ZONE FRANC CFA Polémique autour de la coopération monétaire avec la France

Pour ce spécialiste en sciences politiques, l’histoire du franc CFA est très liée à l’occupation coloniale. Pendant cette période, nous explique Adama Coulibaly, c’était d’abord le franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA). Celui-ci donnera naissance, avec les indépendances, au franc de la Communauté Financière Africaine, constituant ainsi la monnaie de plusieurs pays d’Afrique. « S’il y a un bénéfice que les pays africains ont tiré de cette coopération monétaire, c’est bien l’acquisition d’une expertise en matière de gestion d’une monnaie communautaire. Toute chose qui doit nous conduire vers la création d’un espace monétaire propre », analyse M. Adama Coulibaly. Pour ce politologue, la monnaie franc CFA, qui est arrimée à l’Euro, reste garantie par le Trésor public français.  De ce fait, la zone franc CFA est non seulement un espace monétaire, mais aussi un espace économique. En clair, la politique monétaire de nos pays est définie en accord avec la Banque de France. « La dépendance économique est donc claire », conclue notre interlocuteur.

 

Pieds et mains liés depuis 40 ans

 

Pour un Etat, argue-t-il, la monnaie représente un symbole de souveraineté. « L’autorité monétaire de nos pays, ajoute M. Coulibaly, la Banque Centrale, doit élaborer en toute indépendance la politique monétaire afin d’atteindre les objectifs de la politique économique notamment la croissance économique et la création d’emploi ». Les Pays africains doivent garantir leur propre monnaie pour bâtir une économie soutenue », recommande Adama Coulibaly.

Faut-il se réjouir de ces 40 années de coopération ? Sur la question les économistes sont sceptiques. Pour Dr. Etienne Oumar Sissoko, l’enjeu est de sortir de cette dépendance.  « Se réjouir de la coopération France-Afrique sur la question du CFA, serait donné un semblant de justification et une nécessité de poursuivre cette coopération. Ce serait surtout de reconnaitre que le CFA contribue au développement de l’Afrique », tranche Dr. Sissoko, professeur d’économie et de mathématiques appliquées à la gestion à l’université « Sup Management » de Bamako. Pour lui, les 10 pays, sur les 15, qui utilisent le CFA font partis des 10 derniers du classement africain en fonction de l’IDH (indice de développement urbain). Ceci, argue-t-il, donne une réponse à cette question.

Faut-il alors désespérer de cette coopération ? Pour l’économiste, la réponse est « oui ». Pour lui, les arguments misent en avant pour défendre le CFA ne tiennent pas. « Ils s’appuient sur la convertibilité avec les monnaies des autres pays africains et avec l’euro, assurée par la France. Toutefois, cet atout comporte un inconvénient de taille : il favorise les évasions fiscales et la fuite des capitaux. Et joue de ce fait sur l’investissement. C’est pourtant avec l’investissement productif que l’on peut amorcer un véritable processus de développement », analyse Dr. Etienne Oumar Sissoko.

Le Franc CFA permettrait de lutter contre l’inflation, se défendent ses partisans.  Mais pour Dr Sissoko, les règles de fonctionnement de la zone franc, calquées sur celles de l’euro, rendent difficile, voire impossible, la poursuite de politiques monétaires « laxistes » : réserves obligatoires à la Banque de France et la présence de représentants de Paris au sein des Conseils d’administration des banques centrales africaines. « Ces contraintes ont effectivement contribué à maintenir des taux relativement bas comparés à ceux qui sont observés sur le reste du continent. C’est l’une des rares « performances » des pays de la zone franc par rapport aux pays africains ayant leur propre monnaie », reconnait le professeur d’économie à « Sup Management ». Selon lui, le franc CFA profite avant tout aux entreprises étrangères, et à celles déjà implantées en Afrique, qui peuvent rapatrier leurs capitaux en Europe ou en Amérique et bénéficier de l’absence de risque de change, qu’à celles qui exportent en Afrique où elles ont accès à un réservoir de consommateurs sans restriction aucune.

 

Sortir de la dépendance économique

 

Dans l’état actuel du développement des économies des pays de la zone franc, la norme en matière de politique de change, devrait reposer sur l’inconvertibilité et l’intransférabilité du franc CFA. Tel est l’avis de Dr. Etienne, pour qui la surévaluation du franc CFA par rapport aux autres monnaies du continent pénalise en particulier les exportations. Pour l’universitaire, c’était d’ailleurs l’une des raisons invoquées par la France et le Fonds monétaire international (FMI) pour imposer sa dévaluation de 50 % en 1994, avec les conséquences économiques, sociales, voire politiques, que l’on connaît. « Les avantages supposés du franc CFA sont donc limités, comparés à ses inconvénients. La politique monétaire qu’il impose aux pays africains serait même un véritable frein à leur développement », assène Dr. Etienne Oumar Sissoko, auteur d’une thèse sur la croissance économique du Mali de 1960 à nos jours.

Cette coopération monétaire constitue-t-elle une menace sur la souveraineté des Etats concernés ? Pour l’universitaire, la réponse c’est « oui ». Car, dit-il, le développement de l’Afrique et sa souveraineté politique passent impérativement par la souveraineté monétaire ».

« C’est donc à nos états de prendre leurs responsabilités et de redonner un nouveau souffle monétaire au continent », a déclaré Dr. Etienne Oumar Sissoko, qui s’appuie sur une déclaration de Mme Christine Lagarde (actuel Directrice du FMI et ancienne ministre de l’économie française) qui précisait : « Ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non, s’il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue. C’est aux Etats concernés de prendre leurs responsabilités ».

Quand font enfin pouvoir le faire pour suivre l’exemple de la Guinée Conakry, de la Mauritanie et du Ghana ? Pour beaucoup d’observateurs, ce ne sera pas pour demain.

Issa Fakaba Sissoko

L’indicateur Le Renouveau 09/10/2012