Les cinq chantiers du nouveau président

1. Occuper les hommes en armes

Même quand tout va pour le mieux, il est dangereux de laisser des hommes avec des armes. Dans le nord du Mali, où la plupart des hommes armés font partie d’un mouvement politique défait et où il est difficile de trouver une autre occupation rentable, c’est encore plus dangereux. “Comment sortir ces hommes des groupes armés, voilà la question à laquelle le Mali va devoir répondre alors qu’il tente de restaurer un ordre démocratique. Des mois de combat contre une insurrection liée à Al-Qaida et un coup d’Etat militaire ont permis aux insurgés [touaregs] de prendre de l’ascendant. La sécurité de toute la région du Sahel, fortement armée, dépend de la façon dont ces hommes seront réintégrés – ou non – dans la société malienne”, fait observer Drew Hinshaw dans The Wall Street Journal. L’armée malienne n’a toujours pas digéré l’humiliation de ses premières défaites au début de l’insurrection et a indiqué qu’aucun ancien rebelle ne serait admis dans ses rangs.

A propos d’hommes en armes indisciplinés, Ibrahim Boubacar Keïta [surnommé IBK] devra également veiller à ne pas se mettre à dos ses militaires. Rappelons que ce ne sont pas les insurgés qui ont fait tomber le dernier gouvernement démocratiquement élu, mais un coup d’Etat mené par des officiers de l’armée régulière mécontents [le 22 mars 2012]. Ces mêmes officiers constituent probablement la menace la plus immédiate pour IBK. Les conserver comme alliés tout en imposant le pouvoir du gouvernement civil ne sera pas chose facile.

2. Stabiliser le nord du pays

Si l’intervention militaire française du début de l’année a permis au gouvernement intérimaire malien de reprendre le contrôle sur le nord du pays, la région est toujours instable. La ville de Kidal est particulièrement problématique. Bien qu’officiellement gouvernée par Bamako, la ville est concrètement aux mains du MNLA (Mouvement national de libération de l’Azawad), le groupe nationaliste touareg à l’origine de la rébellion en 2012. Lancée par les militants du MNLA, l’insurrection leur a échappé au profit de divers groupes islamistes. Mais leurs objectifs n’ont guère changé, même s’ils se montrent moins vindicatifs : après des années de marginalisation par l’élite de Bamako, le MNLA attend des garanties sur l’autonomie du Nord.

Et peut-être IBK devrait-il la leur donner. Historiquement, on ne peut pas dire que le Nord ait été bien traité par les gouvernements successifs du Sud. L’autonomie ne changera peut-être pas radicalement la donne, mais au moins les militants du MLNA auraient une raison de moins de prendre les armes et pourraient se voir contraints de faire face à ses responsabilités.
Le président aura toutefois du mal à faire accepter cette idée aux populations du Sud qui tiennent le MNLA pour responsable de ce cycle de violence et l’accusent d’avoir ouvert la porte aux groupes islamistes.

3. Faire le ménage à Bamako

Avant la rébellion, le coup d’Etat et l’intervention militaire, le Mali se vantait d’être une démocratie modèle. Mais il ne l’était pas. “Le Mali n’était qu’une démocratie de façade, née d’un impératif social de recherche du consensus et de divers arrangements opaques. Résultat, les institutions gouvernementales et l’armée ont été vidées de leur substance par une décennie de corruption et de népotisme”, écrit Aryn Baker dans The Wall Street Journal.

Le président l’a lui-même reconnu dans un discours de campagne : “On nous a volé le Mali. Le gouvernement l’a rongé jusqu’aux os. Ils nous ont humiliés au point de pousser les gens à faire alliance avec les islamistes maliens, cela ne se reproduira pas.”
Difficile toutefois de prendre ces déclarations pour argent comptant sachant qu’IBK était Premier ministre et faisait partie intégrale de cette élite politique. Il lui revient néanmoins aujourd’hui la charge de former un gouvernement respectueux de principes plus élevés.

