17 mars 1980- 17 mars 2011 : Abdoul Karim Camara Cabral symbole de l’unité des forces progressistes

En ce début de l’année scolaire 1979-1980, l’union nationale des élèves et étudiants du Mali (UNEEM) a concocté un mémorandum qu’elle s’apprête à défendre au prix des blessures corporelles, des emprisonnements et déportations dans l’enfer de Taoudénit, Boureissa ; au péril des vies humaines notamment celles de Ibrahim Tiocary et de Cabral.

Après la marche historique du 16 novembre 1979 suivie d’une répression féroce de la soldatesque du régime de l’Union « Démocratique » du Peuple Malien (UDPM) dirigé par Moussa Traoré, la chasse aux « meneurs » après fermeture des écoles et lycées sera couronné tristement par l’appel sous les drapeaux avec le secret espoir de mettre le grappin sur tous ceux qui n’étaient pas tombés entre les mains des forces militaires et policières du pouvoir. L’année 1979 se termine par l’échec de l’opération d’intimidation, suite à la désobéissance des élèves et étudiants qui ne voulaient en aucun cas répondre à cette injonction qui ressemblait plus à un aveu d’échec de l’étouffement du mouvement qui n’a pas arrêté de se développer dans la clandestinité. C’est ainsi que dans son discours de vœux 1980, Moussa Traoré annoncera la réouverture des écoles et lycées. Le 15 janvier 1980 le secrétaire politique du parti unique, Sory Coulibaly, lors du congrès de l’UNJM annonce la dissolution de l’UNEEM dont les comités devaient être commués en structures de l’Union Nationale des Jeunes du Mali (UNJM). On n’est pas à une provocation près ! L’histoire de l’organisation estudiantine connaîtra à partir de cette date un tournant décisif.

Désormais, contraint à la clandestinité du fait de l’illégalité de ses actions imposées par le pouvoir de Moussa Traoré et son système, l’UNEEM tentera d’imposer son existence à travers des faits qui ont marqué le cours de l’Histoire du Mali.

Suite à cette dissolution théorique, des manifestations seront organisées à travers les lycées et écoles du pays. Elles seront toutes réprimées violemment : à Ségou ; au lycée de Badala des militaires et policiers vont sévir comme sur un champ de guerre contre des élèves aux mains nues, dont le seul crime était d’avoir organisé des meetings.

C’est dans ce climat délétère que l’UNEEM tiendra son congrès clandestin sur la colline au Lycée de Badalabougou, un jour de février 1980. Cette instance qui, en plus des autres points inscrits à l’ordre du jour, devait élire le successeur de Tiébilé Dramé en fin de mandat, qui n’était plus étudiant depuis peu, portera au Secrétariat général Abdoul Karim Camara dit Cabral avec comme adjoint Harouna Barry, tous issus de l’ADENSUP.

Votre humble serviteur a été un participant assidu de ce congrès qui a duré une journée. La déclaration politique a été rédigée au sein d’une commission dont Cabral et moi étions membre. Ce jour de février 1980 déjà, Cabral insistait pour que l’on mentionne la condamnation de l’occupation scandaleuse de la base cubaine de Guantanamo par l’impérialisme américain. D’autres faits marquants révéleront cette précocité dans le militantisme de celui qui, parmi ceux de sa génération, symbolise mieux que quiconque la lutte des élèves et étudiants pour la liberté et la justice au Mali.

L’exercice du mandat de Cabral, en tant que Secrétaire général de l’UNEEM, ne va durer qu’un seul mois presque jour pour jour. En effet, au sortir du congrès de Badala, le mot d’ordre de résistance à la pression gouvernementale, visant à dissoudre dans les faits leur organisation a été diffusé auprès de tous les élèves et étudiants. Ce qui engendrera des manifestations et des grèves à répétition partout sur le territoire national. Prétextant le caractère « dilatoire » des propos et la diffusion de messages « révolutionnaires » lors d’une conférence tenue dans l’Amphithéâtre de l’ENSUP, plusieurs enseignants dont Tiébilé Dramé, Victor SY, Doucouré dit V zéro seront interpellés au Camp para où officiait à l’époque un certain ATT. Ils seront suivis plus tard par des dirigeants de la section V du SNEC : Dioncounda Traoré, Kaourou Doucouré, etc.

Les militants de l’UNEEM choisiront le 9 mars, date de la tenue du 1er sommet des états riverains de la bande sahélo-saharienne à Bamako pour paralyser complètement la Capitale. C’est en catimini que les délégations arrivées en sont reparties. Pour Moussa Traoré et son parti unique, cette humiliation ne peut être tolérée. La radicalisation de la chasse contre les responsables de l’UNEEM et leurs soutiens (militants et démocrates) pour la plupart des enseignants se renforcera et la répression deviendra encore plus féroce. Mars 1980 verra des dizaines d’élèves, étudiants,  enseignants et autres travailleurs déportés pour la plupart au nord dans le Sahara malien, dans les bagnes de Kidal, Taoudénit, Boureissa etc. Plusieurs vivent encore avec les séquelles de cette triste période. La réconciliation nationale ? Qu’en pensent-ils ? Leur a-t-on demandé quoi que ce soit ?

