MOHAMED MAGASSOUBA, COACH DES AIGLES DU MALI «Nous n’irons pas en Egypte pour faire de la figuration, mais avec l’ambition de remporter le trophée»

MOHAMED MAGASSOUBA, COACH DES AIGLES DU MALI

Pour une fois, les Maliens n’ont pas eu recours aux tablettes pour spéculer sur les probabilités de qualification des Aigles. Déjà, à une journée de la fin des qualificatifs, notre Equipe nationale avait son ticket pour la CAN 2019 prévue au début au Cameroun avant que l’organisation ne soit confiée à l’Egypte (du 21 juin au 19 juillet 2019). Une performance qu’on doit en partie à la compétence du coach Mohamed Magassouba. 

Aujourd’hui instructeur CAF-FIFA, cet énarque (titulaire d’une maîtrise en Sciences économiques à l’ENA de Bamako) est sur le banc technique depuis 1980. Et il a acquis une solide réputation à l’extérieur (RD. Congo, Congo Brazzaville, Gabon où il a rencontré son épouse Awa Sylla Magassouba, Sénégal) avec plusieurs consécrations.

Egalement Directeur Technique National de la Fédération malienne de football et à  61 ans (né le 12 février 1958 à Nara, région de Koulikoro), ce technicien expérimenté se prépare à disputer sa première phase finale de CAN à la tête des Aigles du Mali. Et cela avec l’ambition de ne pas faire de la figuration. Dans l’entretien qu’il nous a accordé chez lui (Hamdallaye ACI 2000) le vendredi 19 avril 2019, il évoque le tirage, évalue les chances de son Equipe et parle de son avenir après la CAN « Egypte 2019». Interview !

 

 

Le Matin : Avec le recul, comment jugez-vous le tirage de la CAN «Egypte 2019» ?

Mohamed Magassouba : Le tirage est un passage obligé et je n’ai toujours pas de référence concernant nos adversaires (Tunisie, Angola et Mauritanie dans le Groupe E). Si on a envie réellement de gagner une compétition de grande envergure comme la CAN, on ne doit nourrir de crainte à l’égard d’aucun adversaire. Qu’importe donc le tirage, il faut se préparer en fonction de nos ambitions.

 

A quel niveau évaluez-vous vos chances de franchir le premier tour de cette compétition ?

Mohamed Magassouba : Nos chances vont dépendre de notre ardeur à préparer notre équipe.  Comme le dit l’adage, qui veut aller loin ménage sa monture. A partir d’une bonne préparation, on peut avoir les outils nécessaires pour mieux aborder cette compétition avec confiance et beaucoup de sérénité. La chance, à ce niveau, se fabrique. Il faut bien se préparer pour avoir les meilleures chances d’atteindre ses objectifs.

 

-En phases finales de la CAN, l’Angola et la Tunisie sont des adversaires connus du Mali. Mais, est-ce qu’il y a un pays que vous craignez particulièrement dans ce groupe E ?

Mohamed Magassouba : Le football ne se joue pas sur l’histoire à mon avis. C’est un domaine complexe, un phénomène complexe et perplexe. L’histoire ne fait pas le football sinon certains ne seraient pas à cette CAN en Egypte. Au foot, c’est à la sueur du front que les ambitions se réalisent. Dans notre groupe, il n’y pas de super grands ou d’équipes faibles, mais des adversaires ! Et il faut considérer tous les adversaires dans leur dimension réelle pour mieux les affronter en ayant en tête qu’il n’y a ni trop forts ni trop faibles. La réalité du jour de match, des 90 minutes, reste la plus déterminante.

 

Avez-vous déjà peaufiné votre plan de préparation ?

Mohamed Magassouba : Bien sûr et nous sommes presque sur le point de trouver un consensus avec les autorités sportives du pays qui doivent mettre à notre disposition les moyens d’une préparation idoine. Une fois que ce plan sera validé, toute la République saura où les Aigles vont se préparer pour la CAN «Egypte 2019».

 

Des adversaires sont-ils déjà ciblés pour des matches amicaux ?

Mohamed Magassouba : Cela va dépendre du pays choisi pour la préparation (Les Algériens ont manifesté leur désir d’affronter le Mali le 16 juin prochain en amical à Abu Dhabi, aux Emirats Arabes Unis, NDLR). Si elle a eu lieu dans une zone où il n’y a pas beaucoup de pays africains en préparation, cela risque de poser des problèmes puisque nous n’avons pas suffisamment de moyens pour inviter des pays et prendre en charge leur déplacement. Tout cela entre en ligne de compte dans l’élaboration de notre plan de préparation.

 

Quand est-ce que l’on peut s’attendre à la liste définitive des Aigles pour cette CAN ?

Mohamed Magassouba : Elle sera publiée à la fin de la campagne de préparation. Et nous comptons faire cette phase avec le maximum de joueurs même si nous sommes limités par le manque de moyens. Nous ne pourrons pas certainement faire comme les pays qui ont de gros moyens et qui peuvent se préparer avec trente joueurs ou plus. Mais, nous allons convoquer le maximum de joueurs pour parer à d’éventuelles blessures.