Dans ces circonstances, la déclaration du Soumaïla Cissé, adversaire d’IBK à la présidentielle et grand perdant du dernier scrutin, est extrêmement encourageante. Cissé s’est engagé à former le premier parti d’opposition digne de ce nom dans l’histoire du Mali afin de mieux surveiller l’action du président. “Je mettrai sur pied un groupe alternatif. Nous ferons des propositions et des critiques si nécessaire pour encourager la démocratie”, a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse.

4. Lutter contre le terrorisme et contrôler la présence étrangère

Il existe au moins une personne pour qui tout se passe bien au Mali.
Il s’agit de François Hollande, l’initiateur de l’intervention militaire française qui a permis de repousser les rebelles islamistes et de rendre le contrôle du Nord aux forces gouvernementales. “Ce qui vient de se produire depuis l’intervention française le 11 janvier 2013 […] jusqu’à l’élection du nouveau président malien est un succès pour la paix et la démocratie”, a-t-il déclaré.
C’est peut-être vrai, mais ce n’est pas honnête. L’intervention française n’a jamais rien eu à voir avec la paix ou la démocratie. Il s’agissait de lutter contre les rebelles islamistes et notamment la menace croissante d’Al-Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) qui venait de s’établir dans le nord du Mali.

Sur ce front-là, l’intervention a été un succès. Ansar Dine et le Mujao (Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest), les deux groupes islamistes maliens engagés dans les combats, sont désormais contraints à la clandestinité. D’autre part, les militants d’Aqmi sont aujourd’hui affaiblis et en fuite, disséminés dans les pays voisins comme le Niger ou peut-être l’Algérie.
Et, pourtant, si le nombre de militants islamistes a certes diminué, ces derniers n’ont certainement pas disparu. Il faudra à la fois beaucoup de temps et de ressources pour maintenir le nord du pays comme rempart contre leur influence. C’est la tâche des 12 600 soldats des Nations unies déployés dans la région pour maintenir la paix.

Pour le président malien, la présence internationale est cruciale afin de préserver l’autorité de son gouvernement dans la région. Mais cela peut constituer un risque à long terme : IBK ne doit pas passer pour une marionnette aux mains des puissances occidentales et doit préparer son pays à l’inévitable départ des Nations unies. Le Mali ne doit pas s’appuyer trop lourdement sur ses béquilles étrangères, sous peine de s’effondrer une fois celles-ci retirées.

5. Gérer la crise humanitaire et l’aide internationale

Un an de guerre et d’instabilité ont eu des effets dévastateurs dans ce pays déjà pauvre. Les denrées de base sont aujourd’hui rares ou très coûteuses et deux millions de personnes se trouvent en situation d’urgence alimentaire.
“La guerre a profondément perturbé l’activité économique ainsi que le fonctionnement des services sociaux les plus élémentaires dans le Nord. De nombreux pasteurs, paysans et commerçants ont dû abandonner leurs troupeaux, leurs champs ou leur commerce, souligne l’Irin, l’agence de presse des Nations unies. Après le retrait de l’administration malienne, de nombreux bâtiments et services publics ont été pillés ou détruits. Le retour progressif des personnes déplacées et des réfugiés dans le Nord [on estime que le pays compte 375 000 déplacés, et 175 000 auraient fui dans les pays voisins] accentuera la pression sur des services sociaux déjà limités. Encore fragile, le gouvernement malien aura besoin d’aide pour réparer ses infrastructures et restaurer les services de base nécessaires aux populations du Nord.”
Quatre milliards de dollars [le montant de l’aide et des prêts promis par la communauté internationale] devraient parvenir au Mali dans les prochains mois. Judicieusement employé, cet argent pourrait contrebalancer certaines des plus graves conséquences de l’instabilité. Mais il pourrait aussi encourager la corruption et le gâchis. Le nouveau président malien doit trouver comment faire bon usage de ces fonds, sans quoi ils torpilleront ses promesses de bonne gouvernance.

Daily Maverick/ Simon Allison