Vente des bâtiments administratifs : le flou artistique

Institut National Des Arts
C’est une affaire qui continue de faire des vagues. Médias, réseaux sociaux, société civile et parlementaires… le sujet est sur toutes les lèvres. Mais le mystère reste encore entier

Les questions orales adressées à différents ministres en charge des Domaines et des Affaires foncières n’ont pas permis de faire la lumière sur cette affaire.

En l’absence d’une explication officielle, la rumeur s’empare du sujet.

La semaine dernière, une liste de 27 bâtiments vendus à de grands opérateurs économiques bien connus du sérial, a circulé sur les réseaux sociaux.

Est-elle fiable ?

Des ventes ont-elles été annulées ?

Les bâtiments ont-ils été bradés ?

Qui les a vendus ?

Les réponses à certaines de ces questions auraient pu demeurer une énigme si Mamadou Tiéni Konaté, l’ancien président directeur général de l’ACI était encore en fonction.

Quand le sujet a été évoqué par des députés, il a décidé de dire «toute la vérité sur cette affaire» dans laquelle il était «accusé à tort».

Curieusement, il s’est rétracté ensuite.

Pourquoi ?

Mystère.

C’est après avoir été démis de ses fonctions qu’il retrouvera sa liberté de parole.

Interrogé vendredi sur le sujet, il confirme que «la liste est fiable, mais aucune vente n’a été annulée à la date d’aujourd’hui».

«S’il s’agit de contrat de vente, c’est faux, car il faut passer par l’annulation de la mutation des titres fonciers (TF) par le tribunal.

Ce qui n’est pas fait», explique-t-il.

L’ancien PDG estime à un peu moins de 24 milliards de Fcfa le montant total issu des transactions concernant les bâtiments.

Il précise que le reliquat à verser à l’état est évalué à 4 milliards de Fcfa.

Selon Mamadou Tiéni Konaté, les 2/3 des édifices ont été vendus sous la transition (entre 2012 et 2013) et le reste entre 2014 et 2017.

Toutefois, jure-t-il, «les immeubles n’ont pas été bradés et très peu d’entre eux avaient de la valeur».

Le m2 des bâtiments, selon lui, a été cédé à un prix allant de 300.000 Fcfa à 500.000 Fcfa (évaluation de 2013).

Ce qui est, à son avis, correct au regard du prix du m2 d’aujourd’hui dans le centre-ville de Bamako.

Surtout que pour déterminer ces prix de cession, une expertise indépendante avait été réalisée par le cabinet privé Cabillass, confirme Mamadou Tiéni Konaté.

Les barèmes de ce cabinet, soutient-il, sont supérieurs à ceux en vigueur à l’urbanisme. «Donc, si c’est l’état qui les avait vendus, les prix seraient inférieurs», déduit celui qui fut également président de la Chambre de commerce d’industrie du Mali (CCIM).

à propos de l’accaparement de certains de ces patrimoines par des fonctionnaires et anciens décideurs politiques, il dit ne pas avoir «connaissance de vente en prête-nom à des fonctionnaires», précisant que les acheteurs sont tous de «grands opérateurs économiques bien connus». Par exemple le nom d’une certaine Aïssata Bathily apparaît comme étant l’acquéreur d’un immeuble.

Il s’agit de l’épouse de l’opérateur économique qui a acheté l’immeuble en question.

Aboubacar Sidiki Fomba, président du parti «Alliance démocratique du peuple malien», fait une autre lecture de la situation. Le coordinateur et porte-parole des Forces patriotiques pour la refondation du Mali, un regroupement constitué de 11 partis politiques et 140 associations, estime qu’entre 60 à 70 bâtiments publics sont concernés. à ce jour, plus de 40 ont été cédés à vil prix, accuse le rapporteur de la Commission santé du Conseil national de Transition (CNT). Les bâtiments ont été vendus au 1/5 du prix, insiste notre interlocuteur.

