L’OEIL DE LE MATIN : Retenir la leçon pour éviter tout retour à la case-départ

«Nous avons débuté  le travail avec l’équipement de l’armée et le développement de la diplomatie pour avoir des partenaires sûrs dans la lutte contre le terrorisme.  Maintenant  nous  nous  tournons  vers le développement» ! C’est ce qu’a déclaré le président de la Transition, Colonel Assimi Goïta, lors de sa visite à Kayes le dimanche 23 juillet 2023. Il y avait annoncé, entre autres, la construction de deux usines de transformations du coton  dans la région de Koutiala et le district de Bamako. Dans la Cité des rails, le chef de l’Etat a surtout officiellement lancé la reprise du trafic ferroviaire entre Kayes et Bamako. 

La reprise effective des activités de la Société de patrimoine ferroviaire du Mali (SOPAFER-Mali S.A.)  est un évènement majeur pour le pays car elle permet de desservir l’axe stratégique Dakar-Bamako. Elle confirme que les autorités de la Transition s’inscrivent désormais dans une dynamique de relance économique en donnant une seconde vie à nos sociétés et entreprises d’Etat en agonie.  Déjà, le 13 juin 2023, le Colonel Goïta avait lancé redémarrage des activités de la Compagnie malienne des textiles (COMATEX-SA) à Ségou. Une unité industrielle dont la relance va générer plus de 15 000 emplois.

Cette volonté, qui a aussi bénéficié à l’Usine malienne des produits pharmaceutiques (UMPP) et doit toucher d’autres comme l’Huilerie cotonnière du Mali (HUICOMA)…, est salutaire d’autant plus qu’elle vise à redonner vie à des fleurons de notre patrimoine industriel. Des entreprises qui, pour la plupart, ont fait faillite avant d’être liquidées ou privatisées. «L’économie a souffert également des contre-performances des entreprises publiques qui constituaient le principal instrument de la politique économique du gouvernement», a rappelé en mars 1998 le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD). 

C’était dans le Rapport d’audit de performance de projet (RAPP) concernant le Programme de restructuration du secteur des entreprises publiques (PRSEP) de la République du Mali couvrant la période 1988-1990. Première étape d’une action d’ajustement à moyen terme en vue d’améliorer la gestion des ressources publiques, il a concerné 35 entreprises publiques avec l’ambition de réduire la charge du secteur des entreprises publiques sur l’économie du pays et les finances publiques par des actions de désengagement au profit du secteur privé…

A l’époque (les années 80), le secteur des entreprises publiques comptait 77 unités et représentait 70 % de la production du secteur industriel moderne, plus de 50 % des recettes d’exportation et 80 % de l’ensemble de crédits intérieurs. Il représentait aussi 20 % de l’emploi non agricole et contribuait pour 8 % dans le total des investissements. Mais, en 1982, un diagnostic du secteur a estimé les pertes de l’ensemble du secteur à 6 % du PIB. En 1987, le déséquilibre financier des sociétés et entreprises publiques était caractérisé par un endettement de près de 15 milliards de F CFA envers l’Etat au titre des arriérés d’impôts, contre 8 milliards de F CFA de créances sur l’Etat. Ce qui représentait une situation négative de près de 7 milliards de FCFA, une dette de plus de 20 milliards de F CFA envers la Banque de Développement du Mali (BDM), une dette financière de plus de 70 milliards de F CFA envers les autres secteurs de l’économie, des créances irrécouvrables. 

Cette situation a obligé l’Etat à maintenir en survie plusieurs entreprises publiques à coup de subventions et d’exonérations fiscales avec pour conséquence un endettement extérieur public important et une accumulation d’arriérés de paiement, un déficit chronique du solde des opérations de 7 milliards F CFA avec un déficit moyen de 32,1 milliards de F CFA sur la période 1986-88… Comment en est-on arrivé là ? Il y a sans doute la mauvaise gestion caractérisée par le népotisme, les abus de bien sociaux,  la délinquance financière… Ces sociétés étaient devenues des poules aux œufs d’or voire des vaches laitières pour les barons du parti unique et du régime ainsi que de leurs clans.

Mais, il ne faut pas se voiler, les travailleurs ont aussi une grande part de responsabilité dans la faillite de ces entreprises. Ils ont aidé les mauvais gestionnaires dans leur sale boulot en s’adonnant à toutes sortes de trafics et de détournements de marchandises aux dépens de leurs sociétés. Ceux qui habitaient la Zone industrielle savent comment celles-ci, notamment la SONATAM, étaient pillées par les travailleurs qui faisaient frauduleusement sortir des produits  pour aller les brader sur le marché. Ce qui fait un double coup au niveau du manque à gagner : perte de marchandises et concurrence déloyale de ses propres produits !

Les travailleurs des Chemins de fer et des unités industrielles ont scier la branche sur laquelle ils étaient assis sans le savoir. Ils se sont condamnés au chômage et à la précarité en croyant faire du mal à l’Etat. Ils n’avaient pas compris que l’Etat, ce sont eux-mêmes. «Puisque nos dirigeants pillent la société, nous devons aussi nous servir», ce sont-ils sans doute dit. Et cela en oubliant l’adage qui dit chez nous que les choses peuvent avoir la même noirceur, mais leur manière de briller peuvent différer. Que la société périclite, c’était le cadet des soucis des gestionnaires assurés de pouvoir passer à autre chose sans coup férir ! Quant a eux, ils sont sacrifiés l’avenir de leurs enfants et de leur génération.

Quant aux travailleurs, ils ont dû boire le calice jusqu’à la lie ! Gageons que la leçon a été retenue, que les travailleurs des sociétés remise sur les rails vont se battre becs et ongles pour défendre leurs entreprises contre une quelconque mauvaise gestion !

Moussa Bolly