Mort de Kadhafi

« Dans les événements qui viennent de se passer en Libye, je vois les prémices de la partition de la Libye, de la désintégration de l’Afrique et de sa division en Afrique blanche et noire avec le risque de nouveaux tracés des frontières africaines, mais aussi de la liquidation de l’Union Africaine. »

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L’ancienne première Dame du Mali, l’historienne et la militante Adame Ba Konaré livrait  hier, sur Rfi, son sentiment à la suite des événements survenus en Lybie et qui ont conduit à la mort de l’ancien Guide de Jamahiriya, le colonel Kadhafi. Nous vous livrons ici son analyse de la situation.

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RFI : La mort de Kadhafi a été vécu comme une libération par les libyens, elle a été saluée à quelques rares exceptions près par de nombreux Etats de la planète. Est-ce que vous vous en féliciter ou vous déplorez cette mort ?

Adame Ba Konaré : Permettez-moi avant de répondre à votre question de formuler des vœux en tant que croyante pour le repos de l’âme du colonel Kadhafi et d’avoir une pensée pour sa veuve éprouvée. De la même façon je présente mes condoléances à toutes les familles touchée par la tragédie libyenne. L’assassinat d’un chef d’Etat en exercice, de surcroît si c’est par le biais des puissances étrangères, n’est pas une affaire banale. On ne peut pas se réjouir de la mort d’une personne même s’il s’agit de son ennemi. Toute vie est sacrée. Mon jugement d’historienne  est à cet égard. Les événements qui se sont succédés rappellent la pénétration coloniale européenne de la fin de XIX  ème siècle. Pour ce qui concerne la France que je connais particulièrement, c’est le même scenario, au nom de la civilisation, de la  convoitise des richesses, des interventions militaires qui se sont toujours soldées par l’assassinat soit de grands résistants à la pénétration coloniale soit des rois régnants. La façon dont se sont passés les événements en Libye laisse augurer que partout où il y aura des contestations, c’est le sentiment qu’on a ici, les vertueuses et généreuses nations, entre Guillemets, voleront au secours,  comme par le passé, au nom de la démocratie, cette fois-ci,  pour sauver les pauvres Africains de leurs  méchants dirigeants. Dans les événements qui viennent de se passer en Libye, je vois les prémices de la partition de la Libye, de la désintégration de l’Afrique et de sa division en Afrique blanche et noire avec le risque de nouveaux tracés des frontières africaines, mais aussi de la liquidation de l’Union Africaine.

RFI : Mais est-ce que vous ne voyez pas tout de même dans l’intervention des puissances étrangères, à travers l’Otan, le fait d’avoir prévenu, probablement, des massacres de civils ? C’est ce que Kadhafi avait annoncé sur Benghazi !

Adame Ba Konaré : Oui, c’est facile à dire mais malheureusement cette intervention des forces de l’Otan ne s’est pas faite non plus de façon ordonnée, ça été vraiment un acharnement contre des villes qui ont été pilonnées à longueur de journées et je pense que les responsabilités sont absolument partagées.

RFI : Si par exemple  l’Union Africaine avait les mêmes moyens et intervenait est-ce que cela vous choquerait de la même façon ?

Adame Ba Konaré : oui, c’est vraiment l’intervention des puissances étrangères et puis la façon dont le colonel Kadhafi est mort m’a choqué et choqué l’opinion Africaine dans sa très grande majorité.

RFI : Mais lorsque l’Union Africaine,  donc même des pays Africains, de façon unilatérale interviennent en Somalie par exemple, est-ce que cela vous choque ?

Adame Ba Konaré : Ce n’est pas le même cas de figure. Ce qu’on on a déploré dans cette affaire c’est l’instrumentalisation aussi des institutions internationales, notamment par les anciennes puissances coloniales, avec la complicité des Etats unis d’Afrique comme si ces puissances coloniales voulaient régler ses comptes à Kadhafi. Donc l’opinion Africaine et moi également avons déploré le dépassement du mandat de l’Otan, le délai glissant, l’Otan est allé bien au delà de la protection des civils.

RFI : Est-ce qu’il n’est pas finalement étrange, pour certains en tout cas, de pleurer la mort ou les conditions dans lesquelles Kadhafi est mort  quand on pense que pendant plusieurs décennies, il a lui-même exécuté tout ce qui pouvait s’opposer à lui. Il y a eu le massacre de plus 1200 personnes dans la prison d’Abou Slim en 1996, il y a eu les gens pendus publiquement, est-ce que ces victimes là n’avaient pas de droits?

Adame Ba Konaré : Madame vous avez tout à fait raison de dénoncer tout ce que vous venez de dire. C’est vrai, ce visage d’un personnage qui a perpétré des actes répréhensibles tels que le soutien à des mouvements terroristes et le manque d’ouverture démocratique de même que la personnalisation outrancière du régime. Mais il y a l’autre visage  aussi de Kadhafi, il est quand même le nationaliste, c’est lui qui a remis à l’ordre du jour, avec d’autres, le projet panafricaniste en lui mettant beaucoup de moyens, même si ces méthodes étaient discutables. Mais à la façon dont il a été fauché par les bombes des occidentaux, je crains qu’il ne soit devenu plus une victime et un héros qui s’est battu contre l’ingérence étrangère jusqu’au bout comme il l’avait annoncé en martyr. Je ne crois pas du tout que l’Afrique va l’oublier.

Source Rfi 26/10/2011