aussi invite t-il les participants à être concrets et pragmatiques car, dira-t-il, «quand l’offre est attractive, la demande ne se fait pas attendre».
Le deuxième intervenant, très éloquent et engagé visiblement à rentabiliser le PANPA, demande aux opérateurs économiques maliens et mauritaniens de se donner la main, dans un esprit de partenariat gagnant – gagnant. Pour lui, chaque partie doit gagner de l’argent, doit pouvoir faire des business.
C’est pourquoi il ne cessera d’insister sur la mise en valeur des intelligences pour mobiliser les opérateurs économiques maliens en direction du Port Autonome de Nouakchott. Convaincu que son pays doit revoir ses textes réglementaires et législatifs pour attirer davantage les Maliens, le DG du PANPA évitera la langue de bois et soulèvera la problématique du développement des transports terrestres, de la manutention et de la gestion des conteneurs ainsi que de la gestion des parkings des véhicules de transport de marchandises.
Le patron des patrons mauritaniens plaidera pour une coopération plus étroite entre les deux pays et un partenariat accru pour développer l’axe Nouakchott – Bamako.
Les travaux de la journée se poursuivront à travers des communications faites par la partie malienne. Le Secrétaire général du CMC, Alkeïdi Amar Touré, développera les difficultés que les opérateurs économiques maliens rencontrent sur le corridor Nouakchott – Bamako et leurs attentes en vue d’améliorer la situation.
Ensuite, Boubacar Bah, Directeur commercial de la CMDT, mettra en exergue les atouts de sa société et relèvera avec force et rigueur les conditions de la CMDT pour qu’elle puisse éventuellement utiliser le Port de Nouakchott.
Enfin, le PDG d’Ebémi, le système malien de suivi électronique des véhicules de transport des marchandises, Abdoulaye Dicko expliquera brillamment le contexte dans lequel le tracking des véhicules des marchandises a été mis en place par de jeunes maliens. Un système, il faut le préciser, primé par la Banque Mondiale en raison de son efficacité.
Dans l’après-midi, place aux rencontres B to B entre opérateurs économiques maliens et mauritaniens, suivies souvent de visites de terrain. Les importateurs en agroalimentaire (SODIMA, GDCM, SODRAF…), en engrais (Société Toguna), les importateurs en groupe (Madiou Simpara, Hamidou Cissé, Boubacar Niang) et les transporteurs multiplieront les échanges fructueux.
Le mercredi 7 septembre, la délégation se rend au Port de Nouakchott pour une visité guidée. Un grand port, vide. Sans aucune activité. Aucun bateau ne s’y trouvait au moment de notre passage. Pas la moindre activité de chargement, de déchargement, de dépotage, de transport, rien de tout cela. C’est un lieu apparemment sécurisé, situé à 15 km du centre ville. C’est aussi un terrain vierge pour les Maliens, qui veulent y travailler sérieusement, avec beaucoup de facilités et à un coût moins élevé que dans les autres Ports.
Les magasins de stockage existent. Les Entrepôts Maliens en Mauritanie (EMM), visités par la délégation, en possèdent deux, d’une capacité chacun de 50 000 tonnes. Sans compter les autres magasins disponibles. Il semble également que 4 000 dockers soient inscrits au Port de Nouakchott, parmi lesquels de nombreux Maliens venus de Nioro du Sahel et environs.
Après cette balade, la délégation rendra une visite de courtoisie au ministre des Transports mauritanien. Les difficultés du corridor Nouakchott – Bamako seront au menu des entretiens. Des engagements seront pris pour lever les goulots d’étranglement.
Retour à l’hôtel pour la cérémonie de clôture. On retient deux volets de recommandations: le cadre institutionnel et les difficultés administratives et douanières.
Ainsi, la douane s’engagera à assurer aux opérateurs économiques maliens que les formalités douanières seront remplies avant l’arrivée du bateau, en vue du transit des marchandises dans les 24 heures et à la fixation des frais d’escorte de façon forfaitaire avec les opérateurs économiques maliens.
Le PANPA s’engagera à mettre à la disposition du Mali un terrain pour le dépotage et le patronat mauritanien s’engagera à participer à la mise en œuvre du terrain, si besoin en était.
En outre, il sera convenu de la mise en place d’un organe chargé de gérer les difficultés relatives au corridor entre les deux pays. Le même organe aura en charge le suivi et l’évaluation des engagements pris. Il sera composé de Mauritaniens et de Maliens, de part et d’autre de la frontière. Des points focaux ont également été désignés dans les deux pays, afin de rendre opérationnel le partenariat gagnant – gagnant.
Cerise sur le gâteau, le séjour se terminera par une soirée artistique et culturelle, sous forme d’un dîner de gala agrémenté de prestations de nombreux artistes locaux.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mission exploratoire a été un franc succès. Il reste maintenant à la concrétiser sur le terrain. N’est-ce pas là une autre paire de manches? Le Sénégal et la Côte d’Ivoire croiseront-ils les bras en voyant les Maliens abandonner doucement leurs ports pour une autre destination?
Chahana Takiou