Dans la chasse aux meneurs de l’UNEEM, la soldatesque de Moussa Traoré va user de tous les subterfuges pour capturer Cabral. Après l’avoir mis au registre de la mort, on lui fera lire un communiqué qui se termine par cette phrase méconnue de Cabral : « la lutte est terminée ».

A ce moment-là, nous avons compris que c’est la fin d’une vie remplie, écourtée par ceux qui croyaient que leur pouvoir était éternel.

Et pourtant, dès que la nouvelle de la mort de Cabral fut connue, les élèves et étudiants iront déferler dans les rues de Bamako, risquant même de prendre d’assaut la Primature actuelle, siège à l’époque de l’UDPM. Fait que l’on ne sait pas ou que l’on ne dit assez : durant 2 jours il n’y avait pas de gouvernement au Mali. Le pouvoir avait rué dans les brancards. Toutefois, le dixième des conditions d’organisations de la société civile et politique que l’on a connu en mars 1991 n’étaient réunies. Nos aînées de l’époque avaient disparu les 17 et 18 mars 1980 des arènes de la lutte populaire. Tout comme ils s’étaient tapis dans l’ombre au démarrage de la création des associations politiques et corporatistes en 1991. Les plus courageux d’entre eux, actifs et entreprenants, étaient embastillés au nord. Les autres, pourtant très nombreux à fréquenter les allées des conférences débats à l’ENSUP étaient dans leur salon climatisé en train de siroter leur thé. Les élèves et étudiants n’avaient pas été accompagnés par les autres forces populaires. Quand nous avons défié le régime et qu’il a été désemparé, il suffisait d’une « chiquenaude » pour que l’Histoire de ce pays bascule.

Que serait-il advenu si 10 ans avant 1991, les travailleurs hommes et femmes, ouvriers, médecins, ingénieurs, archéologues, historiens, tous avaient pris leur responsabilité ?

Les militants de la première heure de l’avènement de la démocratie au Mali ont tord de « se la jouer » modestes et humbles. Car souvent, il faut montrer publiquement certains faits sinon l’on feint  de n’avoir jamais connu l’existence. Pire, dans ce pays certains semblent être atteints par la maladie d’Alzheimer au point que les bourreaux et leurs complices d’hier ainsi que leurs fils aujourd’hui viennent oser des leçons de justice à ceux qui ont consacré leur vie à la lutte pour créer les conditions d’égal accès de tous les Maliens au bien-être social. Ils se permettent de dénier la liberté  à ceux qui n’ont cédé ni aux chantages et ni aux brimades pour que soit conquis la libre expression et la libre organisation.

Pour que la jeunesse s’approprie son avenir, aidons-la à connaître puis respecter le passé et aussi le présent.

Un vibrant hommage à Feu Abdoul Karim Camara Cabral, Dramé Kadidia Bocoum, Keïta Oumou Diarra, Diocély Koné ; ces camarades débout qui se sont couchés ; d’où ils sont nous recevons cinq sur cinq les consignes de la résistance. Que leur âme repose en paix !

Salutations aux camarades : Oumar Diakité dit  Saharoui, Mamadou Bâ de l’ENI, Mohamed Tabouré et autres anonymes qui se tiennent à l’écart aujourd’hui, car abasourdis par la foire d’empoigne des militants de la 25ème heure et leurs acolytes (anciens camarades pourtant) retournés dans la restauration d’un système corrompu, qui ne respectent rien, même pas la mémoire des martyrs comme Cabral.

Mérite et remerciements à : Tiébilé Dramé, Dioncounda Traoré, Kaourou Doucouré, Victor Sy, V zéro pour avoir enduré les souffrances des bagnes du Sahara malien. Et leur dire que les cadets sont là pour rappeler les faits de gloire des aînés ; au moment où s’estompent les mémoires et que des esprits tordus tentent de les salir. « Seigneur pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ». Cabral aurait crié à votre endroit : la lutte continue !

Reconnaissance à : Maître Amidou Diabaté, Professeur Drissa Diakité, Cheick Oumar Sissoko, Pr Yoro Diakité, Karounga Keïta Jacques qui depuis Paris jusqu’à Bamako n’ont jamais cessé de croire à une révolution nationale démocratique et populaire ; le fameux RNDP. Cabral vous aurait qualifié d’artisans et créatifs de la Politique.

Encouragements et appuis à: Djiguiba Keïta PPR, Oumar Mariko, Pérignaman Sylla et autres. Vous devez continuer à sillonner le monde et l’Afrique, comme en 1980, pour porter le message du peuple malien qui prépare le grand sursaut patriotique. L’heure de notre contribution à la réalisation du grand dessein tant clamé dans nos salles de conférences bondées a sonné.

Tous ensembles souvenons-nous ces années, où nous avons partagé des convictions qui ont permis de réaliser le Mali d’aujourd’hui. Tous, aujourd’hui occupons des postes de responsabilités politiques susceptibles de favoriser un changement formidable dans ce pays. La condition demeure la mise en synergie de nos forces, qui permettra de poursuivre, sans aucun doute, le combat de Cabral. Disons-nous que: « la lutte n’est jamais terminée, avant la victoire »!  

Cissé, Paris

Le Républicain 18/03/2011