 

Avec tous ces joueurs utilisés pendant la campagne des éliminatoires et ces jeunes talents qui frappent à la porte de la sélection nationale, vous avec certainement l’embarras du choix pour cette liste ?

Mohamed Magassouba : Une Equipe nationale se construit sur la durée. On ne peut pas bâtir une grande équipe avec des changements perpétuels. C’est d’ailleurs la raison de l’échec de nombreux sélectionneurs… Une Equipe nationale ne se construit pas uniquement autour d’une ou des stars, mais d’un état d’esprit. Et cela ne vient pas tout de suite. Et ce n’est pas parce qu’un joueur a brillé dans deux à trois matches qu’il devient un élément indispensable de la sélection. Cela a été récemment démontré au Mali. Quand Mamoutou Kané «Mouroulé» partait à la CAN des juniors au Niger, on a crié haro sur le baudet en criant de tous les côtés pourquoi il n’a pas amené X ou Y ! Mais, il est revenu avec la coupe. Didier Deschamps a connu la même chose avec l’absence des joueurs comme Karim Benzema et la sélection des joueurs réservistes dans leurs clubs. Mais, cela ne l’a pas empêché d’offrir un second trophée de Coupe du monde à son pays.

L’Allemagne est un exemple de constance avec des joueurs qui peuvent jouer ensemble pendant six à dix ans. Et c’est pourquoi les Allemands sont généralement toujours au sommet. L’adage dit qu’une pierre qui roule n’amasse pas mousse ! Revenant à votre question, je dirais que nous allons jouer sur la constance sans fermer la porte à de nouveaux talents. Et comme il y a toujours l’exception qui confirme la règle, s’il y a un joueur exceptionnel qui crève l’écran, il sera le bienvenu.

 

-En tant que coach, jusqu’où mettez-vous la barre en termes d’objectif de participation à cette CAN ?

Mohamed Magassouba : Un entraîneur de football n’est pas un charlatan, mais un technicien qui base son raisonnement sur du concret. Et en la matière, c’est d’abord le travail bien fait. C’est donc en fonction de la qualité de la préparation que nous pourrions évaluer nos chances. Sinon pour le moment, c’est 50/50 pour tout le monde.  Et toute modestie mise à part, je suis ambitieux. Je ne vais pas à une CAN pour faire de la figuration, mais pour la remporter. C’est un projet, une ambition personnelle. Certainement que c’est aussi l’ambition des coaches de tous les pays qualifiés.

 

Les bookmakers font du Mali l’un des favoris de cette CAN «Egypte 2019». Etes-vous de cet avis ?

Mohamed Magassouba : Il faut enlever cela de la tête de mes athlètes. Comment le Mali peut-il être favori ? Il est vrai que nous avons une jeune équipe prometteuse. Mais, à cette compétition participent de grosses cylindrées qui ont plus de matches que nous à leur actif au haut niveau. Tous les derniers mondialistes seront par exemple présents à cette CAN.

Tous les «Grands» d’Afrique sont exceptionnellement là. Dire alors que le Mali est favori, c’est chercher à nous distraire. Au dernier classement de la Fifa (avril 2019), nous ne sommes qu’à la 10e place africaine (derrière respectivement le Sénégal, la Tunisie, le Nigéria, le Maroc, la RD.Congo, le Ghana, le Cameroun, l’Egypte et le Burkina Faso). Nous ne serons favoris que par le travail à effectuer. Nous respectons notre statut d’équipe jeune qui a besoin d’expérience, de travail et surtout de l’encouragement de tout le monde.

 

Quel peut-être l’atout maître du Mali ?

Mohamed Magassouba : Sans doute l’état d’esprit avec lequel nous allons aborder la compétition. Depuis 1994, le Mali n’a jamais manqué de CAN. Et notre Equipe nationale a été composée de footballeurs plus talentueux que la génération actuelle. Je ne veux pas aller loin avec la génération de Salif Kéita et compagnie. Je parlerais surtout de celle des Seydou Kéita, Djilla (Mahamadou Diarra), Momo (Mohamed Lamine Sissoko), Frédéric Oumar Kanouté…

Nous avions des stars dans tous les compartiments et qui évoluaient souvent dans les meilleurs clubs du monde. Mais, qu’est-ce que cela nous a apporté ? A part les 3es places en 2012 et 2013. Cela prouve à suffisance que le football, ce n’est pas le talent seulement, mais il faut aussi le mental, un bel état d’esprit, du caractère.

C’est ce qui fait aujourd’hui la force des Aigles parce que j’ai axé essentiellement mon travail sur le caractère, cet élément invisible. Dans mes critères de sélection, le talent seul ne suffit pas, il faut du caractère. C’est ce que j’ai essayé d’inculquer à mes joueurs et ils y ont adhéré. Voilà certainement notre force. Sinon, il ne faut pas se leurrer, nous ne sommes pas plus talentueuse que les autres sélections d’Afrique.