Selon lui, la vente devrait se faire aux enchères afin de céder les immeubles au mieux disant. Pour plus de transparence, fait-il remarquer, les biens vendus, la liste des acquéreurs et le montant global issus des ventes, devraient être publiés au Journal officiel. «Ils sont restés biens de l’état afin de permettre aux

acheteurs d’échapper aux impôts. Pis, l’état continue à les louer.

Si l’état a besoin de louer un bâtiment pourquoi les vendre ?», s’interroge le membre du CNT.

COMMISSION AD HOC- Aboubacar Sidiki Fomba ne semble pas convaincu par l’argument consistant à dire que la cession-vente avait pour but de renflouer les caisses de l’état.

Il rappelle à ce propos qu’il avait été proposé de louer les bâtiments aux commerçants, notamment les détaillants à des prix abordables en soutien à ces derniers.

L’argent de la location devrait être versé dans les caisses de l’état.

Au lieu de cela, «les bâtiments ont été vendus directement à des particuliers», déplore notre interlocuteur.

Pour faire la lumière sur cette affaire, il dit avoir plaidé pour la mise en place d’une commission ad hoc d’identification de tous les patrimoines de l’état de 1992 à maintenant.

Le but, précise Aboubacar Sidiki Fomba, est d’identifier leurs acquéreurs et s’assurer de la conformité de la procédure adoptée en la matière.

Il s’agira, selon lui, de récupérer ceux qui n’ont pas été vendus dans les règles de l’art.

L’on se rappelle qu’une commission d’enquête parlementaire avait été mise en place par les députés de la cinquième législature.

Le rapport de cette commission est toujours attendu.

Toutefois, le nom de l’ancien ministre des Domaines et des Affaires foncières, Mohamed Ali Bathily, revient à plusieurs reprises dans ce dossier.

Faisant récemment usage de son droit de réponse dans les médias, l’ancien ministre a apporté des précisions.

Plaçant l’affaire dans son contexte à cet effet, il rappelle qu’il a été ministre en charge des Domaines en janvier 2015.

La Loi de finances avait été déjà adoptée, précise-t-il.

Au mois de juin, il était question de faire une évaluation à mi-parcours.

Lors de la rencontre tenue à cet effet, il a été rappelé que «le nouveau département de Bathily (les Domaines)» devrait apporter au Trésor public 7 milliards de Fcfa, souligne l’ancien ministre en charge des Domaines.

Pour ce faire, dans la Loi de Finances 2015, il était question de vendre des bâtiments de l’état pour reverser les fonds au Trésor public.

«J’ai répondu que je n’ai pas vendu de bâtiments et que je ne suis pas au courant de la vente des bâtiments publics de l’état.

L’ancien Premier ministre feu Modibo Keïta m’a dit de tout faire pour apporter l’argent», rappelle-t-il.

Pour en savoir davantage sur le fond de ce dossier, l’ancien ministre dit avoir contacté la direction générale de l’administration des biens de l’état.

«J’ai interrogé le responsable pour savoir s’il a été demandé de vendre des bâtiments.

Il a répondu que sous la Transition, le conseil des ministres a autorisé l’ACI à les vendre», révèle Me Bathily.

Contacté par le ministre d’alors en charge des Affaires foncières, le PDG de l’ACI, «à l’époque Kalifa Sissoko», aurait confirmé avoir vendu des bâtiments et gardé l’argent dans le compte de sa société, car tous les bâtiments n’avaient pas été encore vendus.

«Je lui ai instruit de verser les fonds au Trésor et de donner trois mois aux retardataires pour payer les reliquats des sommes dues à l’état.

Le cas échéant, il faudra annuler les ventes afin de permettre à l’état de recouvrer les fonds attendus», explique-t-il, précisant qu’il a réclamé les fonds qui devaient être versés au Trésor public au lieu de vendre de nouvelles maisons. «Le montant faisait environ 16 milliards de Fcfa», révèle l’ancien ministre.

Affaire à suivre
Cheick M. TRAORE
Baba B. COULIBALY

Source: Lessormali