Prenons seulement le cas du Sénégal, est-ce que nous pouvons rivaliser avec les Lions en termes d’individualités dans les différents secteurs ? Mais, mentalement, nous pouvons rivaliser avec toutes les sélections. C’est cet état d’esprit que nous nous sommes forgés.

 

Vous êtes entraîneur national «intérimaire» et aussi Directeur Technique National (DTN). Comment envisagez-vous votre carrière après cette CAN ?

Mohamed Magassouba : Je suis surpris de lire dans la presse ou d’entendre sur les ondes ou à la télévision que je suis un «intérimaire». Mais, cette mention ne figure nulle part sur mon contrat. Sur ma décision de nomination, c’est Entraîneur National du Mali. Bref, peut importe comment on m’appelle, l’essentiel est qu’on me laisse faire mon travail. Je crois l’avoir toujours fait avec honneur, conscience et surtout avec beaucoup d’engagement pour la patrie. Je me considère comme un soldat du foot et je donnerais toujours le meilleur de moi-même pour remplir ma part de contrat.

 

Vous êtes un technicien qui a une bonne réputation au niveau des instances comme la CAF et la FIFA. Vous ne manquez pas sans doute de propositions alléchantes ?

Mohamed Magassouba : Même au moment où je vous parle (l’entretien a eu lieu dans la matinée du vendredi 19 avril 2019, NDRL), j’ai de nombreuses sollicitations, des propositions de grandes nations de football. Mais, je me dis que j’ai beaucoup donné à l’extérieur avec de nombreuses consécrations. Aujourd’hui, je ne travaille pas pour être connu, mais je veux œuvrer à la reconnaissance de mon pays sur la scène africaine et internationale parce que nous n’avons pas de titres majeurs.

Heureusement que nous avons commencé à glaner des consécrations avec des petites catégories. Ces performances ne sont pas tombées du ciel. Elles ont été réalisées sur la base d’un bien fait. C’est le fruit d’une bonne politique de développement élaborée par la Direction Technique Nationale. C’est un travail de l’ombre qui est peu connu et reconnu, mais il est réel.

En 2012, nous étions ensemble à la CAN au Gabon (nous avons cohabité à Franceville et à Libreville) et vous étiez témoin du travail que je faisais les nuits pour essayer d’apporter mes expertises à l’encadrement technique. Ce sont des choses qu’on ne dit pas souvent, mais qui sont aussi à la base de notre réussite continentale dans certaines catégories avec les efforts conjugués d’autres acteurs comme les centres de formation.

C’est ce travail que nous essayons de prolonger au niveau de l’Equipe nationale Fanion et qui commence certainement à porter ses fruits. Quoi que l’on dise, c’est l’une des rares fois où nous nous qualifions avant la dernière journée. Ce qui atteste d’un progrès notable. Si les observateurs nous classent aujourd’hui parmi les favoris, c’est parce que nous nous sommes qualifiés avec honneur.

Nous allons continuer à travailler sur cette ligne droite qui est le fruit de notre conscience, de notre vision pour le Mali.

 

Autrement dit, tant qu’on veut de vous, vous êtes disposés à fermer les yeux sur les propositions alléchantes pour rester au service de la patrie ?

Mohamed Magassouba : Tant qu’on veut de moi au Mali, je n’irai nulle part ! Le jour où on ne voudra plus de moi, je n’aurai que l’embarras du choix car je suis un citoyen du monde, un technicien du football qui ne manquera pas de point de chute.

 

Un appel à l’attention du public sportif malien ?

Mohamed Magassouba : Merci à Dieu de nous avoir accordé la place que nous occupons aujourd’hui. Merci au public qui nous a soutenus et qui nous a porté sur les bras tout au long de la campagne de qualification. Le projet n’était pas évident au départ, mais le public a toujours été au rendez-vous, même avec des critiques sur le choix de l’effectif.

On nous a ainsi, un moment, reproché la jeunesse de notre effectif. Et aujourd’hui, ces jeunes font l’unanimité au point que certains n’hésitent pas à dire qu’ils jouent sans l’entraîneur.  C’est de bonne guerre. Je prie toujours qu’on m’oublie car l’essentiel est que les jeunes soient sous les projecteurs et qu’ils fassent honneur à leur patrie.

Nous demandons toutefois au public d’être patient et de rester mobiliser comme un seul homme. Et surtout qu’on évite de nous distraire. Nous ne devons pas nous focaliser sur un individu ou un pays. Nous avons plutôt des adversaires et nous sommes une nation. C’est la nation malienne qui va jouer contre des adversaires. Réunissons donc nos efforts, rassemblons notre esprit pour les affronter afin que le Mali gagne !

 

Propos recueillis par

Moussa Bolly